Critiques Cinéma

THE TRUMAN SHOW (Critique)

SYNOPSIS: Truman Burbank mène une vie calme et heureuse. Il habite dans un petit pavillon propret de la radieuse station balnéaire de Seahaven. Il part tous les matins à son bureau d’agent d’assurances dont il ressort huit heures plus tard pour regagner son foyer, savourer le confort de son habitat modèle, la bonne humeur inaltérable et le sourire mécanique de sa femme, Meryl. Mais parfois, Truman étouffe sous tant de bonheur et la nuit l’angoisse le submerge. Il se sent de plus en plus étranger, comme si son entourage jouait un rôle. Pis encore, il se sent observé. 

Revenir à l’année 1998, c’est faire un saut dans un passé proche et pourtant si lointain désormais. C’est revenir à une époque où l’internet grand public en était encore à ses balbutiements, ou l’affaire politique de l’année fut le “Monicagate” et la première émission de télévision mettant en scène des anonymes en les filmant 24/24h aka “Big Brother” ne sortirait que l’année suivante au Pays Bas. Il est donc intéressant de se replonger avec du recul dans The Truman Show, conte d’anticipation sur le concept de téléréalité, véritable phénomène culturel de l’époque jouissant toujours d’une belle côte d’amour du grand public mais désormais un peu tombé en oubli auprès des cinéphiles. Restons en 1998 encore un instant, The Truman Show est un succès public et critique considérable, Jim Carrey qui a explosé 4 ans auparavant avec ses bouffonneries dans Ace Aventura s’aventure justement pour la première fois dans un registre dramatique qui va ironiquement lui sourire (récompensé par son premier Golden Globe), le réalisateur/scénariste Andrew Niccol devient la nouvelle coqueluche du tout Hollywood après le succès l’année précédente de son 1er film: Bienvenue à Gattaca (rendu possible par la vente du script du Truman Show) et le confirmé cinéaste australien Peter Weir signe ici le deuxième plus grand succès de sa carrière au box office 13 ans après le poignant Witness… A l’orée des années 2000, The Truman Show est alors considéré comme une œuvre culte des années 90’s, régulièrement citée et parodiée et faisant partie intégrante de la culture populaire de l’époque.

Revenons en 2018, les aventures de Truman Burbank sont un peu tombées en désuétude dans une époque où les programmes de téléréalité sont quotidiens et où les réseaux sociaux omniprésents permettent à n’importe qui de raconter sa vie au monde entier. Si le film reste culte pour une poignée de spectateurs fans de Carrey ou Weir, le film et son message apparaissent datés, depuis supplantés dans la pop culture par un film sorti seulement un an à peine après The Truman Show et ayant pour thème commun le concept de “simulacre de vérité” à combattre: Matrix. Il est vrai que les deux films ne boxent pas dans la même catégorie, l’un jouant la carte de la satire mélo doté d’une esthétique rétro quand l’autre, révolution visuelle du blockbuster faisant la synthèse entre le cinéma d’action américain et asiatique, balaye tout sur son passage dans un trip cyberpunk, véritable bouillon de la culture des années 2000 qui émergera avec l’avènement d’internet. Mais c’est là qu’est la première erreur qui frappe au revisionnage de The Truman Show: les comparatifs au Big Brother (d’Orwell cette fois ci), Matrix ou à l’allégorie de la caverne de Platon sont aussi pertinents qu’évidents mais le propos et la force de frappe du film est à chercher ailleurs. Que nous raconte la paire Weir/Niccol avec l’histoire de Truman Burbank ? C’est justement dans le nom de notre héros qu’est présent une des clés de compréhension de l’œuvre. Pour le prénom, l’évidence frappe tout de suite, il est le seul à ne pas jouer ou mentir de l’histoire, le “true man” dans l’immense machination qu’est le Truman Show. Mais c’est surtout le nom de famille donné au premier enfant adopté de l’Histoire par une compagnie (dans l’histoire du film) qui intrigue ici: Burbank. Pour ceux qui l’ignorent, Burbank est une ville du comté de Los Angeles au sein de laquelle on retrouve notamment les sièges et studios de Disney, la Warner Bros, ou encore le groupe multimédia NBC. Si dans l’imaginaire collectif, on rattache la Cité des Anges au quartier d’Hollywood pour son aspect de capitale mondiale du divertissement et des médias, c’est en réalité dans celui de Burbank que la majorité de la production “hollywoodienne” se joue depuis des années.

