SYNOPSIS: Dans la famille de Justine tout le monde est vétérinaire et végétarien. À 16 ans, elle est une adolescente surdouée sur le point d’intégrer l’école véto où sa sœur ainée est également élève. Mais, à peine installés, le bizutage commence pour les premières années. On force Justine à manger de la viande crue. C’est la première fois de sa vie. Les conséquences ne se font pas attendre. Justine découvre sa vraie nature.

Dans ce paysage un peu morose et au milieu d’un festival de Cannes 2016 assez enthousiasmant (bien que le palmarès ait pu faire croire à un millésime sans saveur), un petit film français fit sensation à la Semaine de la Critique, recueillant des avis extrêmement positifs, au point de recevoir le très prestigieux prix de la critique internationale (FIPRESI). Sa réalisatrice, Julia Ducournau, avait certes marqué quelques esprits, 6 ans auparavant, lors de la présentation de son court-métrage (Junior) à la Semaine de la Critique, mais rien ne pouvait laisser présager un tel accueil pour un premier long métrage plongeant avec délice les deux mains dans la grande marmite, remplie de sang et de morceaux de chair, d’un cinéma fantastique s’assumant totalement. Grave n’est en effet pas le genre de film à effleurer le genre, à ne pas oser trop y toucher pour ne pas perdre en route quelques spectateurs (mal) habitués à vivre des séances sans surprises, qui ne les bousculent pas. Grave ne fait pas non plus dans le tri sélectif, comme le font trop de films, qui marquent nettement la séparation entre des scènes fantastiques, voire gores et des scènes plus « safe », où le spectateur a le sentiment de se trouver devant un autre film beaucoup plus sage. L’une des forces de Grave est sa capacité constante à surprendre, à réussir brillamment des ruptures de ton et de genre au sein d’une même scène. Le gore affleure le fantastique qui s’installe progressivement dans le récit et l’humour (certains passages sont très drôles) est utilisé aussi bien pour refaire tomber la tension d’une scène que pour créer le malaise.
Le récit reprend les codes du roman initiatique, suivant le parcours de Justine, une jeune fille de bonne famille, entrant en première année de l’école vétérinaire jadis fréquentée par ses parents et dans laquelle elle retrouve sa sœur, Alexia, élève de deuxième année. Trop jeune, trop douée, trop innocente, elle se retrouve dans un monde dont elle ignorait la violence et les codes. Comme Carrie, l’héroïne de Brian de Palma, c’est en quittant le cocon familial et en se confrontant à ses camarades que Justine va se révéler à elle même et au spectateur. Prise dans le bizutage violent auquel doivent se soumettre les étudiants de première année, sous peine de ne jamais être intégrés, elle doit notamment manger un rein de lapin cru, alors même qu’elle est végétarienne comme ses parents et sa sœur. Loin d’être anecdotique, cette transgression sera à l’origine de l’évolution de Justine. L’équilibre du film est parfait, le glissement vers le fantastique se faisant progressivement, passant d’abord par le « campus movie » puis le drame. Ce subtil dosage entre les genres, cette bascule progressive, permet de ne jamais rompre le lien entre le spectateur et Justine que l’on suit avec la même empathie pendant tout le récit, même lorsqu’elle commence à avoir des comportements totalement inattendus, jusqu’à révéler, ou plutôt libérer et accepter sa véritable nature. Avec une telle qualité d’écriture et une telle précision et inventivité dans la mise en scène, il fallait également une actrice capable de se mettre au diapason, de s’engager totalement par son jeu, son regard, son corps, dans ce personnage passionnant et complexe. Garance Marillier (qui tenait déjà le rôle principal de Junior) livre ainsi une performance proprement hallucinante, complètement possédée par ce rôle, elle incarne aussi bien la candeur de la jeune étudiante qu’une férocité, une animalité qui fait penser à Béatrice Dalle dirigée par Claire Denis dans le dérangeant Trouble Every Day. Comme le film, elle glisse entre les registres avec l’assurance d’une actrice qui serait au sommet d’une très belle et longue carrière. Malgré le talent d’orfèvre de Julia Ducournau pour installer le juste climat de sa scène, pour ménager ses effets, jouer sur la sidération et créer des images mentales incroyablement puissantes, cet édifice pourrait s’écrouler avec une autre actrice. On peut également citer et féliciter Ella Rumpf (Alexia, la grande sœur de Justine) et Rabat Nait Ouffela (Adrien, étudiant en première année, qui partage la chambre de Justine). Ils ont dû tous les deux s’élever au niveau d’exigence imposé par l’ambition « jusqu’au boutiste » de Julia Ducournau qui ne retient jamais ses élans aussi bien quand il s’agit d’évoquer la sexualité de ses personnages, que lorsque le récit bascule dans un fantastique aux frontières de l’horreur.
Les scènes chocs s’enchaînent sans que l’on n’ait jamais le sentiment d’une démonstration de force et Julia Ducournau excelle à installer un climat de douce étrangeté dérivant vers quelque chose de plus viscéral, de plus organique. Les images produites se glissent dans la peau telle un parasite, infusent un sentiment de malaise et les indices de la « transformation » de Justine et du basculement du récit sont très intelligemment disséminés, de sorte que l’on se retrouve entièrement engagé dans cette histoire, toujours surpris d’une scène à l’autre sans pour autant perdre le fil. On pense beaucoup aux premiers films de Cronenberg, Julia Ducournau s’attachant à étudier au plus près la transformation autant physique ( les démangeaisons incontrôlables, la peau qui se desquame …) que psychique. Tout se passe comme si en mangeant ce rein de lapin, Justine avait ingéré un parasite prenant peu à peu le contrôle, même si à la différence de Cronenberg, ce parasite ne va changer la nature de son hôte mais plutôt la libérer. On est fasciné par une telle maîtrise, une telle capacité à digérer ses influences, non pas pour reproduire servilement mais pour servir son propos et sa vision du cinéma. Julia Ducournau déboule dans le cinéma français comme Gaspar Noé et Lucile Hadzihalilovic l’avaient fait en leur temps, avec la même assurance, la même maîtrise formelle, l’immense talent de savoir imposer leur univers dès leur premier film. Il faut toujours être prudent au moment d’affirmer qu’un film est un chef-d’oeuvre et qu’il va marquer durablement les esprits mais, de notre point de vue, sans le moindre doute, Grave est bien plus que la petite pépite attendue pour « revigorer » le cinéma de genre français, c’est un immense film qu’il faudra absolument aller voir et revoir.
Titre Original: GRAVE
Réalisé par: Julia Ducournau
Casting : Garance Marillier, Ella Rumpf, Rabat Nait Ouffela,
Joana Preiss, Laurent Lucas, Bouli Lanners…
Genre: Comédie, Epouvante-Horreur
Sortie le: 15 mars 2017
Distribué par: Wild Bunch Distribution
CHEF-D’ŒUVRE
Catégories :Critiques Cinéma
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