Critiques Cinéma

SANS UN BRUIT (Critique)

4,5 STARS TOP NIVEAU

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SYNOPSIS: Une famille tente de survivre sous la menace de mystérieuses créatures qui attaquent au moindre bruit. S’ils vous entendent, il est déjà trop tard.   

L’un des « gimmicks » les plus éculés du film d’horreur est celui du personnage essayant à tout prix de ne pas faire de bruit, retenant sa respiration, essayant de se calmer ou de calmer son compagnon d’infortune pour ne pas être trouvé par son prédateur, qu’il s’agisse d’un psychopathe ou d’un monstre. Ces scènes font presque partie du cahier des charges de chaque film du genre. De même que Dans le Noir développait son récit et sa mécanique à partir d’un des fondements du film d’horreur, la peur du noir et des monstres qui peuvent en surgir, Sans Un Bruit s’articule autour de cette peur que le moindre bruit vienne révéler sa présence à son prédateur. Prendre ce qui est généralement l’une des scènes les plus angoissantes d’un film d’horreur pour en faire le concept même de son film est sur le papier une excellente idée mais aussi un sacré défi, puisque le film va reposer totalement sur son « ambiance » et l’identification à ses personnages. Aussi excitant soit-il, la durée de vie d’un tel pitch ne dépasserait pas le stade du court métrage sans un très grand travail sur la mise en scène et la direction d’acteurs. Autant dire que le réalisateur qui en hérite se voit en même temps investi d’une sacré responsabilité. L’heureux élu est John Krasinski, lequel fut d’abord appelé pour travailler sur le premier jet du scénario écrit par Brian Woods et Scott Beck et fut tellement emballé, se senti tellement engagé émotionnellement dans cette histoire, qu’il se laissa convaincre par son épouse (Emily Blunt) d’enfiler le costume de réalisateur. Le moins que l’on puisse dire c’est que pour son premier essai dans le genre, John Krasinski franchit la barre avec une assurance déconcertante.

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John Krasinski aborde le genre en appliquant un principe essentiel souvent foulé aux pieds par des réalisateurs qui n’ont pas assez confiance, soit dans le pouvoir de leur mise en scène, soit dans la puissance de l’imaginaire des spectateurs: suggérer plutôt qu’exposer, jouer sur la peur inspirée par l’idée même du « monstre » et du danger qu’il représente, plutôt que sur la réaction d’hystérie provoquée par sa vision. En somme jouer sur une peur viscérale, celle qui se glisse sous votre peau, prend possession de votre esprit, plutôt que sur la peur panique qui vous gagne d’un coup lorsque surgit le « monstre ». C’était l’approche de Steven Spielberg sur Les Dents de la Mer et de Ridley Scott sur Alien et c’est, à nos yeux, l’un des principes cardinaux du genre s’il prétend à être autre chose qu’un tour dans le train fantôme. Sans exposition, sans explication sur ce qui a transformé le quotidien de cette famille en une lutte permanente pour la survie dans un monde dévasté, Sans Un Bruit nous propulse directement au cœur de l’oppressant climat de paranoïa et d’angoisse dans lequel vit ce couple et ses jeunes enfants. Quand le moindre objet renversé entraîne votre condamnation à mort, se ravitailler dans une épicerie abandonnée est aussi périlleux qu’une partie de pêche dans les eaux d’Amity Island (Les Dents de la Mer) et cette introduction est d’une redoutable efficacité. Krasinski ne compte que sur ses mouvements de caméra, que sur ses cadres et sa capacité à capter les sentiments de ses personnages pour rendre palpable cette menace constante qui peut surgir dans le cadre au moindre bruit. Si les personnages sont contraints au silence, Krasinski ne l’était pas et son parti pris est de dépouiller au maximum de mise en scène et, à quelques rares (mais justifiées) exceptions près, de ne pas opter pour la solution de facilité d’une musique venant jouer le rôle de béquille dramatique. Le silence installé dans ces scènes participe pleinement à l’immersion dans le récit et se révèle même particulièrement imposant dans les conditions d’une salle de cinéma.

