Critiques Cinéma

MANCHESTER BY THE SEA (Critique)

3 STARS BIEN

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SYNOPSIS: MANCHESTER BY THE SEA nous raconte l’histoire des Chandler, une famille de classe ouvrière, du Massachusetts. Après le décès soudain de son frère Joe (Kyle Chandler), Lee (Casey Affleck) est désigné comme le tuteur de son neveu Patrick (Lucas Hedges). Il se retrouve confronté à un passé tragique qui l’a séparé de sa femme Randi (Michelle Williams) et de la communauté où il est né et a grandi. 

Grand film malade, victime d’un bras de fer entre un metteur en scène incapable de se résoudre à tailler dans un récit où il avait (déjà) eu tendance à vouloir brasser trop de thèmes, porter son regard sur trop de personnages et ses producteurs voulant lui faire tenir sa promesse de ne pas dépasser une durée de 2h30, Margaret, le précédent film de Kenneth Lonergan, a connu à sa sortie un accueil relativement mitigé, eu égard à l’aura dont il jouit aujourd’hui, à la faveur notamment d’une sortie vidéo dans une version de 3 heures, à notre sens plus adaptée à l’ambition narrative de son metteur en scène. Son deuxième long métrage est aujourd’hui considéré par une partie de la critique et certains de ses confrères, comme l’un des plus grands films américains de ces dernières décennies et les problèmes rencontrés lors de la post production ne sont plus qu’une anecdote que l’on aime à se rappeler entre cinéphiles attendant la sortie de son nouveau chef-d’œuvre. Le même destin attend peut être Manchester By The Sea lequel, de notre point de vue, souffre malheureusement sensiblement des mêmes maux que Margaret.

Manchester by the sea, lorsqu’il reste collé au drame que vit son personnage principal est capable d’atteindre des sommets d’émotion (malgré une utilisation de la musique que l’on peut trouver problématique), en travaillant une matière extrêmement délicate qui déchire le cœur. Hélas, de façon assez incompréhensible, nous donnant le sentiment que Kenneth Lonergan, comme sur Margaret, avait 2 ou 3 films en tête qu’il a essayé d’assembler, son 3ème long métrage se perd aussi dans des scènes qui sont censées être des respirations mais qui dissonent terriblement. A tel point que lorsqu’il revient au cœur du récit, on a l’impression de voir un metteur en scène courir derrière son film, comme pour rattraper le fil ténu qu’il a lâché avec une désinvolture étonnante. Entre la tragédie et la chronique sociale/familiale, le film se lance sans ceinture de sécurité dans une montagne russe dont il n’est pas loin de dérailler à plusieurs reprises.

Manchester by the sea touche d’abord au sublime lorsqu’il traite de cette douleur sourde qui anesthésie tout en vous consumant de l’intérieur, de ce deuil impossible et de la façon dont on essaie de vivre avec ce gouffre béant dans lequel il semblerait plus facile de se laisser emporter. Lee Chandler (Casey Affleck), gardien d’immeuble à Boston, est un homme cassé par la vie sans que l’on sache au début du récit quelle tragédie l’a frappé. D’apparence irascible et bourru, on devine dès les premiers instants, que cet homme est une âme brisée qui a perdu goût à la vie et qui dans son travail, comme son intimité, se protège derrière un mur ne laissant passer aucune émotion. Ce parti pris de retarder la révélation du drame qui a frappé cet homme n’est possible que grâce à l’interprétation de Casey Affleck. Il est éblouissant et bouleversant en homme brisé qui survit dans la routine qu’il a mise en place, complètement hermétique à l’intérêt que peut lui manifester une cliente ou une inconnue dans un bar. S’il cherche souvent la bagarre c’est plus pour se faire mal et ressentir enfin quelque chose que pour se défouler sur un inconnu. Dans son regard, dans ses gestes, on ressent à chaque instant cette tension qui ne le quitte jamais et on devine le vide au bord duquel il se trouve. L’alchimie entre le metteur en scène, le sujet et l’acteur atteint ici un sommet dont on aurait souhaité ne jamais descendre.

