Critiques Cinéma

LA FEMME DE TCHAÏKOVSKI (Critique)

SYNOPSIS: Russie, 19ème siècle. Antonina Miliukova, jeune femme aisée et brillante, épouse le compositeur Piotr Tchaïkovski. Mais l’amour qu’elle lui porte tourne à l’obsession et la jeune femme est violemment rejetée. Consumée par ses sentiments, Antonina accepte de tout endurer pour rester auprès de lui. 

Kirill Serebrennikov est souvent évoqué comme “l’enfant terrible du cinéma russe”. Il fut assigné à résidence depuis 2017 à Moscou, du fait d’une dissidence au pouvoir en place. Au début de l’atrocité actuelle, il a pu quitter Moscou. Sa mère est ukrainienne… Cet homme de théâtre avait déjà marqué de son empreinte le festival de Cannes, notamment en y proposant Leto (2018) et La Fièvre de Petrov (2021), tous deux encensés par la critique. Cette fois-ci, il extrait du formol l’histoire d’Antonina Milioukova, la femme de Tchaïkovski, sorte de prétexte, de caution d’acceptabilité pour dissimuler l’homosexualité du génie compositeur. Selon, le réalisateur, “Ce n’est pas un biopic, Tchaïkovski n’est pas le personnage principal. C’est un film sur quelques épisodes de sa vie et sur une femme qui était obsédée par lui”. Clairement, le film, au-delà de son aspect fresque romanesque s’inscrit hors d’un certain classicisme auquel on pouvait s’attendre dans une lecture qui ne connaissait pas encore la proposition. En effet, il est ici avant tout question d’une exégèse de la folie dans l’amour, qui est disséqué au scalpel dans cette furieuse obstination d’Antonia au bord de la psychose la plus totale. Elle se confrontera à la perte, aux mutilations, à toutes les humiliations pour demeurer Madame Tchaïkovski. Les épreuves seront terribles, on souffre avec elle. Rien ne lui sera épargné dans le souci du micro détail de Serebrennikov. C’est du cinéma d’ampleur, total, comme un embrasement permanent.


L’obsession d’Antonia s’exprime magistralement dès le début, dans la toile amoureuse qu’elle tisse pour parvenir à son dessein de rapprochement du compositeur hors normes. Elle est fascinée par le statut, l’inspiration, le génie, mais le film la montre aussi profondément aimante, c’est du brut, du brutal, de la violence et c’est très fort. Lui, desaffective d’emblée le lien, et se marie comme on signe un contrat de location. Le drame est noué, dans ce terrible et universel décalage du lien amoureux. Elle le veut comme la bascule de son existence, sur ce qui va enflammer ses jours, là ou en face le mépris sera total et glaçant. Pour déployer une telle dramaturgie, le réalisateur de génie lui aussi, ne lésinera pas sur les moyens de mise en scène, avec une succession de peinture vitriolée, pour un cinéma organique, ou il est question de sang, de sexe, de cris et de larmes, et où la caméra va nous perdre dans des méandres parfois aux confins du supportable moralement. Mais avec la virtuosité qu’on lui connait, que c’est tournoyant et vivifiant. Que l’on aime ou pas le bonhomme, on ne peut pas ne pas lui concéder une densité éthique et flamboyante dans sa façon de faire du cinéma. Le vertige et le tragique de ce désordre amoureux éminemment bouleversant est servie par une narration fleuve, où chaque scène est un film, et chaque film un petit miracle, force des cinéastes à part.


Ensuite, c’est un déroulé de puissance : la reconstitution, la photographie, les dialogues, les histoires dans l’histoire, on en tournerait presque de l’œil, tant il met tout… Ça déborde, mais avec grâce et on ne s’en lasse pas. Les 02h23 passent comme un souffle, même si l’on en sort essoré. Pour une raison simple…. Sur toute la longueur, on vit avec Antonina Miliukova, et elle est épuisante d’amour. Pour que le geste cinématographique fonctionne, il fallait une interprétation folle. C’est pleinement le cas avec Alyona Mikhailova, une quasi inconnue de 26 ans, qui livre un diamant d’interprétation. Elle écrase tout, elle emporte tout et nous avec. C’est un régal et ça fera école, on a juste envie de la remercier de faire passer un tel panel d’émotions. Comment ne pas voir dans ce que nous conte Serebrennikov dans La femme de Tchaïkovski  une terrible métaphore de l’asservissement, celle de la dévotion mortifère d’un peuple à son pouvoir, aussi maléfique et barbare soit-il… C’est du cinéma intelligent et vibrant, on en redemande.

Titre original: ZHENA CHAIKOVSKOGO

Réalisé par: Kirill Serebrennikov

Casting: Odin Lund Biron, Alyona Mikhailova, Ekaterina Ermishina …

Genre:  Drame, Biopic

Sortie le: Prochainement

Distribué par : Bac Films

4,5 STARS TOP NIVEAU

TOP NIVEAU

 

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