Au fil des visionnages ou des revisionnages, réflexions sur le cinéma d’hier, d’aujourd’hui ou de demain
Dimanche 28 janvier 2018
Minority Report
Revu Minority Report, toujours un sommet (pour moi, l’un des meilleurs Spielberg). Univers crédibilisé dès les premières minutes, mythologie mémorable, personnages géniaux, propos d’anticipation vraiment dense avec une réflexion passionnante sur le libre-arbitre, action époustouflante avec des décors originaux (l’usine de fabrication de voitures, fallait la trouver !) et des set-pieces ultra inventifs (jusque dans le choix des armes utilisés et des lieux visités). Plein de détails extraordinaires également : les scanners oculaires, le petit bruit des bagnoles, le temple et le lait phototonique dans lequel baignent les précogs, les vomitriques, la scénographie des analyses policières des précrimes et les petites notes d’humour, essentiellement visuelles, marchent très bien : Anderton qui atterrit en position improbable en plein cours de yoga, les flammes du jetpack qui brûlent les steaks, même les placements de produits sont intelligemment faits, pour la plupart et parfaitement intégrés à la diégèse (les pubs qui abreuvent John Anderton quand il commence à s’échapper du département Précrime). C’est amusant que Spielberg ait réalisé deux films d’anticipation aussi noirs sur l’Humanité et l’Intelligence Artificielle (A.I, Minority Report) après avoir mis en scènes deux films de science fiction résolument optimistes sur la communication (Rencontres du Troisième Type, E.T). Pour l’anecdote, la petite vidéo de propagande, diffusée au début pour vanter les mérites de Precrime, on dirait qu’elle sort d’un film de Paul Verhoeven. Je n’avais jamais capté auparavant à quel point la mise en scène de Spielberg est complètement déployée au service du propos: la superposition d’images, comme pour témoigner de la superposition de la vision des Précogs par rapport à la réalité et donc de l’altération du libre-arbitre. D’ailleurs, Spielberg parle beaucoup de mise en scène à l’intérieur même du film : le montage par exemple, avec cette analyse des visions et des rushes de la journée pour les emboîter au mieux. Et le soir, quand il rentre chez lui, Cruise/Anderton se confronte aux fantômes du passé – une projection holographique de son défunt fils issue d’un home-movie : dans son évocation du temps, Minority Report lie passé, présent et futur dans un même mouvement. Cruise connaît par cœur ses propres propos issus du home-movie et les répète oralement en matant l’hologramme comme pour maintenir son fils en vie, comme pour conserver un » présent » à travers le « passé ». La séquence du meurtre d’Anne Lively, projetée lors de la cérémonie organisée pour Lamar, on dirait qu’elle sort tout droit d’un film de De Palma : le découpage, la musique stridente, Jessica Harper, la couleur rouge du manteau, le montage parallèle avec la réaction de la foule et donc, par extension, d’un film d’Hitchcock. Minority Report est d’ailleurs probablement le film le plus Hitchcockien de Spielberg. La richesse de ce film est incroyable.
La Guerre des Mondes
Revu La Guerre des Mondes dans la foulée de Minority Report, toujours aussi phénoménal lui aussi. L’action demeure vertigineuse, presque 13 ans après sa sortie ciné. Immense film post 11 septembre, traversé d’un discours politique riche et nourri par le simple pouvoir d’évocation des images. Et des images au fort pouvoir évocateur, il y en a énormément dans ce film : la (première) sortie du (premier) tripode, la rivière parsemée de cadavres, le visage de Ray couvert de poussière, les mouvements de foule en plans larges, les avions crashés au sol. J’adore la focalisation humaine du récit, sorte d’anti-Independence Day qui choisit pertinemment comme protagoniste principal un père de famille issu de la classe ouvrière (pour contrebalancer avec l’ampleur épique de l’invasion extra-terrestre). Ray Ferrier est le même type de père qu’Indiana Jones dans Le Royaume du Crâne de Cristal, un adulte immature qui a bien du mal à faire office de père pour ses enfants à haut potentiel intellectuel. La mise en scène de Spielberg, quasi documentaire par moments, sert à la perfection le propos, voulu authentique, sur le 11 septembre et l’après 11 septembre. La forme au service du fond. J’aime aussi que le récit ne livre aucune explication « externe » sur les extra-terrestres, tout ce qui nous est fourni, ce sont les quelques points de vue, subjectifs, de personnages lambda que Cruise et sa famille croisent. La scène avec Cruise et ses enfants dans le Range Rover rappelle la scène des gamins dans la Jeep dans Jurassic Park : le T-Rex est remplacé par des humains qui tentent désespérément de survivre. La réalisation de Spielberg est structurée pour faire ressentir au spectateur le vécu et le cheminement de Ray, l’immersion est impressionnante. S’il était tourné aujourd’hui, peut-être que Spielberg aurait employé le relief 3D (pour favoriser cette immersion) ?Autant j’adore l’ouverture et la conclusion narrées par Morgan Freeman, parfaitement cohérentes avec le propos du film, autant je n’aime pas trop l’épilogue (un peu en contradiction avec la noirceur de l’œuvre). La clôture renvoie aussi, d’une certaine manière, à Jurassic Park : la Nature peut nous aider à survivre, moyennant qu’on lui en laisse le temps et qu’on ne la maltraite pas.