Si la critique de la téléréalité et de ses dérives reste LE sujet du film retenu dans la mémoire collective, on peut avec le recul percevoir un second degré de lecture nettement plus large contre une société du spectacle oppressante nous abreuvant d’images jusqu’à plus soif, d’Hollywood aux chaînes d’informations en continu. Ces images qui perdent de leurs valeurs, gloubiboulga difforme ou une réalité fictionnalisée à l’extrême le dispute à une fiction cherchant de plus en plus le réalisme à tout prix, dans une croissance au sensationnalisme devant répondre à la sacro-sainte loi du marché de l’audimat, du box office ou du like (dans une version plus contemporaine). Tout le film, de sa scène d’ouverture sous forme de faux générique du fameux tv show à sa scène finale montrant des téléspectateurs va constamment nous interroger sur ce que l’on regarde. En multipliant les axes et les mouvements de caméra improbables, Weir ne fait pas que singer les codes télévisuels de l’époque, des zoom/dézoom issus des reportages aux travelings panoramiques des sitcoms en passant par des choix de cadres directement inspirés du monde de la publicité. En déplaçant l’esthétique “télévisuelle” auquel le spectateur est habitué quotidiennement dans un cadre cinématographique, Weir créé un sentiment de malaise palpable face à l’artificialité de ce monde construit de toute pièce. En jouant avec ce concept de plus grand studio du monde doté de 5000 caméras, il instaure une multiplicité des points de vue qui interroge notre perception de spectateur sur le vrai et le faux. Sommes nous spectateur à côté de Truman, au dessus de lui tel le spectateur du Truman Show ou assistons nous à une déconstruction en règle du Truman Show et du monde qui l’entoure d’un point de vue omniscient ? La mise en abyme est constante mais aussi roublarde.


Ainsi, au détour du 1er acte, le script délaisse le faux show télévisé pour nous en montrer les coulisses, déroulant la mécanique de la mise en scène que nous avions subi jusqu’ici pour mieux nous l’imposer dans le dernier acte, souvent décrié pour laisser de côté le propos critique et tomber dans le mélo sirupeux. Mais en faisant ce détour dans les coulisses de l’émission, c’est comme si Weir nous invitait sur le plateau de son propre film pour nous expliquer les codes de sa mise en scène (dans un premier temps, il avait envisagé lui même de jouer le rôle de Cristof pour pousser le vice du méta à son paroxysme) et le but recherché par tel mouvement de caméra ou telle réplique. C’est une démonstration à la limite de l’absurde sur la manipulation que produit la mise en scène, puisque le film va monter crescendo dans le drame et l’émotion pour imposer au spectateur son message. En explicitant le contrôle du storytelling par l’artiste (soit sur sa création, soit sur le spectateur de ladite création), simili Dieu ayant droit de vie ou de mort sur l’œuvre qu’il produit, la mise en garde s’applique autant à un futur terrifiant du divertissement de masse imaginé par Niccol que dans le pouvoir des histoires et des images, capable de créer des “réalités” parallèles aux yeux du spectateur et d’orienter ainsi autant ses pensées que ses émotions. Tout à fait conscient d’être le serpent qui se mord la queue, le film a d’ailleurs l’intelligence de critiquer sa propre écriture par un faux “happy end” ne se concluant non pas par le parcours de son protagoniste mais sur les spectateurs du show (et par extension le public du film), zappant sur un autre programme. Démonstration cynique au possible que l’indignation sélective et la mémoire courte ne font pas bon ménage et que même la meilleure critique d’un système pourri de l’intérieur ne peut changer grand chose si le spectateur passif ne se remet jamais en question, s’imposant ainsi comme une ode à l’esprit critique. Pour dérouler ce plaidoyer, Weir utilise l’intégralité des armes que le médium cinématographique peut lui offrir, parfois de manière peu subtile, pour distiller un sentiment d’alerte permanent, autant pour imposer un jeu de piste ludique autour des indices qui mèneront Truman sur le chemin de la liberté que pour inciter le spectateur à réfléchir sur ce qu’il regarde. Du décor en carton patte de la fausse ville de Seahaven dont le portail d’entrée rappelle celui des grands studios hollywoodiens (l’inscription latine “Unus pro omnibus, Omnes pro uno” signifiant “un pour tous, tous pour un” indique déjà le programme des festivités) aux noms des fausses sociétés “Omnicom” ou “Goodies”, à celles des rues comme “Lancaster Square”, “Barrymore Road” en passant par ceux, évocateurs, des personnages entourant Truman comme sa femme “Meryl”, son meilleur ami “Marlon” ou son amour de jeunesse “Lauren”, absolument tout indique l’aspect factice et mercantile du show, renvoyant à une imagerie hollywoodienne de rêve pourtant bien éloignée du monde banal et quotidien dans lequel Truman a été plongé toute sa vie. De plus, la mise en scène insiste pour piéger Truman dans le cadre, acculé dans les angles des plans pour montrer son étouffement, multipliant les obstacles visuels sur son bureau pour qu’on ne voit jamais complètement sa silhouette, jouant sur les valeurs de champs pour toujours écraser Jim Carrey face à ses interlocuteurs. Le détail est poussé même dans les costumes de Truman, souvent à carreaux, toujours chargés, une taille trop petite par rapport à sa carrure influençant jusqu’à sa démarche pataude, comme s’il était éternellement emprisonné dans une vie qui ne lui a jamais totalement appartenue. Et comme le diable se cache dans les détails, le tout est filmé en 1:85:1, à savoir le format exploité dans une salle de cinéma se rapprochant le plus du format 16:9 propre aux écrans de télévision.