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On comprend bientôt ce qui rattache Lee à la vie et c’est par ce biais que le récit lèvera le voile sur son passé, sous forme de flashbacks « en temps réel » qui sont les projections des souvenirs lui revenant en mémoire, alors qu’il est confronté à une nouvelle épreuve, laquelle à défaut de l’affecter réellement l’oblige à sortir de sa routine et à prendre un rôle qu’il ne peut assumer. Dans ces instants, face au drame, Lonergan choisit d’emmener son film vers la tragédie, en usant de ralentis et « noyant » ses scènes sous une musique omniprésente. Le drame taiseux se mue en tragédie et prend des accents à la James Gray mais malheureusement sans la même sensibilité. Le changement de braquet est même un peu trop brusque pour paraître tout à fait sincère et si les scènes émeuvent néanmoins, c’est par la nature du drame, à travers l’identification aux personnages, plus que par le choix de mise en scène. A ce moment du film, l’indulgence l’emportait néanmoins dans la mesure ou si l’exécution nous posait problème, l’intention était tout à fait cohérente avec ce qui précédait et cette tragédie que l’on devinait dès les premiers instants du film à travers les yeux de Lee.

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Hors de ces scènes, Lonergan fait preuve d’une pudeur beaucoup plus remarquable lorsqu’il s’agit de montrer ses personnages face au deuil. On peut même être désarçonné en voyant leur quasi absence de réaction, tant il est rare de voir un film traiter ainsi de ce cri que l’on garde en soi, de cette sidération qui vous frappe, confronté à la perte d’un être cher. C’est là encore un choix assez fort dont le risque est même de rendre antipathique celui pour lequel on devrait n’avoir que compassion mais dont l’absence de réaction et les préoccupations « dérisoires » finiraient par agacer si on ne percevait pas cela comme un mécanisme de protection. Le problème étant alors de ne pas avoir la main lourde lorsqu’il s’agira de saisir l’instant ou le mécanisme se grippe et que remonte à la surface toute la douleur enfouie. Là encore, le délicat Lonergan fait preuve d’une bien étonnante lourdeur dans l’écriture, le choix de l’événement « déclencheur » nous ayant paru tellement incongru qu’il en est quasiment devenu comique. D’autant que le récit s’autorise d’autres incongruités qui nous ont même paru de sérieuses sorties de route lorsqu’il s’attarde longuement sur la relation entre Lee et son neveu (Lucas Hedge) pour presque se muer en sitcom à la Two and a half men quand il traite de la relation avec sa petite copine. Le personnage de la mère de Patrick est quant à lui totalement sacrifié au cours d’une scène la tournant en ridicule et flirtant elle aussi dangereusement avec un humour de sitcom. Drame social, tragédie, chronique adolescente, comédie sitcomesque, Lonergan, comme dans Margaret, semble se perdre entre les différents films qu’il avait en tête et s’éloigne du sujet principal de son film. Ces explorations font par ailleurs deux victimes collatérales: la relation de Lee et de son frère (interprété par le toujours formidable Kyle Chandler) étant à notre sens sous exploitée, de même que celle de Lee et de son ex femme (Michelle Williams) qui donnent lieu aux plus belles scènes du film. Quand un film monte si haut et est porté par de tels interprètes, il est difficile de ne pas se montrer peut être excessivement sévère avec ce qui nous déplaît au point de nous sortir de l’émotion d’une histoire bouleversante. Manchester by the Sea a d’immenses qualités mais aussi des défauts difficilement pardonnables et compréhensibles qui finissent presque par le faire sortir pour de bon de la montagne russe dans laquelle Lonergan a choisi de le lancer.

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Titre Original: MANCHESTER BY THE SEA

Réalisé par: Kenneth Lonergan

Casting :  Casey Affleck, Michele Williams, Lucas Hedges,

Kyle Chandler, Gretchen Mol, C.J. Wilson …

Genre: Drame

Sortie le: 14 décembre 2016

Distribué par: Universal Pictures International France

3 STARS BIENBIEN

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