Critiques Cinéma

GHOST IN THE SHELL (Critique)

SYNOPSIS: Dans un Japon futuriste régi par l’Internet, le major Motoko Kusunagi, une femme cyborg ultra-perfectionnée, est hantée par des interrogations ontologiques. Elle appartient, malgré elle, à une cyber-police musclée dotée de moyens quasi-illimités pour lutter contre le crime informatique. Le jour où sa section retrouve la trace du ‘Puppet Master‘, un hacker mystérieux et légendaire dont l’identité reste totalement inconnue, la jeune femme se met en tète de pénétrer le corps de celui-ci et d’en analyser le ghost (élément indéfinissable de la conscience, apparenté à l’âme) dans l’espoir d’y trouver les réponses à ses propres questions existentielles…

« Cette œuvre visionnaire est le premier film d’animation pour adultes à atteindre ce niveau d’excellence », déclarait James Cameron après avoir découvert Ghost in the Shell. On a beau désormais savoir qu’il vaut mieux se méfier à l’avance de ses paroles promotionnelles (remember sa promo ridicule et probablement malhonnête sur le nullissime Terminator Genisys), mais là, pour le coup, on ne peut clairement pas lui donner tort. Parce qu’à sa sortie en 1996, le long-métrage animé de Mamoru Oshii fit l’effet d’une bombe. D’abord parce que la science-fiction, à l’époque en panne d’auteurs stimulants et se reposant surtout sur des thèmes démodés post-60’s, s’engouffrait alors de plein fouet sur le terrain du trip cyberpunk. Ensuite parce qu’Oshii réussissait avec brio là où plusieurs de ses prédécesseurs s’étaient mangé le mur – en particulier le ciné-peintre Robert Longo avec le nanardesque Johnny Mnemonic un an plus tôt. Enfin parce qu’a contrario du spectacle pyrotechnique réduisant souvent à néant la portée d’un propos réflexif, l’auteur des deux films Patlabor faisait suite naturelle à la réflexion sous-jacente développée par Katsuhiro Otomo sur l’impressionnant Akira. Soit un agrégat de réflexions métaphysiques où l’utilisation entriste d’une technologie de pointe (un film d’animation au lieu d’un film live) est autant l’outil de travail du réalisateur que le point de départ d’un scénario qui questionne lui-même son propre support. Ou comment la japanimation renvoie ici la concurrence (et pas seulement hollywoodienne) à l’âge de pierre.

Adapté du manga éponyme de l’auteur supra-geek Masamune Shirow, Ghost in the Shell condense en son sein tous les éléments d’un vrai trip cyberpunk : des êtres humains conditionnés par la technologie et évoluant parmi des cyborgs ultradéveloppés, des unités de police blindées de fulgurantes aptitudes face aux nouvelles délinquances technologiques, des pirates informatiques qui creusent l’intérieur du cyberespace, des intelligences artificielles qui s’activent autant qu’elles activent leur potentielle autonomie, le tout dans un futur sans concessions, théâtre d’un affrontement opposant différentes unités spéciales d’un gouvernement tout-puissant. Le style narratif de Shirow, consistant généralement en l’alternance d’action et d’introspection au sein d’intrigues majoritairement policières, coule de source avec la sensibilité d’un artiste comme Mamoru Oshii, ce dernier ne pouvant concevoir une œuvre de divertissement sans un propos adapté et ouvert à l’interprétation. De ce fait, la trame du film fait mine de s’en tenir à une ligne narrative relativement aisée à suivre : il y est question de la traque d’un pirate informatique (le fameux « Puppet Master ») par un tandem de cyborgs appartenant à une unité d’élite, le tout narré sous forme de puzzle évolutif dont les pièces s’emboîtent au fur et à mesure. Les scènes d’action, efficaces et brutales, contribuent à le dynamiser autant qu’elles soufflent une beauté visuelle à l’époque inédite dans l’animation japonaise (Oshii et son équipe y avaient tenté des perspectives 3D pour le coup révolutionnaires). Mais si la trame se suit sans la sensation d’avoir le disque dur un peu trop surchargé, la matière réflexive creusée par Oshii au détour de nombreuses scènes suffit à nous downloader un téraoctet de doutes dans la tête.

L’hypothèse d’un être autonome, né de l’océan d’information et défini par son « ghost » (à savoir un « esprit » immatériel qui anime une enveloppe matérielle), est ici le piège dans lequel tout spectateur néophyte tombera sans avoir besoin d’y être forcé. Parce qu’en partant de ce principe, la machine à questionnements métaphysiques fait rougir ses engrenages jusqu’à des limites encore inexplorées. Quelle est la part restante d’humanité dans des organismes désormais modifiés ou supplantés par la technologie ? En quoi l’intelligence artificielle diffère-t-elle de l’être humain qui l’a conçu, et en quoi pourrait-elle supplanter ce dernier ? Quelle est la caractéristique d’un être animé et pensant ? Qui a le droit de contrôler un organisme autonome de ce genre ? Et comme il s’agit ici d’un film d’animation, l’informatisation de créatures humaines par le biais du médium animé est-elle en soi un pas en avant vers une nouvelle forme d’humanité ou une simple duplication équivalente à la création d’un cyborg imité sur le modèle humain ? A l’époque de la sortie du film, on notera que Stanley Kubrick était toujours en train de développer son projet de film sur l’intelligence artificielle (celui que Spielberg réalisera en 2001 sous le titre A.I.). Mine de rien, avec le vertige intellectuel qu’il venait d’élaborer, Oshii avait réussi malgré lui à le prendre de vitesse.

Du récit aux effets sonores en passant par un travail exceptionnel sur le caractère mutant de l’image (2D et 3D forment ici un ensemble composite redoutable), la virtuosité du film sidère autant qu’elle stimule, laissant souvent la place à des phases plus introspectives – pour ne pas dire mélancoliques – qui trouent soudain le récit (Oshii installe ici son gimmick de l’intermède musical qui sectionne la narration en deux parties égales). La bande originale de Kenji Kawaï, blindée de sonorités inattendues et devenue mythique par son lyrisme choral, se place au diapason des intentions d’Oshii, signe d’une mise en scène qui porte littéralement le film au lieu de peser sur lui. Au bout du compte, le seul point faible de ce monument de SF existentialiste aura été d’avoir vu arriver sept ans plus tard le magnifique Innocence – Ghost in the shell 2, suite d’une supériorité pour le coup écrasante et voyage désenchanté aux confins des paradoxes qui composent l’être humain. La force d’Oshii est là : lorsqu’il parle du futur ou de la technologie, il ne fait que nous ramener vers l’humain pour mieux le mettre en perspective. Ou comment l’esprit devient maître à l’intérieur de la machine technologique, ce qu’un film d’animation peut métaphoriser avec infiniment plus de cohérence et de trouble qu’un film live. Il ne nous reste plus qu’à découvrir le très attendu (et redouté) remake signé Rupert Sanders (Blanche-Neige et le chasseur) pour savoir si ce constat a de quoi montrer ses limites.

Titre Original: KÔKAKU KIDÔTAI

Réalisé par: Mamoru Oshii

Casting :  Tania Torrens, Daniel Berreta, René Beriard…

Genre: Action, Animation, Science fiction

Sortie le: 29 janvier 1997

Distribué par: Metropolitan FilmExport

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