SYNOPSIS: Lara, 15 ans, rêve de devenir danseuse étoile. Avec le soutien de son père, elle se lance à corps perdu dans cette quête d’absolu. Mais ce corps ne se plie pas si facilement à la discipline que lui impose Lara, car celle-ci est née garçon.
Girl est une sorte de pur film Cannois. D’abord, car il a été développé dans le cadre de la Cinéfondation de Cannes en 2016. Deux ans plus tard, le film est sélectionné dans la catégorie Un Certain Regard au Festival, d’où il repart avec le Prix d’interprétation pour Victor Polster et la Caméra d’Or, qui récompense le meilleur premier film. Le film et son interprète furent la révélation, tel un choc du Festival 2018. Il y a ceux qui peuvent dire « j’y étais« …. Son réalisateur, Lukas Dhont est comme son film, mature et profondément intelligent. Girl contourne sans mauvais jeu de mots tous les clichés du genre, et impressionne par sa lumière, sa grâce, et la puissance émotionnelle infinie ici déployée, c’est puissamment beau et fort, c’est organique. « Tu es déjà tout ce que tu seras alors » entend à un moment Lara, confronté à ses doutes. L’épreuve des vestiaires, la confrontation aux autres, donc à soi et qui se retrouvera lors des chorégraphies. L’art de la maîtrise de son corps et l’exigence de la perfection que requiert la danse classique plongent Lara dans une série d’épreuves initiatiques vertigineuses. Les pointes, la ligne du cou, la tête droite, plié, côté, pas de bourré… L’alliance de la grâce et de la force. Le corps, encore, tournoie, s’affole et virevolte. Elle est déjà une étoile dans ce dédoublement d’efforts qui doit être le sien. Le talent est une obligation, la survie sera ensuite sacrificielle. C’est plus dur que l’école de la vie, plus dur que la vie. D’emblée s’installe une sensualité brulante et une sensibilité totale dans cette variation entre deux corps pour une seule et même identité. C’est tout de suite le bouleversement de l’intime qui nous saisit. Un trio familial très touchant. Sans qu’elle soit évoquée, l’absence en ellipse de la mère semble renforcer encore plus cet amour si puissant. Il n’existe pas un plan sans Lara. Sa présence est magnétique, pop et moderne. Le spectateur est en amour.
Quand son père, moderne, drôle, courageux, super héros de compréhension et d’humanité, dédramatiseur en chef, en un mot, super papa, console sa fille qui doute, en lui parlant du courage qui est le sien, elle répond : « J’ai pas envie d’être un exemple, j’ai juste besoin d’être une fille« . Tout est dit. Les ennemis sont partout, soi, son miroir, les autres, les vestiaires, on le redit, on le martèle. La couleur, les plans avec une caméra qui saisit chaque instant et mouvements de Lara en la mettant toujours au centre, l’esthétique de la photo, donnent une dimension poétique dans le non-dit à Girl. C’est clairement une merveille de mise en scène. En attendant l’opération, Lara est locataire d’un corps qui n’est pas le sien, dans une aspiration de danseuse étoile, où l’apparence est un quotidien. Les failles sont corporelles, mais aussi tellement ancrés, viscérales. Le film est tripal, il nous subjugue d’une folle émotion qui nous tenaille, nous tiraille, nous bouleverse. Il nous demande qui nous sommes vraiment, entre singularité et multiplicité et jusqu’où nous sommes prêts à aller dans un accomplissement insensé de nos rêves. C’est un film sur l’excès, sur les dangers de la sur-maîtrise, sur le besoin du lâcher prise. Il interroge nos identités, il interroge le monde.
Girl n’est pas faussement pudique, il a le mérite à la fois de suggérer, mais aussi de montrer, et au travers de Lara, c’est toute une génération qui doute, dans un vertige planétaire anxiogène. C’est aussi évidemment la force d’un cinéma militant, mais jamais criard ou démonstratif, qui très certainement peut servir de modèle, de point d’appui, de référence à toutes celles et ceux engagés dans une démarche transgenre, dans une société bien moins prête et ouverte qu’elle ne laisse à penser. La performance de Victor Polster dans le rôle de Lara est un chef-d’œuvre à elle seule. Entre âpreté terrible et furieuse beauté, la récompense individuelle non genrée à Cannes en 2018 vient consacrer une prestation solaire, hors norme, c’est juste du prodige.
Malgré ce talent écrasant, on a aussi envie de parler de Arieh Worthalter, qui joue Mathias, le papa super héros de Lara. D’abord car on a tous envie d’avoir ou d’être ce papa-là, ou les deux. L’acteur est pleinement investi dans sa partition, et apporte une juste présence qui est au niveau de la virtuosité de l’œuvre. Girl est d’une élégance folle, c’est captivant et on en sort ébranlé, comme touché par la grâce pour un film d’une sincérité brute, d’une intelligence rare, d’une affectivité tendre et ouverte sur le monde. C’est novateur, tourné vers l’autre. Du cinéma comme ça, on en veut tout le temps, on voudrait être ce cinéma-là. Juste, merci….
Réalisé par: Lukas Dhont
Casting: Victor Polster, Arieh Worthalter, Oliver Bodart …
Genre: Drame
Sortie le: 10 Octobre 2018
Distribué par: Diaphana Distribution
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Catégories :Critiques Cinéma