Ce n’est pas un secret, on adore Belmondo dans ces colonnes et l’auteur de ces lignes tout particulièrement. Un hommage nous semblait donc dès lors impératif. Après une interview que nous a accordée Jeff Domenech ici (co-réalisateur du documentaire Belmondo, Itinéraire et grand ami de l’acteur) et parce qu’on a tous en soi un Jean-Paul Belmondo qui nous correspond, voici en 10 films MON Jean-Paul Belmondo raconté par… lui.
L’homme de Rio
« Pour L’homme de Rio, on est partis au Brésil à treize dont Mnouchkine. Lui le producteur il portait les costumes, repeignait l’avion. Ça, ça n’existe plus. Ce film a vraiment été fait de façon artisanale. Au moment de passer d’un building à l’autre, il m’a dit: « Je t’interdis de monter sur ce câble! C’est à Gil Delamare, le cascadeur, de faire ça. – Et si Delamare se tue? -Je m’en fous! C’est son métier! » Finalement je l’ai fait, et après il me disait « Tu ne vas pas aller d’une fenêtre à l’autre! [Un temps] Tu crois que ce serait bon quand même? »… Delamare, c’était un ami très très cher. Un chahuteur incroyable…. A Rio on faisait les cons, on foutait les meubles par la fenêtre. Mnouchkine nous avait pris à part. « Je vous en supplie, pas de conneries, je ne peux pas payer l’hôtel… »
In Première – Avril 1995 – Propos recueillis par les frères Kruger
Borsalino
« Avec Alain [Delon] on se connaissait depuis l’époque de la rue Saint-Benoît. Le seul problème que j’ai eu avec lui c’est avec l’affiche de Borsalino. Après on a toujours eu d’excellents rapports. Il savait que je ne lui prendrais pas ses rôles et je savais qu’il ne me prendrait pas les miens. On avait chacun, je ne dirais pas « notre » public, parce que certains aimaient les deux et d’autres nous détestaient tous les deux, mais nos parcours ont toujours été parallèles. Un coup on disait « C’est Belmondo le meilleur », un coup « C’est Delon le premier ». Mais il n’y a pas eu de vraie rivalité parce qu’on n’avait pas le même registre. Borsalino, contrairement à la légende ça s’est très bien passé. Le tournage à Marseille était amusant, tout le « milieu » a défilé! Sauf que, pour l’affiche, il avait été bien convenu que ce serait « Belmondo et Alain Delon » et que c’est devenu « Alain Delon présente… ». Mais ça s’est arrangé. C’est lui qui produisait (même si ça a été repris en cours de route par Paramount). D’ailleurs, avant qu’il fasse son petit caprice là-haut, sur les noms, il avait été très élégant et m’avait très très bien payé! L’âge d’or des cachets c’était de 70 à 80. Je pense que les acteurs étaient encore mieux payés qu’aujourd’hui. Maintenant avec la possibilité d’être producteur c’est difficile à évaluer… »
In Première – Avril 1995 – Propos recueillis par les frères Kruger
Les mariés de l’an II
« Les Mariés ça devait durer trois mois en Roumanie et ça en a duré cinq. Il y a eu la neige et les Roumains! Ils étaient peut-être payés moins chers mais ils ne venaient pas… Aujourd’hui la notion de dépassement, c’est plus pareil. On se dit plutôt : « Tiens, on n’a pas dépassé! ». -Je m’étais porté garant de Pierre Brasseur -qu’il ne boive pas-. Je suis allé le chercher à l’aéroport de Bucarest. Il m’a salué du haut de la passerelle et il est tombé jusqu’en bas. « Je t’avais amené du Beaujolais, j’ai tout bu ». Et il a passé un mois, pété tous les jours! Et il a été parfait! C’est un type qui assurait toujours. Il avait un tel impact sur le public qu’il pouvait tout faire. De toute façon, personne ne pouvait voir qu’il était soûl… »
In Première – Avril 1995 – Propos recueillis par les frères Kruger
Le casse
« [Henri Verneuil] On a tourné neuf films [dont un sketch] ensemble. Il aimait le cinéma. Il aimait filmer les cascades… Il était aussi très patient, il supportait toutes les blagues qu’on lui faisait. Souvent, il ne comprenait qu’après, que c’était une blague! (Rires). Il était très généreux aussi. »
