Critiques Cinéma

COMANCHERIA (Critique)

4 STARS EXCELLENT

commancheria affiche cliff and co

SYNOPSIS: Après la mort de leur mère, deux frères organisent une série de braquages, visant uniquement les agences d’une même banque. Ils n’ont que quelques jours pour éviter la saisie de leur propriété familiale, et comptent rembourser la banque avec son propre argent. À leurs trousses, un ranger bientôt à la retraite et son adjoint, bien décidés à les arrêter. 

Comancheria (Hell or High Water pour la sortie internationale) a été ajouté à la dernière minute à la programmation du Certain regard du 69ème festival de Cannes. Bien en a pris Thierry Fremaux, le délégué général de la croisette, car le nouveau film de David Mackenzie s’avère être une excellente surprise, une série B texane de luxe qui explore avec acuité et ironie les vestiges du rêve américain. Mais qui est David Mackenzie ? Un cinéaste britannique qui a initialement accédé à la reconnaissance en 2003, dans son Écosse natale, après avoir signé 3 films à la suite : tout d’abord, le drame en eaux calmes Young Adam (avec un Ewan McGregor dérangé), puis le méconnu mais pourtant chouette Asylum, et enfin, le ténébreux My Name Is Hallam Foe, qui voyait le jeune Jamie Bell lutter contre ses pulsions sexuelles dans un contexte de deuil et d’Œdipe maladroit. Initialement inconnu dans nos contrées, Mackenzie a ensuite acquis une notoriété – relative – dans l’hexagone grâce à Toy Boy, projet faussement trash et bien plus malin que ne le laissait soupçonner son marketing promotionnel. Surprenant par son étonnante noirceur et sa manière de déconstruire les codes de la romcom hollywoodienne, Toy Boy permettait à Mackenzie de s’accomplir en exprimant son point de vue sur les USA (il y révélait la désillusion de cette usine à rêves).

COMANCHERIA 1 CLIFF AND COHabitué à jongler habilement entre les genres, Mackenzie s’est ensuite illustré en enchaînant presque coup sur coup deux romances originales et bien foutues, sur fond de rock et de dystopie (Rock’N’Love et Perfect Sense), puis enfin Les poings contre les murs (Starred Up en version originale), plongée « choc », ultra-réaliste, immersive et violente dans l’enfer des prisons londoniennes avec en toile de fond une relation père-fils malmenée. Si l’on devait résumer Mackenzie, nous dirions que c’est un auteur au sens le plus noble du terme, un cinéaste capable d’offrir une vision, un propos construit (sur les liens fondamentaux qui unissent les êtres, en l’occurrence), articulé autour de thématiques récurrentes (l’American Way of Life illusoire, l’amour contrarié, l’effondrement individuel et collectif), de motifs redondants (la fin du monde imminente, le voyeurisme, la filiation, la virilité, la rédemption, l’abandon, la transgression, l’humanité ravagée) et d’une mise en scène toujours ébouriffante. C’est donc aujourd’hui avec impatience qu’on le retrouve derrière la caméra de Comancheria, un projet tourné aux USA, en plein territoire indien (la comancheria étant le nom donné à la région habitée par les Comanches avant 1860). L’histoire du métrage est simple : deux frères (Chris Pine et Ben Foster, tous deux extraordinaires en losers survoltés) au bord de la faillite et de la crise de nerfs commettent une série de braquages au Texas, et se voient ensuite traqués par deux policiers locaux, un vieux shérif (Jeff Bridges dans sa zone de confort, mais toujours convaincant sur ce registre) et son adjoint métis (mi indien, mi mexicain) interprété par Gil Birmingham.

COMANCHERIA 2 CLIFF AND COPorté par une pensée réflexive et politiquement engagée, Mackenzie dresse, presque dès le départ, un constat amer sur les États-Unis, pays atteint lui-aussi par la Crise économique de 2008. Il est bien épaulé dans sa lourde tâche par le script malin et diablement tendu de Taylor Sheridan (auteur du Sicario de Denis Villeneuve, sorti l’an dernier), fondé sur l’hypothèse que les banques s’en mettent plein les poches sur le dos d’honnêtes travailleurs. Une idée «facile», qui enfonce un peu des portes ouvertes, mais qui est ici traitée avec brio, sans manichéisme crétin. L’intelligence de Mackenzie et Sheridan réside en effet dans l’interrogation subtile qu’ils font de la violence des braquages, et de ses origines. Dans Comancheria, il est en effet question pour les frangins d’extorquer les fonds des succursales de la banque qui les a détroussés, afin de rembourser des prêts avec l’argent volé. Une sorte de redistribution des biens façon Robin des Bois, avec pour objectif de se venger du système qui les a fait naître, une bataille contre le «rêve américain» qu’on leur a promis. La cible du tandem Mackenzie/Sheridan est choisie, le message est limpide, le culte de l’argent en prend alors pour son grade.

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Si Comancheria est réussi, ce n’est pas uniquement grâce à la solidité de son récit, c’est aussi parce qu’il tient complètement en tant que film de genres. Genres volontairement au pluriel, tant Comancheria se trouve indéniablement dans un carrefour entre la comédie noire, le néo-western (l’unité de lieu, les fusillades, le coucher de soleil texan, la traversée de bisons, le shérif et les bandits), le film de braquage désespéré, le road-movie nihiliste et le thriller financier. L’ADN du film fait alors instantanément référence à la plume des frères Coen (ou de Cormac McCarthy, si on imagine particulièrement No Country for Old Men comme source d’inspiration pour Mackenzie) et la présence au générique de Jeff Bridges en vieux shérif grogneur n’apparaît dès lors plus comme un simple choix, mais comme une intention (pour illustrer l’excellent True Grit). Concernant les comédiens d’ailleurs, Mackenzie offre un terrain de jeu pleinement satisfaisant au trio Pine/Foster/Bridges, pour qu’ils puissent extérioriser leurs émotions et livrer une palette nuancée, ce qu’ils réussissent à merveille. De l’autre côté de la caméra, Mackenzie a travaillé une mise en scène minimaliste mais toujours intéressante et consciencieuse, laissant davantage la place aux décors (naturels), aux personnages et même à la musique (Nick Cave et Warren Ellis, super boulot) pour coller au sujet, avec un rythme tout de même haletant et une tension palpable à chaque plan. Comancheria s’impose comme l’un des meilleurs films de David Mackenzie à ce jour, avec comme atouts un script percutant, qui n’hésite pas à traîner le rêve américain dans la boue, une mise en scène maîtrisée, et un casting impeccable.

commancheria affiche cliff and co

Titre Original: HELL OR HIGH WATER

Réalisé par: David Mackenzie

Casting : Jeff Bridges, Chris Pine, Ben Foster,

Gil Birmingham, Marin Ireland, Katy Mixon…

Genre: Western, Thriller, Drame

Sortie le: 07 septembre 2016

Distribué par: Wild Bunch Distribution

4 STARS EXCELLENTEXCELLENT

2 réponses »

  1. Assez d’accord avec cette critique, surtout sur l’aspect politique sans faire dans le m’as-tu-vu. Je pense que c’est une des belles réussites de cette année.

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