Critiques Cinéma

SWEET VIRGINIA (Critique)

4,5 STARS TOP NIVEAU

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SYNOPSIS: Dans un petit village perdu au milieu de l’Alaska, un criminel s’introduit dans un bar dans lequel trois habitués jouent au poker. Il descend tout le monde et s’enfuit avec un maigre butin. Dans sa fuite, il va rencontrer un ancien champion de rodéo.

S’il y a bien quelque chose qui s’est globalement perdu dans le cinéma américain, dont nous restons tout de même des défenseurs, c’est la capacité à raconter quelque chose de son époque, à écrire des personnages marquants, qui ont une épaisseur et une histoire au delà de leur fonction dans le récit. Pour ne parler que du thriller, depuis quelques années nous nous tournons davantage vers le cinéma espagnol et sud coréen pour trouver des récits qui prennent le temps de développer autre chose que leur intrigue ou de servir de simple faire valoir à leur metteur en scène. L’an passé, Hell or High Water, fut l’une des rares éclaircies dans ce morne paysage, le script de Taylor Sheridan et la mise en scène de David MacKenzie s’accordant parfaitement dans un récit dont l’intérêt dépassait largement le cadre du larcin commis par les frères Howard. Comme le disait Sidney Lumet, ce qui devrait définir le style d’un réalisateur ce n’est pas tant ses expérimentations formelles, la façon dont il positionne sa caméra mais les questions qu’il se pose sur son récit et les choix qu’il fait pour le raconter. Cela suppose déjà que le réalisateur s’approprie complètement le scénario ce qui est précisément le cas de Jamie M.Dagg pour Sweet Virginia.

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Écrit par les frères China, le scénario de Sweet Virginia s’était retrouvé en 2012 sur la prestigieuse Black List regroupant les scénarios les plus côtés d’Hollywood restant en attente de production. En héritant d’un tel scénario, Jamie M.Dagg aurait pu se mettre en pilote automatique et ne penser qu’à le mettre en image. Au contraire, il y a apporté plusieurs changements qui, à notre sens, élèvent considérablement son film, lequel, disons le tout de suite, vient s’asseoir à la table des Frères Coen et plus particulièrement de l’inoubliable No Country For Old Men. En adaptant le scénario des Frères China et bien qu’il en ait conservé le titre (qui est aussi le nom de l’hôtel géré par Sam), Jamie M.Dagg a choisi de déplacer le récit dans une petite ville de l’Alaska (le choix de l’appeler Fairvale n’est probablement pas innocent pour ceux qui se rappellent qu’Hitchcock avait donné le même nom à la ville sur la route de laquelle se trouve le motel de Norman Bates), perdue au milieu de ses magnifiques montagnes verdoyantes. Le choix d’un tel cadre est tout sauf neutre et irrigue le récit. L’immensité des paysages au milieu desquels est perdue cette petite ville jusqu’alors sans histoires dialogue avec la solitude de personnages qui sont des âmes solitaires ou brisées, devant composer avec un lourd passé et un morne présent, traînant un spleen que communique parfaitement la mise en scène.  Le film néo noir flirte ainsi avec le western et une mythologie américaine que l’on retrouvait dans No Country for Old Men, mais aussi dans Hell or High Water.