In Studio Magazine – Juillet-Août 2004 – Propos recueillis par Jean-Pierre Lavoignat
Le magnifique
« Le Magnifique lui aussi, a été très attaqué. Pourtant, c’est un de mes films préférés, même si Francis Veber a retiré son nom du générique – il se jugeait trahi le petit bonhomme! C’était vraiment du gâteau. Comme toujours avec De Broca. On a tourné au Mexique. C’est là que j’ai fêté mes 40 ans, on a ruiné totalement l’hôtel! Le lendemain, je viens pour m’excuser et payer les dégâts. La patronne me demande : « Vous avez passé une bonne soirée? ». Je dis oui… « Alors nous sommes contents… » Et elle ne m’a rien fait payer!… »
In Première – Avril 1995 – Propos recueillis par les frères Kruger
Peur sur la ville
« J’avais un peu le trac. Le métro entrait dans le tunnel, moi j’étais à gauche, mais comme il y avait un truc en fer qui dépassait, je devais rouler sur le côté droit, tout ça à 60 km/h. C’était risqué, on a quand même fait six prises!… Après la quatrième prise, je descends sur le quai et un type de la RATP me dit : « Bravo! Moi pour trois millions je ne le ferais pas! » Et je lui ai répondu: « Moi non plus! ».
In Studio Magazine – Juillet-Août 2004 – Propos recueillis par Jean-Pierre Lavoignat
Flic ou voyou
« J’ai joué des dizaines de flics et de commissaires et je n’ai jamais eu besoin de faire un stage au Quai des Orfèvres comme certains acteurs américains passent 15 jours dans un commissariat. Ce qui compte, c’est l’imagination, pas l’imitation. Dans notre métier, les gens n’hésitent pas à vous dire : j’ai mis six mois à m’imprégner de mon personnage et six mois à m’en défaire. Or le métier d’acteur, c’est justement d’être dans la minute un autre personnage. Quand je jouais Cyrano, après le baisser du rideau, je posais mon nez sur la table de maquillage et quand je rentrais chez moi, il n’y avait plus de Cyrano. Mais on aime bien dire qu’on a été tarabusté par le rôle et qu’on a fait de grosses recherches sur le le personnage. Ça fait bien… »
In Belmondo l’Incorrigible, Bertrand Tessier – Éditions ArchiPoche
Le professionnel
« …C’est plutôt sérieux Le Professionnel, c’est l’histoire d’un type envoyé en Afrique pour tuer une sorte d’Amin Dada… Mais la raison d’Etat change de camp et on laisse le type aux mains du dictateur. Il s’évade alors et revient pour se venger des « services » qui l’ont abandonné. C’est un film plein de suspense. Malgré deux ou trois moments plus détendus, l’atmosphère est plutôt lourde. Au fond je fais ce que j’ai toujours essayé de faire dans ma carrière: alterner les genres. Oh bien sûr contrairement à ce que disent les gens on ne peut pas tout jouer. Ça ça ne veut rien dire… Mais on peut essayer de passer de la comédie légère à un film plus dramatique. Ce que je n’aime pas, c’est que si vous faites 3 ou 4 films comiques à la suite, on vous traite de « Fernandel » – ce qui n’est d’ailleurs pas un mince compliment!- mais surtout, si après vous ne faites plus disons… l’imbécile, les gens sont déçus. Moi, je peux faire les deux, j’essaye de varier les plaisirs et d’habituer les spectateurs à m’accepter dans des comédies et dans des films plus graves. C’est ce que j’ai beaucoup fait au début de ma carrière. »
In Première – Octobre 1981 – Propos recueillis par Jean-Pierre Lavoignat
L’as des as
