SYNOPSIS: Basé sur des événements réels, le film dévoile d’anciennes hypothèses sur le dernier duel judiciaire connu en France – également nommé « Jugement de Dieu » – entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris, deux amis devenus au fil du temps des rivaux acharnés. Carrouges est un chevalier respecté, connu pour sa bravoure et son habileté sur le champ de bataille. Le Gris est un écuyer normand dont l’intelligence et l’éloquence font de lui l’un des nobles les plus admirés de la cour. Lorsque Marguerite, la femme de Carrouges, est violemment agressée par Le Gris – une accusation que ce dernier récuse – elle refuse de garder le silence, n’hésitant pas à dénoncer son agresseur et à s’imposer dans un acte de bravoure et de défi qui met sa vie en danger. L’épreuve de combat qui s’ensuit – un éprouvant duel à mort – place la destinée de chacun d’eux entre les mains de Dieu.
Le Dernier Duel marque les retrouvailles du duo Ben Affleck-Matt Damon qui signe son premier scénario en commun depuis leur Oscar pour Good Will Hunting il y a vingt-quatre ans. De manière étonnante ils quittent leur Boston natal pour s’intéresser à la France du moyen-âge avec ce récit d’un des derniers duels judiciaires inspiré d’un roman « Le Dernier Duel : Paris, 29 décembre 1386 » d’Eric Jager. En fait ce ne sont pas les minutes de l’évènement ou les règles des joutes qui les intéresse mais à travers l’étude du rôle de la femme au Moyen-Age et des échos qu’il trouve encore aujourd’hui dans notre société marquée par un retour des luttes féministes dans le sillage du mouvement #Metoo d’aborder de les thèmes du patriarcat, du consentement et de la masculinité toxique. En effet le motif de la dispute entre deux anciens amis est l’accusation de viol portée par l’épouse de l’un d’eux contre l’autre, met le personnage de Dame Marguerite, incarnée par Jodie Comer la révélation de la série Killing Eve, au centre d’un récit dont la structure s’inspire du Rashomon de Kurosawa pour nous présenter la version de mêmes évènements via la vision de chacun des participants : d’abord le mari, le chevalier Jean de Carrouges qu’incarne Matt Damon puis celui de l’accusé l’écuyer Jacques Le Gris interprété par Adam Driver (après que des problèmes d’agenda aient contraint Ben Affleck à renoncer au rôle pour occuper comme dans Will Hunting un second rôle important) pour enfin livrer la version de Marguerite et nous révéler l’issue de l’affrontement entre les deux hommes. Un combat dans lequel Marguerite joue autant sa vie que son mari puisqu’il doit déterminer la véracité de ses accusations aux yeux de la loi médiévale, une fausse accusation la conduisant au bucher. Afin de se prémunir d’accusations de misogynie, de mansplaining ou de paternalisme les deux stars/scénaristes se sont associés à la scénariste-réalisatrice Nicole Holofcener qui prend en charge le point de vue des personnages féminins. Cherchant un nouveau projet commun depuis leur collaboration sur Seul sur Mars, Matt Damon fait appel à Ridley Scott, étranger ni à cette période qu’il a visité par deux fois avec sa fresque sur les croisades Kingdom of Heaven et sa relecture de Robin des Bois, ni à la thématique du duel déjà au centre de son premier film Les Duellistes .
