Critiques Cinéma

PETITE NATURE (Critique)



SYNOPSIS: Johnny a dix ans. Mais à son âge, il ne s’intéresse qu’aux histoires des adultes. Dans sa cité HLM en Lorraine, il observe avec curiosité la vie sentimentale agitée de sa jeune mère. Cette année, il intègre la classe de Monsieur Adamski, un jeune titulaire qui croit en lui et avec lequel il pousse la porte d’un nouveau monde. 

Avec Petite nature, Samuel Theis réalise seulement son deuxième long métrage. Il avait préalablement tourné Party Girl (2014), plusieurs fois primés, dont à Cannes pour la Caméra d’or et Un certain regard. Pour une œuvre autobiographique, avec notamment la mère du cinéaste qui tient le rôle principal. S’il assume sa volonté de mettre en images un cinéma du réel, avec Petite nature, Samuel Theis a voulu insister cette fois sur la dimension fictionnelle de sa création. Le réalisateur a pu confier avec pudeur avoir intimement vécu un bout de l’histoire qu’il nous raconte dans Petite Nature. Il trouve notamment ses influences chez L’enfance nue (1969) de Maurice Pialat qui parle en autre de la quête de l’enfance volée… La similarité avec ce qui est déployé dans Petite nature est évidente. Il a voulu capter « la sensualité dans l’image », à l’aune du cinéma d’Andréa Arnold. Petite nature aura reçu le Valois des Étudiants Francophones au festival du film d’Angoulême en Aout 2021. Autant le dire tout de go, Petite Nature est une pépite, une merveille. Avec des moments qui touchent les étoiles, et une virtuosité autant sur le fond que sur la façon dont nous est contée cette déchirante histoire, avec dans la pudeur, une authenticité grandiose.

Dans Petite Nature, Johnny fait l’expérience de la rencontre… Celle avec ce professeur, dont il sent instinctivement que la présence a le pouvoir de le faire basculer. A travers cette nouveauté, il rencontre aussi une classe sociale étrangère à la sienne, qui semble plus équilibrée et inclusive, et dont il veut d’emblée se rapprocher. D’où les multiples questionnements qui traversent l’esprit du jeune garçon et une forme de fascination qui inexorablement s’installe. Johnny, aussi bien ne serait-ce que par son prénom, mais surtout dans ce qui joue avec cette mère seule, a été « parentifé » bien trop vite. Enfant du milieu, il est un substitut éducatif pour sa petite sœur et un éventuel souffre-douleur pour un grand frère qui a déjà basculé dans le rien à tout point de vue. Dans un milieu social égratigné et gratiné… Ou rien n’est épargné…. Johnny est comme prisonnier d’une terrible inconséquence maternelle, ou le paradigme de l’éducation et de la protection est inversé. Aux yeux d’une mère, dont par des brulantes ellipses, on devine le propre cassage dans le parcours, il est objet et non sujet. Le désordre affectif et la confusion des places est manifeste pour le jeune garçon, qui va faire comme il peut dans une construction psycho-affective pleinement entravée. Dans l’incroyable série Anna (2021) de Niccolo Ammaniti, l’on perçoit tragiquement les conséquences désastreuses de cette absence parentale.



A cet égard, dans ce total oublie de sa parentalité, la maman de Johnny fait parfois penser à Sara Forestier dans le sublime Suzanne (2013), laissant un enfant dans un total dénuement émotionnel. Cette mère / enfant va de fait, dans sa béance œdipienne générer un enfant / homme. Elle peut d’ailleurs lui asséner « Tu vas arrêter d’être fragile comme ça  »… Tout est là… La responsabilité incombe à l’enfant. Enfant qu’il n’est plus, car il n’est donc pas élevé. Il va devoir devenir solide tout seul, car dans ce mode éducatif qui n’en est pas, le grandissement est décrété et non accompagné. La façon dont elle dit à un moment « Il est beau mon fils hein » en s’effondrant ivre morte peu de temps après… vient ici nous dire que Johnny n’est qu’un prolongement, mais n’existe pas réellement. Le garçon, qui perçoit pour lui-même le caractère délétère du manque, va donc légitimement tester l’altérité auprès de son professeur, qui semble différent, venu d’ailleurs. Et sans qu’il ne le sache initialement, en effet, Monsieur Adamski dans son approche, y compris corporelle va bouleverser de bien des façons les codes du petit homme, car il n’avait pas perçu à quel point il était en porcelaine. Pourtant, rien que le contact physique d’une prise de pouls ou d’un trajet en moto entre Monsieur Adamski et Johnny bouleverse intimement le garçon. Il est si carencé, si mal et peu aimé que cette manifestation soudaine d’intérêt va lui faire ressentir une affection dont il ne saura que faire tant il est comme désespéré d’amour… Et à son âge, cette détresse affective vous renverse.



Au gré de cette expérience, il y aura pour notre héros une rage de vivre, de vaincre, de briser comme des chaînes d’une assignation et d’une prédestination sociale. Sa détermination maladroite mais profondément ancrée est véritablement poignante, c’est un cri…. La lumière et les effets de contraste dans Petite nature permettent au film de s’élever encore plus… Le clair/obscur est fabuleux filmiquement entre une nature verdoyante de fin d’été parfois jaunissante, et une dureté plus bétonnée d’une cité forbachoise comme figée dans une réalité sociale assez glacée. Cette technicité et ces pauses salutairement naturalistes dans le film nous disent que tout n’est pas gris car l’espoir et la candeur de la blondeur des cheveux d’Aliocha Reinert se confondent avec une nature d’arrière-saison lumineuse qui ouvre le champ d’un possible ailleurs… Comme une suspension des stéréotypes plombant, inhérents à ce type de récits. La performance artistique de Antoine Reinartz, presque seul acteur de métier sur le tournage (avec Izia Higelin) est troublante en émotion et en sensibilité. Mélissa Olexa, la mère, femme de ménage à la ville, pousse la force et l’authenticité de son interprétation jusque dans ses intonations vocales. Elle a été castée «  sauvagement », moment où naissent parfois comme des évidences… Et puis il y a Aliocha…. Sa performance est tout simplement hors normes et complètement inoubliable…. Il écrase tout…. Magnétique, lumineux, troublant, les adjectifs sont à ré-inventer pour une telle prestation, tant il envahit l’espace et peut vous tirer les larmes… Il y a comme une infinie profondeur et une saisissante émotion dans les nuances azurées de son regard. Aliocha, en dehors « d’aimanteur à caméra », fait de la danse contemporaine et classique… Et clairement, le moindre de ces mouvements dans le film est délicat et chorégraphié… C’est une interprétation majeure et qui, souhaitons-le, n’a pas fini de faire parler… Petite nature est puissamment beau dans cette affirmation d’émancipation. Le film est traversé par d’immenses et innombrables moments de véritables grâces cinématographiques. Du haut de ses 14 ans maintenant, Aliocha résume ainsi le film mieux que tout ce que l’on pourra écrire : « C’est un moment de grand questionnement sur la vie ». Il a 1000 fois raison, c’est monumental, les caméras pleurent encore… C’est poétique, c’est vrai, c’est en ce moment dans les salles !!!

Titre original: PETITE NATURE

Réalisé par: Samuel Theis

Casting:  Aliocha Reinert, Antoine Reinartz, Mélissa Olexa …

Genre:  Drame, Comédie

Sortie le: 09 mars 2022

Distribué par : Ad Vitam

4,5 STARS TOP NIVEAU

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