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Par rapport au scénario des Frères China, Sam Rossi (Jon Bernthal) et Elwood (Christopher Abbott) ont donc en commun d’avoir quitté leur Virginie natale pour l’Alaska. Cela crée un lien particulier entre ces deux déracinés qui ont laissé derrière eux un lourd passé que le film a la subtilité d’évoquer par petites touches, suffisamment éclairantes toutefois pour que l’on comprenne la psychologie de ces deux êtres que tout oppose par ailleurs. Cela fait longtemps que l’auteur de ses lignes est vendu à la cause de Jon Bernthal qui est en train de s’imposer, de film en film , comme le badass n°1 du cinéma américain (seulement concurrencé par Josh Brolin) dont un seul regard noir pourrait vous convaincre de changer de nom et d’aller vous perdre dans une petite ville comme celle où se déroule le film. Ce bloc de granit en fusion trouve ici son plus grand rôle, en apparaissant comme une veille gloire cabossée par la vie et ses années de rodéo. Il boîte, développe les premiers symptômes de la maladie de Parkinson et n’aspire qu’à la tranquillité dans ce petit hôtel qu’il a hérité de son frère. Il y a chez lui un mélange de fragilité et de dangerosité (qui se dégage de son regard comme de son imposante stature) qui donne à ce personnage, déjà très bien écrit, l’épaisseur qui résiste à l’apparition du générique de fin et à l’épreuve du temps. Ce rôle pourrait être à sa carrière ce que celui de Freddy Heflin (Copland) fut à celle de Sylvester Stallone. Comme dans un bon western, Sam peut apparaître au début du récit comme le héros fatigué qui va sortir de sa retraite lorsque le bad guy arrivera en ville mais le récit a bien plus à offrir que le programme attendu.

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Sweet Virginia est fait du bois des plus grands thrillers, qui au delà de livrer une confrontation attendue, parlent aussi de leur époque et ne négligent aucun des personnages pris dans la toile d’un récit dont la noirceur vous rentre sous la peau. On peut ainsi aussi le voir comme une chronique sociale qui dépeint l’état de déliquescence économique et morale d’une petite ville typique de l’Amérique rurale qui n’a plus grand chose à offrir à ses habitants. Le mal n’est pas originel mais induit par la situation dans laquelle se retrouvent des personnages qui ne sont pas mauvais par nature, mais le deviennent parce que leur vie les y a poussés. Elwood fait dans un premier temps penser à Anton Chigurh (Javier Bardem dans No Country for Old Men)  mais, au delà du tueur à l’allure maladroite et à la froide détermination, il apparaît comme rongé par la colère et la frustration qui éclatent notamment dans les bordées d’injures qu’il grommelle dans les situations de stress. Il porte en lui tout le poids de son passé, de son mal être présent et il existe largement au delà de sa fonction d’antagoniste du récit. C’est assurément un des bad guy les plus complexes et malaisants que le cinéma américain ait produit ces dernières années, porté par l’interprétation fiévreuse de Christopher Abbott. Les personnages féminins ne sont pas délaissés, Lila (Imogène Poots), Bernadette (Rosemarie DeWitt), Maggie (Odessa Young) ont toutes un parcours, des blessures et des faiblesses qui contribuent pleinement à alimenter la noirceur de cette ville dans laquelle ne semblent vivre que des âmes perdues.

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Dans sa mise en scène Jamie M.Dagg s’appuie sur l’intensité des personnages dont il a excellé à nous dresser le portrait. Il construit ainsi un de ces thrillers dont l’implacable mécanique se referme progressivement sur le cou du spectateur jusqu’à le faire suffoquer dans des scènes d’une extrême tension qui impose un silence glaçant dans la salle. Dans un refus du spectaculaire réellement bluffant, la camera reste sur le visage de ses personnages plutôt que de chercher un effet ou transmettre une tension alors que la scène s’y prêterait. Tout repose et part de l’intériorité de personnages dont on ressent les tourments, la tension qui guident leurs actes. Ils ne sont pas les pantins d’un scénario machiavélique mis en scène par un réalisateur plus soucieux de ses effets que de ce qu’il raconte, ils existent par eux-mêmes au delà de l’intrigue dans laquelle ils apportent leur noirceur ou ce qu’ils leur restent d’espoirs ou d’humanité, y compris pour Elwood. Plus qu’à un grand film, ce Sweet Virginia ressemble vraiment à une sacrée leçon de cinéma

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Titre Original: SWEET VIRGINIA

Réalisé par: Jamie M. Dagg

Casting : Jon Bernthal, Christopher Abbott, Imogen Poot,

Rosemary DeWitt, Odessa Young…

Genre: Thriller, Drame

Date de sortie: Prochainement

Distribué par: –

4,5 STARS TOP NIVEAU

TOP NIVEAU

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