Si son nom restera attaché dans l’Histoire du cinéma sans doute à la Science-fiction, dont il a redéfini par deux fois l’esthétique, Ridley Scott « visualiste » hors-pair possède un talent unique pour faire revivre au spectateur des époques lointaines de l’Empire Romain (Gladiator) au haut moyen-âge (Kingdom of Heaven) jusqu’aux guerres Napoléoniennes (Les Duellistes). Dès la scène d’ouverture, il nous montre une période cruelle et impitoyable de l’histoire, où des milliers de personnes se rassemblent sur une place publique pour voir deux hommes se battre à mort pendant que le roi et sa cour regardent avec délice. Il nous transporte littéralement au quatorzième siècle, la qualité de l’immersion ne tient pas uniquement à la richesse de la reconstitution même si évidemment la direction artistique d’Arthur Max, constructeur de monde exclusif pour Scott depuis GI-Jane – il a bâti la Rome de Gladiator ou les cités extra-terrestre de Prometheus (sa seule collaboration en dehors de Scott est avec David Fincher pour Se7en) et les costumes de Janty Yates (de toutes les aventures médiévales de Scott) sont d’une précision qui facilite la plongée dans l’époque. Mais il se dégage un sentiment de contemporanéité grâce à sa direction d’acteurs naturaliste qui, sans basculer complètement dans l’anachronisme (malgré quelques accrocs à la rigueur historique ), fait vivre les personnages de façon très moderne et pas comme des figurants du puy du Fou ou Christian Clavier grimé en serf. Si on est dans un récit de chevalerie (même si il s’agit d’une déconstruction du mythe sous le prisme de la domination masculine) l’univers du Dernier Duel ne se limite pas au fait d’armes, on y voit les paysans à leur travail, l’agitation de la vie quotidienne médiévale, on y évoque les contraintes économiques, la Justice, les rapports sociaux qui ancre cette France de 1386 dans un concret dans lequel les spectateurs de 2021 peuvent s’identifier.
Le scénario emploie une structure tripartite qui débute par un chapitre sur « La vérité selon Jean de Carrouges« , montrant l’évolution de son amitié avec Jacques Le Gris (Adam Driver) née sur les champs de bataille (sanglants) de la guerre de Cent ans jusqu’à ce que leur suzerain, le comte Pierre d’Alençon (Affleck), qui déteste Carrouges, décide de favoriser Le Gris, l’élevant au-dessus de son ancien ami, issue pourtant d’une des familles les plus anciennes et les plus respectées de la région. Quand Le Gris s’empare d’un domaine rattaché à la dot de la nouvelle épouse de Carrouges ce dernier se sent personnellement trahi. Lorsqu’il rentre d’un voyage pour découvrir sa femme aimante, prétendant que Le Gris s’est frayé un chemin dans leur château et l’a violée, il est prêt à risquer sa vie et sa réputation pour faire payer son ancien frère d’arme. Dans cette version, Carrouges, est présenté comme un homme honorable, un soldat courageux, un bon mari aimé et respecté de tous, injustement lésé. Version remise en cause dans un second chapitre qui présente « La vérité selon Jacques Le Gris ». où il apparait comme borné et rustre, ignorant à quel point il est méprisé par ses pairs. Par contraste Le Gris, apparait comme sophistiqué, lettré et intelligent ayant su gagner la confiance du débauché Pierre D’Alencon. Contrairement à ce qu’on pourrait attendre les différences entre les trois récits est très subtile. La description du viol dès la première fois, est présenté sans aucune ambiguïté comme une agression sexuelle y compris dans cette version censée être la plus favorable à l’accusé.Holofcener, Affleck et Damon ne font planer aucun doute sur le caractère non-consensuel de la relation, c’est à travers la réaction de Le Gris – incarnant de fait les hommes de son siècle et au-delà- que l’on comprend sa vision du monde. Pourtant cultivé il interprète son agression violente contre une femme qui proteste comme un acte d’amour passionné. De son point de vue si la victime n’a pu l’empêcher c’est qu’en fait elle le désirait secrètement. Alors qu’on aurait pu craindre que Ridley Scott raconte l’histoire d’un procès pour viol à travers les yeux des hommes impliqués, il pivote sur le personnage de Marguerite, coincée jusque là par deux perspectives qui, malgré leurs différences, adhèrent toutes deux à la vision médiévale du viol non pas un crime contre une femme mais contre les biens et l’honneur de son mari. Son personnage prend tout son sens dans un dernier chapitre qui présente son point de vue qui apparait comme la version définitive des évènements. Seule, Marguerite considère tous les protagonistes comme des humains à part entière, avec leurs qualités et leurs défauts plutôt que comme des propriétés ou des objets. Dans ce chapitre, Holofcener fait émerger un monde de femmes caché à la vue de tous, avec ses propres dynamiques alors qu’elles n’apparaissent dans le récit des hommes que dans la mesure où elles sont pertinentes pour leurs propres histoires.
