Critiques Cinéma

DETOUR (Critique) L’Étrange Festival 2016

4,5 STARS TOP NIVEAU

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SYNOPSIS: Harper, un jeune étudiant, déteste son beau-père, responsable d’un accident qui a plongé sa mère dans le coma. Un soir, alors qu’il noie son chagrin dans l’alcool, il élabore un plan avec un voyou et une stripteaseuse pour l’assassiner. Le lendemain, à peine remis de sa cuite, Harper n’a pas le temps de se souvenir de sa rencontre qu’il se retrouve embarqué dans une virée vengeresse, contraint d’assumer ses choix… 

Si cet étrange festival nous a déjà fait vivre de très belles émotions, c’est grâce à la découverte de nouveaux talents et de premiers films qui nous ont impressionné par leur maîtrise (Transfiguration), leur inventivité et leur générosité (Jeeg Robot et Girl Asleep). Rosemary Myers, Michael O’Shea et Gabriele Mainetti ont ainsi, à nos yeux, déjà gagné leurs galons de grands réalisateurs dont on suivra très attentivement les prochains projets. Il n’en reste pas moins que pour être réussi, un festival peut difficilement se passer des grands noms que l’on suit depuis des années et dont le film figurera automatiquement à notre agenda, dès l’annonce de sa sélection. Christopher Smith est incontestablement de cette trempe. En 4 films (nous mettons volontairement de côté son film de Noël), par son talent de scénariste et sa virtuosité technique, il s’est forgé une très flatteuse réputation et Detour était très attendu par la plupart des festivaliers. Avec Detour, Christopher Smith réussit bien plus qu’un brillant exercice en forme d’hommage au film noir. On peut parler de réappropriation du genre, tant il arrive à jouer de toute sa palette technique en reprenant un thème et une forme de narration déjà explorés dans Triangle, son troisième long métrage et jusqu’alors sa plus grande réussite.

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Cette rencontre fortuite entre deux personnages que tout oppose mais qui se rencontrent à un moment de leur vie où leur intérêt convergeant les pousse à la conclusion d’un pacte criminel, rappelle L’inconnu du Nord Express d’Alfred Hitchcock. Rien ne destinait Harper (Tye Sheridan), étudiant en droit pénal un brin idéaliste, issu d’un milieu bourgeois, à rencontrer un petit voyou de la trempe de Johnny (Emory Cohen) et à conclure ce pacte qui l’emmènera sur les routes de Las Vegas, flanqué de Cherry (Bel Powley), une prostituée ou plutôt une danseuse comme elle préfère qu’on l’appelle. Christopher Smith comme dans Triangle, confronte son personnage principal à un événement traumatique, la perte/l’accident grave d’un proche (dans les deux cas un accident de voiture), et s’intéresse au profond changement provoqué en lui, le poussant à basculer dans l’immoralité. Harper tient son beau père (l’excellent Stephen Moyer aka Bill Compton dans True Blood) pour responsable de l’accident de sa mère et lui reproche de ne pas aller la voir à l’hôpital. Pensant qu’il va rendre visite à sa maîtresse à Las Vegas, il n’a qu’une idée en tête: se venger. Au cours d’une nuit d’ivresse, il se confie à Johnny qui lui propose de l’aider à se débarrasser de son beau père contre 20 000 dollars. Le lendemain matin revenu chez lui et ayant dessaoulé, il ne s’attend pas à la visite de Johnny, accompagné de Cherry, qui insiste lourdement pour la conclusion de ce pacte. En partant de ce dilemme moral, Christopher Smith va avoir l’excellente idée de répondre à la question « Et si…? » , en menant deux narrations parallèles: celle où Harper finit par se débarrasser de Johnny et renonce à ce pacte et donc, celle où il bascule, pense-t-on alors, du mauvais côté.

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A l’appui de cette double narration, Smith va utiliser le splitscreen mais heureusement, sans exagération, s’appuyant aussi énormément sur son art du montage et des transitions. Qu’on les suive simultanément ou qu’on passe de l’une à l’autre, on n’est jamais perdu dans une « timeline » et aucune ne présente moins d’intérêt que l’autre. Dans la « timeline morale », le récit repose entièrement sur les épaules de Harper qui n’a pas pour autant renoncé à toute velléité de vengeance. Tye Sheridan dont la filmographie est déjà très solide, s’était jusque là illustré en jouant les « fils de » dans des seconds rôles au côté de pointures comme Brad Pitt (The Tree of Life), Matthew McConnaughey (Mud) ou Nicolas Cage (Joe). Le poids du film sur ses épaules, dans le rôle de ce personnage dont la complexité et la force de caractère se révèlent au fur et a mesure du récit, il explose à l’écran. La puissance et la variété de son jeu apportent le « poids » nécessaire tant pour le suivre dans le registre de la comédie noire, lorsqu’il est seul à l’écran, que dans le registre du thriller cocaïné à la True Romance dans son road trip criminel vers Las Vegas. Face à Johnny, Harper n’apparaît pas comme un simple type naïf et friqué qui s’est embarqué dans une galère qui le dépasse totalement. Leur première scène, dans ce bar où se nouera le pacte, est un petit bijou d’écriture, où chacun se renvoie la balle en s’échangeant des répliques cinglantes et très drôles. Emory Cohen, révélé dans Brooklyn est méconnaissable, dans ce rôle dont on pouvait craindre qu’il ne soit qu’un archétype mais qui se révèle plus nuancé. Avec ses tatouages au cou et le mot « arrogance » sur son bras gauche, Johnny se donne des allures de petit caïd mais le récit nous révélera ses failles et les raisons qui l’ont poussé à tant insister pour conclure ce pacte. Emery Cohen est exactement dans le bon tempo voulu par Christopher Smith, à la fois menaçant, cool et adepte des répliques qui tuent. Son timing est toujours parfait.