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John Krasinski ne se contente pas de brillamment mettre en scène la menace qui rôde. Si Sans Un Bruit tire le meilleur parti de son idée de départ et parvient à ne pas l’épuiser, qu’il se révèle extrêmement efficace en terme de tension dramatique, de ressenti de la peur sourde dans laquelle vivent les personnages, il nous a surtout cueilli là où ne l’attendait pas nécessairement. Cela tient à la façon dont Krasinski qui aborde le genre en novice, le traite d’abord par le prisme de ses personnages et du drame qui se joue pour cette famille à laquelle l’identification est totale. Avant d’être un film d’horreur aussi excellent soit-il, Sans Un Bruit est un drame profondément bouleversant dans ses enjeux. Cela peut paraître paradoxal de dire cela, tant beaucoup de films du genre se montrent paresseux en la matière, mais de notre point de vue, la réussite d’un film d’horreur tient aussi dans la qualité de l’écriture de ses personnages et dans la justesse du regard du metteur en scène. Les proies de ces monstres à l’ouïe hyper développée auraient été un petit groupe de survivants lambda, nous aurions probablement placé Sans Un Bruit dans le rayon des meilleurs films d’horreur de ces dernières années. C’était déjà créditer Krasinski d’une belle réussite mais dans les limites de ce genre de films dont on n’emporte finalement peu avec soi une fois la séance terminée (précisons que l’auteur de ces lignes est fan du genre et qu’il n’y a donc pas de volonté de le rabaisser). Quand la mort rode et menace vos enfants, quand le simple fait de donner la vie vous expose plus que jamais, quand chaque joie, chaque douleur doit être étouffée, le récit dépasse largement le genre dans lequel il s’inscrit.

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Sans Un Bruit touche à quelque chose d’universel en faisant de ce couple et de leurs deux enfants le cœur battant du film, le centre d’enjeux qui dépassent leur survie. Il est clair que John Krasinski qui interprète lui-même le rôle du père s’est projeté dans cette histoire et en a ainsi capté toute la dramaturgie. Il n’est nul besoin de savoir ce que faisaient Lee et son épouse, Evelyn (Emily Blunt), avant que ce monde ne se transforme en enfer dans lequel le silence est le seul salut. Le récit est « à l’os », centré sur les enjeux présents, sur la survie, sans chercher à émouvoir par de vains flashbacks sur les jours heureux. Ce que l’on sait de ses personnages, ce qui nous touche en eux est dispensé par la mise en scène et par notre identification (pour peu que l’on soit parent le film est encore plus fort) à leur situation impossible: craindre à chaque minute pour sa propre vie et celle de ceux qui vous sont chers, se sentir impuissant à protéger ses enfants privés de leur innocence, condamnés à un silence tellement antinomique de ce que représente l’enfance et des émotions qu’elle fait vivre. Quand tout passe par le regard, le fait que le couple à l’écran soit un couple à la ville est évidemment un atout de poids: Krasinski et Blunt ne mettent pas un tir à côté de la cible et il semble ne pas y avoir l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre ce qu’ils ressentent intimement et leur interprétation. De fait, alors qu’on aurait pu craindre que Sans Un Bruit soit de ces films high concept qui se dégonflent à mesure que s’égrènent les minutes et que les coutures deviennent de plus en plus visibles, il offre au contraire un crescendo dramatique qui fait s’évaporer les quelques minuscules réserves que nous aurions pu émettre en voulant faire la fine bouche. Quand un film d’horreur vous emporte aussi loin avec lui dans la peur et creuse aussi profondément en vous en terme d’émotion, quand il vous coupe totalement de votre réalité pour peut être mieux vous faire prendre conscience de ce qui reste lorsque tout semble perdu, il ne faut pas garder son emballement pour soi sous prétexte d’une obligatoire mise à distance critique: Sans Un Bruit est un très grand film.

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Titre Original: A QUIET PLACE

Réalisé par:John Krasinski

Casting : John Krasinski, Emily Blunt, Millicent Simmonds

Genre: Thriller, Epouvante-horreur

Date de sortie: 20 juin 2018

Distribué par: Paramount Pictures France

4,5 STARS TOP NIVEAU

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