« En parcourant le manifeste dénonçant comme suspect mon film L’as des as, coupable d’avoir volé « les spectateurs potentiels » d’Une chambre en ville, en examinant la liste des signataires, je me pris soudain à baisser la tête… Un mot de Jean Cocteau me revenait à l’esprit : « En France, l’égalité consiste à trancher les têtes qui dépassent. » « Ainsi L’as des as que j’ai coproduit et interprété en y laissant intégralement mon cachet parce que j’avais le désir de stigmatiser, sous le ton léger de la comédie, l’antisémitisme et l’intolérance, n’est pas toléré par ceux qui font profession de tolérance, et Gérard Oury doit rougir de honte d’avoir « préconçu son film pour le succès »! Jacques Demy a-t-il « préconçu le sien pour l’échec »? Lorsqu’en 1974 j’ai produit et « sorti » Stavisky d’Alain Resnais et que le film n’a fait que 375000 entrées, je n’ai pas pleurniché en accusant James Bond de m’avoir volé mes spectateurs. Ce remue-ménage est grotesque. Aussi ridicule que la conclusion d’un critique signataire du manifeste qui termine son article en affirmant avoir entendu un enfant de expliquer, en sortant de L’as des as, qu’il s’était trompé de salle et qu’il croyait être allé voir Alien. Plus de 3 millions de spectateurs français en trois semaines, sans compter les pays étrangers, où le film reçoit un accueil triomphal, se sont donc, eux aussi trompés de salle et sont ressortis ahuris, et ont applaudi L’as des as, croyant qu’il s’agissait d’un autre film, et me prenant pour un autre acteur! « Peut-être serait-il plus honnête d’imaginer avec un autre critique les raisons de l’attrait qu’exerce L’as des as : « En ce temps de crise, le public a entrepris une formidable transhumance vers les pâturages du divertissement et de l’évasion. Son ampleur actuelle en fait un phénomène de société. » Venons-en au fait reproché à Oury. L’accueil triomphal réservé à son film ne serait dû qu’à une gigantesque intox, un « écrasement informatif » si intense qu’il aurait rendu sourds et aveugles les 3 millions de spectateurs en question les empêchant d’aller voir Une chambre en ville… En tout cas, pour moi qui ne suis qu’un acteur, le vote massif des spectateurs est et demeurera la plus belle récompense. Oublions donc cette agitation stérile et gardons seulement en mémoire cette phrase de George Bernanos : « Attention, les ratés ne vous rateront pas! »
In Belmondo l’Incorrigible, Bertrand Tessier – Éditions ArchiPoche
Itinéraire d’un enfant gâté / Les Misérables du XXème siècle
« Moi, j’avais assez envie de tourner avec lui, d’abord parce qu’à chaque fois qu’on voit un film de Lelouch, les acteurs sont très bien. Et ça compte dans la vie d’un acteur d’être heureux quand il tourne, d’être bien quand il travaille. Avec lui le plaisir était garanti. Nous nous sommes revus régulièrement, toujours à déjeuner. Et il a commencé à me raconter l’histoire de ce type qui quittait tout pour se retrouver, qui changeait de vie et partait pour le bout du monde – en faisant le tour du monde. Ça tombait bien : depuis quelques temps déjà je voulais sortir de l’emploi qui avait été le mien au cinéma pendant des années. A un moment donné il faut laisser l’habit au vestiaire, sinon on n’existe plus, il n’y a plus que l’habit. Ce que Claude me proposait c’est un personnage riche, fort, haut en couleur, un personnage humain, quelqu’un avec de vrais sentiments, de vraies émotions, qui jouait sur plusieurs registres, sur plusieurs facettes… Et puis aussi je trouvais ça drôle de travailler un jour à Singapour, trois jours à Tahiti, cinq jours à San Francisco, quinze jours au Zimbabwe…. Je crois que tout ça, le travail avec Claude, ce personnage, cette aventure arrivait juste au bon moment…. C’est un plaisir de tourner avec lui : pouvoir s’abandonner, inventer. Il ne cesse de lancer des défis aux acteurs. Il vous souffle des dialogues une seconde avant que vous ayez à les dire. Il faut donc trouver instantanément le ton juste, faire passer l’émotion ou la surprise. C’est un vrai exercice. Et ça ça me plaît… »
In Studio Magazine – Juin 1988 – Propos recueillis par Jean-Pierre Lavoignat
Catégories :Analyse