On notera en parlant de diable que Niccol signe sous ce pamphlet une relecture déguisée et pervertie de la Bible: un trentenaire (si l’on compte le nombre de jours indiqué depuis le début de l’émission dans la première scène) dont toute la vie (privée) sacrifiée devrait provoquer une illumination pour le public. Son géniteur spirituel l’observe constamment depuis le ciel (on notera avec humour que la régie est derrière la lune, dans la “phase cachée” qui nourrit les théories conspirationnistes), l’a créé lui et son monde tel qui le souhaitait et offert en pâture à l’Humanité sans jamais le rencontrer. Le sacrifice pour laver les péchés de son prochain ne passant pas par la crucifixion mais par une rébellion contre Dieu le Père, menant à la mort du Truman Show mais à une renaissance du héros sortant du cocon du studio à la découverte du Nouveau Monde (on notera que le bateau qu’utilise Truman dans son dernier voyage s’appelle le Santa Maria, comme le navire de Christophe Colomb quand il découvrit l’Amérique). Quant à l’élément déclencheur de cette rébellion qui poussera le héros à fuir ce pseudo jardin d’Eden ou rien ne peut lui arriver, il viendra bien évidemment d’une femme “tentatrice” en la personne de Sylvia. Tout cela pour dire que si le film peut donner l’impression de prime abord d’avoir un propos daté, il suffit de creuser un peu pour constater que le propos et la richesse thématique du film est nettement plus élaborée que la “simple” critique de la téléréalité à laquelle The Truman Show est trop souvent réduit.

D’ailleurs, on y retrouve autant les thématiques des films de Capra dans cette célébration optimiste de l’individu capable de faire face à une société en perte de repères, l’interrogation face à l’obsession du succès et la soif de reconnaissance (aussi lambda que se pense Truman malgré un statut de star planétaire, lui même se rêve célébrité au sein de son monde préfabriquée dans des scènes improvisées par Jim Carrey face à un miroir) que celle du cinéma de Carpenter époque Invasion Los Angeles ou ce dernier signait un brûlot politique contre la société de consommation à outrance. Ici le moindre proche du héros se transforme en potentiel placement de produit sur pattes, donnant lieu à des scènes ubuesques ou les acteurs dans un surjeu total récitent des réclames publicitaires en plein milieu de discussions profondes ou de disputes avec Truman. Le rêve de ce dernier est de partir aux îles Fidji ? Pourtant son entourage n’aura de cesse de lui rappeler qu’il a une femme, un travail, une maison, des responsabilités, peut être bientôt un enfant… Au delà la logique du récit ou tout le monde cherche à le retenir au sein du studio (quitte à fabriquer des traumatismes indélébiles) dans sa vie bien rangée, il s’agit d’une critique en règle de l’American dream pourtant si vanté par le soft power américain (dont Hollywood est la quintessence) qui consisterait à être heureux quand on a un jardin à tondre et sa propre voiture. On pourrait enfin, mettre nos analyses de côté un instant pour évoquer la pure émotion que suscite la magnifique partition de Burkhard Dallwitz, l’interprétation toute en retenue d’un Jim Carrey déchirant de justesse à l’inverse d’une Laura Linney au surjeu volontairement terrifiant, en passant par les touchants seconds rôles de Natascha McElhone ou Noah Emmerich. On peut aussi parler du seul acteur arrivant à tenir la dragée haute à Carrey en la personne d’Ed Harris, impérial de contradictions dans son rôle de showrunner aux ambitions divines désavoué par l’œuvre d’une vie cherchant à lui échapper…

Vingt ans après, le (re)visionnage de The Truman Show est entièrement bénéfique à ce film singulier, à la fois témoin d’une époque ou la télévision au sommet de sa puissance pouvait engendrer des craintes à la limite de la dystopie et paradoxalement prophétique de notre époque actuelle où la vie privée est malmenée sur internet, les réseaux sociaux nous transformant en mini “téléréalité” de nous même, toujours en quête de reconnaissance et ou les fake news sont aussi bien prises pour argent comptant que la vérité combattue. Truman nous avait pourtant prévenu de faire attention “au cas où l’on ne se reverrait pas d’ici là”…

Titre Original: THE TRUMAN SHOW

Réalisé par: Peter Weir

Casting: Jim Carrey, Laura Linney,  Natascha McElhone …

Genre: Drame, Comédie, Science fiction

Sortie le: 28 octobre 1998

Distribué par: United International Pictures (UIP)

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