A l’image du scénario qui change notre point de vue selon le narrateur, la mise en scène recadre en permanence les évènements pour montrer comment ils sont perçus par les différents protagonistes. Scott et son directeur de la photographie Dariusz Wolski (Dark City, Pirates des Caraïbes, Prometheus) changent les angles de vue d’une même séquence à chaque chapitre pour refléter la perspective du narrateur. Ainsi dans les scènes de bataille De Carrouges est d’abord filmé au ralenti en contre-plongée accentuant son coté héroïque mais quand Le Gris raconte la même histoire, Scott recule la caméra pour le faire apparaitre presque insignifiant dans une mer de combattants. De la même façon les mouvements et le positionnement des acteurs dans les scènes dramatiques révèlent des éléments inédits à chaque répétition même si Wolski semble plus à l’aise dans les moments épiques où il peut apporter une véritable identité visuelle. Les comédiens doivent non seulement composer leurs personnages tel qu’ils se voient, mais aussi dans deux versions différentes tel qu’ils existent dans l’esprit des autres protagonistes. Le personnage de Matt Damon est celui qui subit les transformations les plus notables à chaque épisode, pourtant l’acteur trouve néanmoins une cohérence à travers toutes ses itérations du guerrier fier et sur de lui qu’il imagine être, à l’imbécile pathétique et risible du récit de Le Gris au mari plein de ressentiment et jaloux aux yeux de Marguerite. Driver incarne le personnage qui varie finalement le moins au gré des versions, un colosse cérébral, satisfait de lui-même et conscient des ses atouts persuadé d’avoir gagné le droit de revendiquer Marguerite comme légitimement sienne par les mérites de sa propre supériorité. Affleck livre la composition la plus divertissante, teint en blond il va puiser dans son personnage de playboy débauché qui faisait la une des tabloïds dans les années 2000 pour composer un noble libertin , cruel et joyeusement amoral. Le film repose sur la capacité de Comer à injecter de l’humanité dans le personnage de Marguerite avec les expressions les plus subtiles, révélant lentement la douleur, les frustrations mais aussi la joie de vivre de la jeune mariée avant que sa version de l’histoire ne soit racontée.
Mais on attend évidemment l’auteur de Gladiator sur les scènes de bataille et le duel qui donne son titre au film. Après un premier aperçu dans la scène d’ouverture il nous faut attendre jusqu’au vingt dernières minutes pour les scènes de combat à l’épée les plus brutales depuis des décennies, Le dernier duel prouve que personne n’égale encore Sir Ridley Scott, 83 ans au compteur, dans le domaine de l’action médiévale. Il établit une nouvelle norme visuelle pour les combats à l’épée au sol de la même manière que pour la guerre moderne dans Black Hawk Down. Ici pas de combat à la chorégraphie millimétrée comme dans Le Seigneur des Anneaux, ou d’excès de gore à la Game of Thrones, mais un lent combat à mort épuisant et brutal, où chaque coup d’estoc et de taille a un impact visuel, auditif et émotionnel et où le spectateur n’est jamais perdu dans la chorégraphie de l’action. Parce que le spectateur attend évidemment le fameux duel et qu’il est construit sur la répétition des mêmes évènements vus de la perspective des protagonistes, Le Dernier Duel peut parfois sembler un peu long et en dépit de son parti-pris féministe reste une affaire d’hommes. Mais ne boudons pas notre plaisir avec ce récit à la Rashomon au scénario nuancé et complexe, Ridley Scott offre un thriller médiéval post #MeToo parfois un peu long mais marqué par d’excellentes performances de son quatuor de stars, la qualité de sa reconstitution et la puissance de sa mise en scène.
Titre Original: THE LAST DUEL
Réalisé par: Ridley Scott
Casting : Matt Damon, Adam Driver, Jodie Comer, Ben Affleck ….
Genre: Drame, Historique
Date de sortie: 13 Octobre 2021
Distribué par: Walt Disney Company France
TRÈS BIEN
Catégories :Critiques Cinéma
Sommes nous encore de ce monde médiéval .? scénarios encore .induits par les immenses différences culturelles qui surgissent actuellement ., dans les féminicides et divers crimes …