SYNOPSIS: En 2022, Don Juan n’est plus l’homme qui séduit toutes les femmes, mais un homme obsédé par une seule femme : celle qui l’a abandonné…
Le réalisateur, Serge Bozon, dans ses opus précédents nous avait habitués à une forme de cinéma hybride d’aberration, aussi bien dans La France (2007) qu’avec Tip top (2013) ou Madame Hyde (2018). Cette fois ci, avec Don juan, il sort du cycle guerre, fantastique et policier pour se coltiner une pure histoire d’amour dans cette adaptation ou plutôt variation de Don Juan ou le festin de Pierre (1665) de Molière, sous forme d’une comédie musicale. Le film est aussi étonnant que détonnant. Ne serait-ce bien sûr que par son parti-pris original d’un Don Juan se faisant larguer juste pour avoir posé un regard ailleurs, qui ne s’en remettra pas et qui se fera jeter partout et tout le temps ensuite. Le mythe du héros séducteur se fait bannir, on est bien au début du 21ème siècle, et c’est très bien ainsi. Mais c’est un film déroutant également car dans le même corps, il est pop, rock, coloré et glamour, tout en étant par moment curieusement désuet dans la simplicité de ce qu’il raconte et sur la façon de le faire. Notamment dans les parties chantées, qui sont intrigantes. Il est difficile de savoir si une forme de kitch pathos façon vague des comédies musicales du début des années 2000, est voulue ou non. Car quand même, qu’il s’agisse de la justesse des voix sur la mélodie ou d’une forme de niaiserie assez consternante des paroles, on a quand même mal aux oreilles… Le film est dans le même temps charmant, tant il est aussi porté par ses acteurs, mais aussi comme rythmé dans une forme de sur-fantaisie qui nous perd un peu trop vite. C’est parfois une succession de vignettes, mais qui malgré la beauté de la photographie et des images éclatantes, sans un fil véritablement construit ne fait pas un film. Une construction foutraque ne pose pas forcément problème, si notamment l’émotion est vivante. On pensera par exemple à Serre-moi fort (2020) de Matthieu Amalric, où la complexité est comme compensée par une sensibilité d’une grande intensité. Dans Don Juan, les bizarreries s’accumulent, mais sans que l’on soit jamais vraiment touché par la grâce, avec plutôt l’envie de rire nerveusement parfois, quand Julie (Virginie Efira) et surtout Laurent (Tahar Rahim) se mettent à chanter…
Le film est en effet par moment sacrément conceptuel, mais le manque d’affect ne laisse parfois la place qu’à une étrangeté, façon la troupe des « farfadets de Limoges » dans les petites annonces d’Elie Semoun, qui dans la même minute, se marrent, pleurent et font « hahahahahaha », laissant au bas mot interrogatif le spectateur. Don juan raconte également une confusion sacrément intéressante entre la vie de l’artiste et celle de l’homme, qui fait un peu penser entre autres à ce qu’a vécu Jim Carrey dans Man on the moon (1999) de Milos Forman, où l’acteur a nié sa personnalité au profit du rôle qu’il incarnait. Mais c’est aussi bien sur et surtout l’histoire d’un amour complétement fou et hypnotique qui vient hanter Laurent, ne lui laissant aucun répit, et à nous non plus. Psychose amoureuse, il voit Julie partout, et le fil de sa vie à lui va dépendre d’un battement de cils à elle. C’est terriblement réaliste et bouleversant en cet aspect.
Tahar Rahim livre une prestation de haute sensibilité, dans le rôle de cet amoureux tourmenté, qui se fait donc jeter de partout, dans l’esquisse d’une folie douce, le délire amoureux qui prend une forme hallucinatoire. Dans un rôle complexe, son jeu est très puissant, il nous touche et réussit là une performance importante pour lui pour la suite, à n’en point douter. Virginie Efira est toujours aussi magnétique, dans un style toujours aussi réaliste, pour également un rôle complexe, ne serait-ce que dans la multiplicité des femmes qu’elle joue dans les délires de Laurent. Son registre du mépris est assez époustouflant. Alain Chamfort, dans une figure de commandeur d’outre-tombe est une incarnation troublante et bouleversante du chagrin. Sa prestation est forte, étonnante et un peu comme son personnage, il nous hante après la projection….
Au final, si une forme de « gênance » est parfois effleurée, non pas d’un trop plein de sentimentalisme, mais plutôt dans la façon de déployer celui-ci, le talent, l’engagement du casting, et un charme très esthétique opèrent, sans doute celui d’un « film Don Juan », qui peut séduire le spectateur.
Réalisé par: Serge Bozon
Casting : Virginie Efira, Tahar Rahim, Alain Chamfort…
Genre: Comédie musicale, Comédie dramatique
Sortie le: 23 mai 2022
Distribué par: ARP Sélection
BIEN
Catégories :Critiques Cinéma, Festival de Cannes 2022, Les années 2020