Critiques Cinéma

MR NOBODY (Critique)

SYNOPSIS: Un enfant sur le quai d’une gare. Le train va partir. Doit-il monter avec sa mère ou rester avec son père ? Une multitude de vies possibles découlent de ce choix. Tant qu’il n’a pas choisi, tout reste possible. Toutes les vies méritent d’être vécues.

La structure narrative dites ‘classique’ d’un film est par essence linéaire et est articulée par les personnages qui régissent l’histoire et par les décisions qu’ils prennent pour faire évoluer l’intrigue. Par définition, un film répondant à ces attributs se déroule d’un point A donné (la situation initiale) à un point B (le climax et la conclusion). Exemple : Luke Skywalker est à l’origine un fermier élevé par son oncle et sa tante sur la planète Tatooine (point A) avant qu’il ne soit rattrapé par son destin qui l’amènera à devenir une figure de proue de la Rébellion contre l’Empire et à affronter son propre père (point B). Le schéma classique est la structure la plus exploitée aujourd’hui car elle est celle la plus évidente et la plus limpide pour raconter une histoire en la déroulant simplement. Mais au centre de tout ça se trouve le metteur en scène belge Jaco Van Dormael. Jaco Van Dormael ne voit pas les choses comme le commun des scénaristes, et Jaco Van Dormael peaufine pendant 7 ans le script de son prochain film qui fera suite à ses réussites entreprises avec Toto le Héros et Le Huitième Jour. Débarque alors en 2010 un objet filmique rarissime aux extrémités particulièrement intrigantes qui renverse la structure classique bien connue de tous en la disséquant pour l’étudier sous toutes ses coutures. En 2010, avec son Mr Nobody, Jaco Van Dormael a peut-être fait le Film des films. Si l’on peut vous conseiller une chose à l’approche d’un futur visionnage de Mr Nobody, c’est d’en lire le moins possible concernant sa trame tant les synopsis délivrés par ce merveilleux outil qu’est Internet ont tendance à dévoiler les principales bascules narratives de l’ensemble. Cependant, pour présenter en toute sobriété et en apparence le projet, on peut résumer le film comme un gigantesque labyrinthe où l’on explore avec précision et vivacité toutes les vies potentielles d’un jeune garçon de 9 ans, en suivant toutes les possibilités nées de plusieurs choix qu’il sera amené à faire. Ce Nemo Nobody (littéralement « Personne Personne ») nous emmène alors dans un voyage profond et philosophique à travers la vie, l’univers, le Temps et le cinéma sous toutes ses facettes.



Par sa déconstruction apparente qui morcèle son récit dans une espèce de chaos ordonné où chaque existence trouve sa place, Mr Nobody dresse dès son introduction un mystère total quant au déroulement des évènements. Tout au long du film, Van Dormael va s’amuser à sauter d’une vie (d’une timeline) à une autre, projetant son spectateur au sein d’un immense patchwork enchaînant par à-coups des séquences différentes à de multiples instants de chaque branche pour pouvoir développer son univers qui restera – du début à la fin – centré sur Nemo. Jamais un personnage n’aura autant été le cœur d’un récit, en étant à la fois la cause, la victime et le témoin d’un déroulé aussi chaotique que logiquement structuré à l’extrême. Par cet équilibre dans la bascule qui joue avec les contradictions les plus aiguisées, le film procède à une multiplication hallucinante et complexe des repères et des différentes sous-intrigues avec une aisance si évidente qu’on est baladé dans un confort absolu à travers cet espace-temps intimiste. Par son onirisme et son sens démesuré des trouvailles esthétiques avec lesquels il drape son film, Van Dormael construit une mythologie propre, régie par ses règles intérieures, et qui impressionne de complexité et de limpidité. Ses personnages secondaires, devenant en quelques secondes des figures mythologiques iconographiques, représentent tous à leur façon et par leur habile écriture des symboles au sein de cette toile de fond gargantuesque qui n’omet aucun microscopique détail pouvant nourrir ne serait-ce qu’un peu la diégèse de son récit. C’est ainsi qu’avec une très grande habileté, Mr Nobody se montre par son exécution comme une œuvre d’une singularité rare prenant à revers les codes habituels de la narration pour lui-même devenir une œuvre-somme de tout un tas de sous-intrigues tout droit tirées de films différents, composant ensemble un univers à part entière empreint de sensibilité, de philosophie, de spiritualité et de pensées scientifiques. Car là où le film frappe véritablement, ce n’est pas par son aspect  » assemblage  » qui lui donne cette apparence si particulière ni par son approche plastique magistrale d’exécution et de subtilité, mais bien par les concordances méta qu’il trouve avec tout un pan entier de la production cinématographique. Car Mr Nobody n’est rien de moins qu’une métaphore de l’écriture d’un film.



