Critiques Cinéma

EO (HI-HAN) (Critique)

SYNOPSIS: Le monde est un lieu mystérieux, surtout vu à travers les yeux d’un animal. Sur son chemin, EO, un âne gris aux yeux mélancoliques, rencontre des gens bien et d’autres mauvais, fait l’expérience de la joie et de la peine, et la roue de la fortune transforme tour à tour sa chance en désastre et son désespoir en bonheur inattendu. Mais jamais, à aucun instant, il ne perd son innocence. 

EO est un remake de Au hasard Balthazar (1966) de Robert Bresson où il est clairement question de faire de l’Âne un saint. Témoin dans un regard profondément humain de la déchéance et déliquescence d’une humanité que l’Âne va juger en silence. Jerzy Skolimowski, le réalisateur est bien connu sur la croisette. Il remportait le Grand Prix du Festival de Cannes en 1978 pour The Shout, puis celui du meilleur scénario en 1982 avec Moonlighting avec notamment au casting Jérémy Irons. Il est à noter que Skolimowski a interrompu sa carrière de réalisateur pendant 17 ans de 1991 à 2007 pour se consacrer à la peinture. Il reviendra pour Cronenberg et jouera (car il est aussi acteur !!) dans Les promesses de l’ombre (2007). Son cinéma incarne une forme de nouvelle vague à la Polonaise, lui-même se disant inspiré par le cinéma de Godard. La rencontre entre ce que l’Âne va nous dire et le cinéaste polonais est prometteuse tant l’on connaît le talent de l’artiste pour livrer une vision du monde sans concessions et incisive. Dès les premières images de EO, l’on a envie de pleurer chaque seconde sans trop savoir pourquoi. Ça s’appelle l’art dans sa subjectivité, ou la conjonctivite… Partons pour la première option. Avec ce que traverse d’abominable humanité pendant les 01H26 du film, cet Âne devient le signe des temps. Quel coup de sabot, quel génie… Une terrifiante allégorie de notre folie totale, de nos massacres ordinaires. Et une réponse : la nature, la vie et l’amour. Cet Âne, c’est la vie, c’est grandiose et c’est sublime. Son braiment de désespoir est le cri d’une humanité qui se meurt. Dans EO , sans jugement, sans manichéisme ni schématisme, l’humanité est crasse là où l’Âne est grâce. L’homme est déployé dans sa violence du quotidien, dans son mécanisme journalier de destruction de la beauté du vivant. Cette patte environnementale est servie par des images de nature à couper le souffle d’une intense virtuosité. A mesure de son cheminement, l’Âne est presque toujours dans le plan, de multiples décors naturels renversants de pureté, de jeux d’ombres et de luminosité.



Jerzy Skolimowski joue également sur des effets visuels multiples, déroutants, empreints d’un certain nombre de bizarreries, avec comme une vision industrielle, saccadée, une musique assourdissante, comme des coupures, qui entravent un parcours et qui mène irrémédiablement au pire. Mais surtout, l’Âne est confronté au fléau de l’indifférence comme un rapport social ancré, dont chacun peut faire l’objet, mais dont lui est un parfait réceptacle, un miroir sur les hontes du monde. Entendu à un moment : « Ce n’est qu’un Âne« . Il est petit, gris et soi-disant laid, face au branleur crâneur et majestueux cheval, objet de toutes les attentions. C’est en fait une formidable et inquiétante métaphore de la négation de l’altérité. Il est le migrant, le gros, l’handicapé, l’autre… Son périple est la métaphore d’une vie avec ses « quelques joies, très vites effacées par d’inoubliables chagrins ». Comme s’il allait fatalement finir en rondelles de salami… Mais il aura au moins appris à aimer avant…. Il y a cette apparition lunaire d’Isabelle Huppert, complètement improbable, un peu à la Jospin dans Le nom des gens  (2010). Elle participe à l’aspect parfois loufoque, baroque et foutraque de la proposition, terriblement humaine. La vision apocalyptique du monde de l’Âne dans EO  élargit la vision… des Cévennes de l’Âne Patrick dans Antoinette dans les Cévennes (2020).



Difficile de dire un mot sur le casting, tant l’Âne prend toute la place et ne fait finalement que croiser un désœuvrement, sans possibilité d’ancrage. Mais lui est désarçonnant d’humanité, ses yeux nous parlent, sa respiration nasale nous dit tellement plus que n’importe quelle sublime poésie ou discours fondateur. L’Âne de Skolimowski est tendrement humain et on se dit que l’Oscar du meilleur acteur ne pourra pas lui échapper l’an prochain. Il y a forcément quelque chose de différent avec ce film, qui questionne l’humanité dysfonctionnelle et qui répète inlassablement sa barbarie journalière. En attendant le pire qui n’est jamais très loin, l’Âne aura rendu votre vie plus belle tant ce cinéma, si vous avez la chance d’être touché par lui, transforme cette proposition audacieuse et renversante en chef-d’œuvre.

Titre Original: EO

Réalisé par: Jerzy Skolimowski

Casting: Sandra Drzymalska, Isabelle Huppert, Lorenzo Zurzolo …

Genre: Drame

Sortie le: Prochainement

Distribué par: ARP Sélection

CHEF-D’ŒUVRE

 

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