Critiques Cinéma

JIGSAW (Critique)

SYNOPSIS: Après une série de meurtres qui ressemblent étrangement à ceux de Jigsaw, le tueur au puzzle, la police se lance à la poursuite d’un homme mort depuis plus de dix ans. Un nouveau jeu vient de commencer… John Kramer est-il revenu d’entre les morts pour rappeler au monde qu’il faut sans cesse célébrer la vie, ou bien s’agit-il d’un piège tendu par un assassin qui poursuit d’autres ambitions ?

Vous connaissez les dialogues de toute la saga Saw par cœur ? Vous avez passé votre lune de miel en Slovaquie après avoir rencontré votre âme sœur durant une projection d’Hostel ? Votre soif de sang qui coule et qui gicle n’a pas été rassasié devant la pauvreté graphique du très timoré Captivity ? Vous jouissez toujours à l’idée de voir une bimbo décervelée se faire arracher la carotide en gros plan pendant qu’un nain lubrique lui chatouille l’entre-jambe avec une perceuse ? Eh bien… vous avez un sacré problème dans la tête ! Mais rassurez-vous, s’il existe un vaccin contre cette quête de violence (toujours plus) extrême à l’écran, il se pourrait qu’on l’ait finalement trouvé avec Jigsaw. Qui aurait pu croire que la saga la plus opportuniste du cinéma d’horreur, initié par un James Wan débutant puis prolongée par une horde de charlots incapables de tenir une caméra, serait encore debout au bout d’un huitième épisode ? Eh bien, nous, justement ! Outre le fait que le bien nommé Saw 3D n’avait de « chapitre final » que le titre, on se disait bien qu’un tel aspirateur à dollars se prolongerait un jour ou l’autre, nous balançant ainsi un nouvel épisode en quatrième vitesse pour une sortie en salles le soir d’Halloween. Aucune surprise, donc ? Eh bien… comment dire…

Refaire tout l’historique de la saga Saw ne servirait à rien. En dépit d’un premier film  qui aura pu faire illusion à sa sortie (ce n’est plus le cas aujourd’hui) et d’un troisième film qui repoussait très loin le degré de violence graphique (ce qui lui valut une généreuse interdiction aux mineurs), on sait très bien ce que valait réellement cette saga : en somme, rien de moins qu’un revival du film de tortures centré sur une idée bien tordue (seriez-vous prêts à souffrir physiquement pour rester en vie ?) et se transformant d’un épisode à l’autre en un énorme gruyère scénaristique, où chaque scène laissait assez de trous pour qu’un tâcheron puisse ensuite les combler dans un futur épisode. Outre un néant créatif assez évident (montage épileptique, éclairages dégueu, photo verdâtre, casting  en sucette…), la saga se sera montrée si excessive et outrancière – parfois même à la limite du trash gonzo – qu’elle n’aura réussi qu’à anesthésier toute la portée transgressive du genre. Vu que nos gamins risquent de sortir un jour dix euros de leur tirelire pour aller voir en salles un Saw 29, on avait déjà fait les pronostics sur ce qui nous attendait en matière de tortures. Quelques supporters de Donald Trump contraints de s’arracher des organes pour bourrer les urnes et compenser ainsi les votes non comptabilisés en faveur d’Hilary Clinton ? Ou alors un Harvey Weinstein obligé de lister toutes ses victimes en moins d’une minute, sans quoi son zguègue finirait tranché par un coupe cigare ? Ou encore un gothique piercé et fan de heavy-metal, forcé à rester debout à poil et en équilibre sur une planche de fakir, pendant qu’une bande de gamins choristes déguisés en Chipmunks lui interprèteront tout le répertoire de Vincent Delerm en polyphonie corse ?… Bon, finalement, on n’aura rien eu de tout ça…