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L’affiche de Harper de Jack Smigt (1966) que l’on voit dans la chambre de…Harper n’est pas qu’une simple référence sous forme de clin d’œil. Détour réussit le même subtil dosage d’humour et de dialogues au cordeau dans une intrigue de film noir. Une autre référence apparaît à l’écran dans une merveilleuse scène, au cours de laquelle, Harper qui est en voiture avec Johnny et Cherry, regarde cette dernière et, comme Martin Tupper le héros de la série Dream On, se rappelle d’une scène identique dans un classique en noir et blanc. Ce classique c’est Detour, le film noir de Edgar G.Ulmer sorti en 1945. Si comme Al Roberts, Harper est fasciné par la passagère de sa voiture, cette dernière n’a rien d’une femme fatale. Il fallait vraiment avoir de l’imagination et le goût du risque pour caster Bel Powley dans ce rôle. Son interprétation dans The Diary of a Teenage Girl est une des performances qui nous a le plus impressionné en 2015 mais nous ne l’aurions toutefois pas imaginer pouvoir tenir ce rôle. Avec très peu de dialogues, il fallait une actrice qui ait autre chose à apporter que le « physique de l’emploi » et de ce point de vue, Bel Powley et son regard si particulier, duquel ressort une personnalité borderline, fait des merveilles. Christopher Smith ne s’est pas contenté de soigner l’écriture de ses trois personnages principaux. Il a fait de même avec la galerie de personnages que le trio va croiser sur sa route (la serveuse, le flic, le dealer) qui loin d’être de simples faire valoir pour faire avancer le récit, ont chacun des répliques et des scènes excellentes. On est particulièrement heureux de retrouver John Lynch (déjà présent dans Black Death, le troisième film de Smith) lequel, pour l’anecdote, était dans Sliding Doors de Peter Howitt (1990) qui adoptait le même principe de la « double timeline » pour suivre le récit A (elle prend son train) et le récit B (elle rate son train) de son personnage principal (Gwyneth Paltrow).

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A mesure que le récit avance, Christopher Smith aura recours de plus en plus au splitscreen, pas pour épater la galerie mais parce que c’est alors vraiment utile à la narration. Il faut toujours se garder de s’enflammer à chaud mais nous n’avons pas souvenir d’un usage aussi virtuose et intelligent du splitscreen en dehors du maître incontesté: Brian De Palma. Le jeu sur la temporalité et le montage va s’accentuer et venir complexifier le récit , à l’instar de ce que Smith faisait dans Triangle, sans que ce soit perçu comme un artifice de petit malin amateur de twist. Christopher Smith fait un autre choix fort de mise en scène, qui lui est constant pendant toute la durée du film, en filmant toutes ses scènes au grand-angle. Outre le jeu que cela permet sur la profondeur de champ, cela donne un cachet très particulier au film, déformant légèrement l’image sur les plans rapprochés (on se souvient de l’utilisation du grand angle par Terry Gilliam notamment dans Brazil et Las Vegas Parano mais il s’agit plus sûrement d’un hommage à Hitchcock et Vertigo). Les face à face entre les différents protagonistes sont encore plus saisissants et cela participe à nous immerger dans cette histoire dont Smith tire les ficelles avec une virtuosité bluffante. Christopher Smith arrive à maintenir une tension constante, empile des scènes dont on se dit qu’elles pourraient devenir cultes, utilise toute la palette technique qu’on lui connaissait depuis Triangle, mais toujours au service de son récit, sans jamais donner le sentiment de se regarder filmer. Autant, nous avions toutes les peines du monde à trouver du positif dans Sam Was Here, autant, 24 heures plus tard, nous nous trouvons devant un film qui nous a complètement bluffé et dont il est quasiment impossible de ressortir quoi que ce soit de négatif. Si vous avez la chance de pouvoir aller au Festival du film fantastique de Strasbourg, ne le ratez surtout pas.

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Titre Original: DETOUR

Réalisé par: Christopher Smith

Casting : Tye Sheridan, Emory Cohen, Bel Powley,

Stephen Moyer, John Lynch, Sibongile Mlambo …

Genre: Thriller

Sortie le: Prochainement

Distribué par: UFO Distribution

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