Pensez-y : on suit un jeune garçon, Nemo, amené à faire des choix au fur et à mesure de sa vie. Chaque choix pose plusieurs possibilités, chaque possibilité créant une nouvelle branche que le film explorera. A travers ses multiples vies, Nemo tombera amoureux d’une fille à un bal de promo, embarquera à bord d’une navette à destination de Mars pour tenir une vieille promesse, s’occupera seul de son père handicapé, prendra malencontreusement la place d’un homme traqué par des tueurs à gages, nourrira une histoire d’amour enflammée impossible avec sa demi-sœur… Tant d’histoires qui déclencheront tant de séquences au sein d’un même film, sautant alors du teen movie au drame familial en un rien de temps, en passant par la science-fiction, le polar ou encore la comédie romantique. Nemo Nobody vit toutes ces vies, les unes en parallèle des autres. Alors oui, il est fort improbable que toutes vos vies potentielles soient aussi mouvementées que les siennes, et c’est bien ce qui distingue ce personnage tellement banal qu’il s’appelle « Personne ». Il n’est personne donc il peut être n’importe qui. Alors pourquoi pas un personnage tampon crée par un scénariste, se triturant le cerveau à la recherche de la meilleure histoire qui pourrait lui arriver ? Mr Nobody, c’est plus de 2 heures d’un scénariste qui explore toutes les pistes pour raconter la meilleure histoire possible de son héros éponyme. Tout ça pour arriver à la conclusion que tout peut être vrai tant que le choix n’est pas fait.



Fable philosophique à l’onirisme et au romantisme interstellaire, Mr Nobody est une réussite éclatante de poésie et de beauté, voyageant en apesanteur à travers des rêves et des tragédies. Au fil de ce parcours déconcertant et semé d’autant d’embuches que la vie peut réserver à tout un chacun, Jaco Van Dormael dévoile tout son talent de raconteur d’histoires et d’artiste plastique à l’imagination débordante de créativité appuyé par son incroyable propension à tirer autant que possible sur les émotions de chacune des scènes. Dans ce labyrinthe de 1001 histoires à travers duquel on se perd avec passion et dévouement, Nemo nous embarque dans une aventure jamais vue nulle part et qu’on aura probablement beaucoup de mal à revoir de sitôt. Incarné par un casting aux aspérités divines qui regorge de talent et d’émotion (Jared Leto, Diane Krueger, Juno Temple, Rhys Ifans, Sarah Polley ou encore Linh Dam Pham composent ce tableau infiniment éclectique et éclatant de justesse), Mr Nobody décolle la rétine autant qu’il stimule l’enfant bourré d’imagination qui sommeille en nous. Sous des aspects de conte merveilleux qu’on écoutait avec passion sous la douce lumière chaleureuse de notre lampe de chevet, l’aventure que nous réserve le long-métrage se montre aussi éclatante que bienveillante, conférant à son récit un aspect métaphysique qui viendra saisir le cinéphile en même temps que le spectateur. Humain, infiniment tendre, vaguement mystique et proprement philosophique dans ses réflexions, Mr Nobody synthétise à lui-même tout un Art, ce 7e qui défraye la chronique autant qu’il inonde de bonheur. A l’image de la vie, donc : dense, un chouïa bordélique, mais toujours lumineux. Jaco Van Dormael a donné naissance à un pur chef-d’œuvre formel qui aura encore pour les prochaines années des centaines de secrets à révéler.

Titre Original: MR. NOBODY

Réalisé par: Jaco van Dormael

Casting: Jared Leto, Sarah Polley, Diane Kruger …

Genre: Fantastique, Science fiction, Drame

Sortie le:  13 Janvier 2010

Distribué par: Pathé Distribution

CHEF-D’ŒUVRE

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