Si l’on devait s’en tenir à la pure routine de la saga, on pourrait se contenter de dire que Jigsaw ne fait que réanimer un cadavre que l’on pensait déjà mort et à lui trouver quelques organes de rechange pour qu’il puisse fonctionner tant bien que mal pendant au moins 95 minutes. D’où un scénario qui, sans grande surprise, se contente de réactiver son concept de jeu du chat et de la souris entre le Tueur au Puzzle (le vrai qui est mort il y a dix ans ou l’un de ses disciples encore vivant, on n’arrive plus trop à savoir…) et une équipe de superflics du FBI aussi charismatiques que des chambres à air. Ceux qui avaient quand même réussi à garder un œil attentif sur la chronologie de la saga auront d’ailleurs vite fait de deviner le pot aux roses entre les deux énormes twists que réserve l’intrigue, sachant bien qu’une narration alternée entre deux plages temporelles distinctes a toujours fait le sel d’un film Saw. Et qu’ainsi, tout ce qui arrive est voué à paraître encore plus tarabiscoté que tout ce qui a suivi. Mais même les fans l’auront vite remarqué : au-delà d’un titre sans numéro (ce qui est déjà un signe en soi), ce Saw là ne semble pas comme les précédents. Même son intrigue, que l’on devine pourtant cousue de fil blanc et prévisible dans ses intentions, se suit curieusement avec un certain intérêt du début à la fin. Cela ne tient ici qu’à une exigence de fabrication qui, surprise, a été clairement revue à la hausse.

A la fois préquelle et séquelle qui tente de transmettre à sa manière l’héritage de la saga (sans doute pour entamer une nouvelle phase de la franchise…), Jigsaw s’impose sans peine comme l’épisode le plus épuré et le plus maîtrisé de la saga. Bye-bye shaky-cam à gogo sur des acteurs qui hurlent et qui agonisent, adieu la photo crado et les filtres jaune vomi, envolées les gaffes de montage et de mise en scène commises par des recalés de vidéos YouTube, et place désormais à une ambiance élégante et feutrée, avec des cadres soignés, composés et éclairés avec un vrai soin par des réalisateurs attachés à l’image autant qu’à l’esthétique. Rien d’étonnant quand on se souvient du talent des frères Spierig à dévoiler une modeste personnalité visuelle dans des genres aussi éculés que le film de vampires (Daybreakers) et le thriller spatiotemporel (Predestination). En lieu et place d’anciens techniciens devenus réalisateurs sans qu’on sache pourquoi (David Hackl et Kevin Greutert), ils ont su reprendre les lourdes ficelles de la saga à leur compte pour privilégier l’ambiance et la progression narrative. Une progression qui, du coup, prend le dessus sur des scènes de tortures bien moins extrêmes qu’avant (quoique l’ultime effet gore du film a de quoi laisser bouche bée !), privilégiant un récit qui creuse un peu plus la philosophie du Tueur au Puzzle en la couplant à d’autres thématiques (guerre antiterroriste, refoulement compassionnel, déni de responsabilité morale, fascination malsaine via le Web pour les créations antérieures du tueur, etc…). Jusqu’à un twist moins con que prévu, éclairant finalement un jeu de piste plus ludique et mieux structuré que dans le passé – on a ici moins l’impression de voir un opus troué de partout qui ne trouverait sa logique finale qu’au travers d’une nouvelle suite.

Même si cette relative satisfaction est bien sûr à mettre en perspective avec la médiocrité totale du reste de la saga, Jigsaw reste malgré tout un film Saw, suintant l’opportunisme de bas étage et le packaging de frissons reposant exclusivement sur la fascination malsaine de tout un chacun pour la souffrance d’autrui (et encore plus si autrui se résume à des stéréotypes condescendants au possible). Il n’en reste pas moins qu’une telle limitation du concept est à accueillir avec bienveillance : moins gore, mieux écrit et mieux réalisé, ce huitième épisode joue la carte du (plutôt bon) changement dans la (plutôt pauvre) continuité, quitte à traiter son audience avec un peu plus de respect. On en viendrait même à espérer que la saga s’arrête définitivement là, histoire qu’un point final aussi modeste puisse mettre fin au carnage. Mais comme les producteurs d’Hollywood sont avant tout des technocrates contraints de sniffer des billets verts pour continuer à survivre dans la jungle des profits, il y a fort à parier que la formule « vivre ou mourir, à vous de choisir » restera prise au pied de la lettre. Amen.

Titre original: JIGSAW

Réalisé par: Michael Spierig, Peter Spierig

Casting: Matt Passmore, Tobin Bell, Callum Keith Rennie

Genre: Epouvante-Horreur, Thriller

Sortie le: 1er Novembre 2017

Distribué par : Metropolitan FilmExport

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