Lundi 29 janvier 2018
Jusqu’à la Garde
Xavier Legrand parvient à arracher des cris, des larmes et des hurlements avec Jusqu’à la Garde, film poignant sur les violences intra-familiales. Final insoutenable et Denis Ménochet est immense. Pour être tout à fait honnête, j’ai été décontenancé par ce final, intense c’est sûr, mais qui lève l’ambiguïté des liens et des positions de chacun. C’est un film vraiment troublant avec plein de choses que j’ai adoré, notamment dans la mise en scène (pudique et jamais complaisante), mais je reste un peu sur ma faim.
Mardi 30 janvier 2018
Love and Other Lessons
Love And Other Lessons est un peu pour Josh Radnor ce que Garden State était pour Zach Braff : un drame doux-amer névrosé et intime sur l’apprentissage de l’amour et la quête de maturité. Parfois surprenant, mais inabouti et bancal. Le plus surprenant reste la tournure que prend la relation Josh Radnor/Elizabeth Olsen. L’acteur de How I Met Your Mother parvient habilement à éviter certains écueils (de romcom) et reste juste dans ce qu’il décrit du couple.
Gagner ou mourir
Gagner Ou Mourir (Better Off Dead en VO) : sortie un an avant La Folle Journée de Ferris Bueller, cette comédie loufoque met en scène John Cusack (tout jeune) dans une compétition de ski pour reconquérir son ex. Improbable et souvent kitsch mais (vaguement) sympathique par moments.
Arrête-moi si tu peux
La première réplique d’Arrête-Moi Si Tu Peux (« Bienvenue au jeu de la vérité ») annonce la couleur (du programme) : film génialement ludique sur la recherche de la vérité à travers la fiction. L’attachement pour les personnages, le film de Noël Capraien, le jeu du chat et de la souris, la structure du récit … j’adore… Patrick Denham (Kyle Chandler) dans Le Loup de Wall Street me fait penser à Carl Hanratty (Tom Hanks) dans Arrête-Moi Si Tu Peux, l’agent du FBI droit dans ses pompes, obstiné à capturer le voleur (qui cherche à le tromper/le duper. On imagine par ailleurs aisément le couple Baye/Walken représenter les vrais parents de Spielberg, qui met d’ailleurs en scène leur divorce et sa propre réaction d’ado paniqué qui fuit (en se rêvant une nouvelle vie). Dans Arrête-moi si tu peux sont aussi cités Barry Allen/The Flash et James Bond/007, ce qui est cohérent pour un film où il est question de double-vie, de duperie, de recherche de sa propre Vérité à travers l’usurpation d’identité (mais également comme la quête absolue d’un acteur comme DiCaprio ?). On s’amuse et on pleure à voir DiCaprio isolé, cherchant désespérément à constituer une famille et à retrouver un foyer. J’adore le comique des situations (la première confrontation Hanks/DiCaprio vaut de l’or), le polymorphisme des escroqueries, le drame familial sous-jacent, le jeu amusant des comédiens, la délicatesse et la malice du scénario, le sur-éclairage quasi permanent de Kaminski. Spielberg a aussi eu du flair avec le casting féminin, la plupart des actrices de premier plan sont devenues célèbres après le film (Ellen Pompeo, Elisabeth Banks, Jennifer Garner, Amy Adams).
Mercredi 31 janvier 2018
Gaspard va au mariage
Comme un croisement insolite entre du Dupieux et du Lanthimos, Gaspard Va Au Mariage est une excellente surprise schizoïde, jusqu’au-boutiste dans sa bizarrerie et au casting d’enfer. Film parfait pour dimanche morose !!! C’est tellement cool d’être encore agréablement surpris de nos jours, Gaspard Va Au Mariage m’a complètement cueilli.
Stuck in Love
Dans ses meilleurs moments, Stuck In Love, gentil fourre-tout sur une famille dysfonctionnelle, rappelle la profondeur de l’excellente série The OC. Dans ses pires travers, il fait hélas penser au maladroit et balourd Nos Étoiles Contraires. Le casting et la BO sont au top cela dit. Josh Boone a l’air de vouer un culte à l’œuvre de Stephen King. Cool qu’il réalise la nouvelle adaptation du Fléau du coup (si la passion est là, c’est déjà un bon point de départ).
Jeudi 1er février 2018
Click
Le point de départ de Click est sympa, mais l’ensemble est parasité par la profusion de vannes scatologiques pas drôles, la lourdeur de l’écriture, entièrement dédiée à stariser Adam Sandler, et la non réalisation de Coraci. C’est aussi l’une des rares fois (depuis la fin de la période Alerte à Malibu/K-2000) où David Hasselhoff ne joue pas son propre rôle (à travers un caméo tout pourri).
Vendredi 2 février 2018
Jacky au Royaume des filles
Uchronie pertinente (le cadre d’une gynarchie pour établir une satire des régimes dictatoriaux), Jacky Au Royaume des Filles convainc davantage par son univers original et son propos féministe que par la drôlerie de ses scènes et dialogues. Comme l’impression que le film n’exploite pas toutes ses (bonnes) idées, notamment comiques, mais au moins, il a le mérite de tenter quelque chose et de sortir des sentiers battus. Et je n’avais pas capté au 1er visionnage que le film pouvait aussi se présenter comme une relecture gender-swappée de Cendrillon : la belle-mère acariâtre (Didier Bourdon), les demi-sœurs méchantes et maltraitantes (William Lebghil et Anthony Sonigo), le bal… Je salue toutefois la tentative, qui reste hautement appréciable et recommandable au sein du paysage cinématographique français. Jacky Au Royaume des Filles est imparfait mais ambitieux, riche et revigorant. On lui pardonne aisément ses maladresses et son manque de force comique.
Cinéfils #3 à lire ici
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