Critiques Cinéma

THE NEON DEMON (Critique)

5 STARS CHEF D'OEUVRE

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SYNOPSIS: Une jeune fille débarque à Los Angeles. Son rêve est de devenir mannequin. Son ascension fulgurante et sa pureté suscitent jalousies et convoitises. Certaines filles s’inclinent devant elle, d’autres sont prêtes à tout pour lui voler sa beauté. 

Nicolas Winding Refn est un auteur. Et comme tous les auteurs, il polarise. Après le succès planétaire de Drive, pur film de commande transcendé par une mise en scène au diapason, le réalisateur danois a sorti Only God Forgives, opus qui a largement divisé la critique. Anti thèse d’un  Drive 2, sottement attendu par certains, Only God Forgives permettait simplement à (l’autoproclamé) NWR  de renouer avec la fibre radicale de ses débuts, à distance du projet « mainstream » (sous-entendu non initié par ses soins) qu’était Drive (écrit par un autre que lui, Hossein Amini, et devant être réalisé à la base par un autre metteur en scène, Neil Marshall). Et comme à l’accoutumée avant Drive, une partie des journalistes ciné se déchaîna sur son nouveau bébé, n’hésitant pas à le qualifier de « belle coquille vide » pondue par un « réalisateur arrogant et prétentieux », tandis que l’autre frange de la critique criait une nouvelle fois au génie du réalisateur, reconnu trop souvent uniquement pour ses expérimentations folles et son hyper-stylisation formelle. Une seule certitude pour tous : Nicolas Winding Refn ne fait absolument pas partie de cette catégorie « grand public » de réalisateurs interchangeables, appelés « Yes Men » dans le milieu. C’est un artiste entier et singulier, qui peut se vanter d’apposer sa griffe sur chacun de ses longs-métrages, qu’on aime ou qu’on déteste. Doté d’une patte artistique unique, fondée sur une esthétique sidérante, un ton mélancolique souvent bouleversant, une ultra violence généralement fétichiste et imprévisible, NWR dépose également dans ses films des motifs et thématiques redondants, qui nourrissent un propos global articulé autour de sous-textes denses, centrés notamment sur l’épanouissement des êtres à travers la filiation, ou bien encore la plongée inéluctable des protagonistes en Enfer. Son nouveau film, The Neon Demon, a été présenté en compétition officielle au 69ème festival de Cannes et pas de bol pour lui, il est reparti bredouille. Côté critiques, The Neon Demon n’a pas échappé à la « règle » – Drive étant l’exception – en clivant les journalistes. Verdict de notre côté ?

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L’argument narratif de The Neon Demon est simple. Jesse, jeune brebis galeuse, débarque à Los Angeles dans la tanière du loup pour accomplir son rêve : devenir mannequin en perçant dans le milieu de la pub et de la mode. Son ascension fulgurante, sa plastique rêvée et sa vitalité débordante suscitent jalousies et convoitises dans la profession. Certaines filles s’inclinent devant elle, d’autres sont prêtes à tout pour posséder ce qu’elle a. À vrai dire, la simplicité de ce synopsis n’est jamais préjudiciable, l’enjeu ne tenant pas tant dans la résolution de l’intrigue, ni même dans l’approche psychologique des personnages, mais plutôt dans la réalisation. Le récit de NWR, dense et structuré comme un conte macabre destiné à éveiller les consciences sur le culte absurde, presque surréaliste, de la beauté, ainsi que sur les dangers inévitables de la course au star-system (jalousie pathologique, dépassement de limites et transgression de règles élémentaires de savoir-vivre), ne prend en effet véritablement sens qu’à travers la mise en scène, une nouvelle fois esthétisante et poétique, toujours parfaitement maîtrisée. The Neon Demon est, en fait, l’exemple type du pur film de cinéma, où la narration passe avant tout par l’image, le découpage, le montage et la musique. Un travail d’orfèvre est opéré par NWR, qui a une nouvelle fois réussi son coup en favorisant l’atmosphère hypnotique et la stylisation planante aux péripéties, en vue de nous plonger dans un monde de sensations, fruit d’une harmonie hallucinante entre des cadres splendides, des sons ensorcelants et un effort mérité de suggestions. Ces éléments permettant à The Neon Demon d’accéder en clin d’œil au statut de film délicatement « sensoriel », à l’instar d’un The Duke of Burgundy ou d’un Under The Skin, deux œuvres singulières dont la radicalité narrative et formelle nous avait transcendé. The Neon Demon est donc une véritable proposition de cinéma, au moins dans la façon dont il bouscule certains codes pour plonger dans le milieu envoûtant, quoique scabreux, de la mode. Cet univers est ironiquement mis en lumière par les images hallucinées de Natasha Braier et la musique captivante du toujours excellent Cliff Martinez, avec une BO qui oscille régulièrement entre fureur et douceur.

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Mais saluer The Neon Demon seulement sur ces critères formels serait réducteur, tant il regorge de niveaux de lecture scénaristique intéressants dès lors que l’on gratte en profondeur. Derrière les néons, les stroboscopes, et les couleurs scintillantes, qui permettent déjà en soi à NWR de critiquer le milieu du mannequinat en faisant preuve de subversion (après tout, il utilise les artifices de la mode pour dénoncer cette esthétique), se cache en effet le désir du cinéaste de livrer un brûlot utilitaire sur un univers qui cristallise la part sombre des individus. Au-delà de ne pas avoir manqué d’instiller son style percutant pour renforcer la portée subversive de son film, NWR frappe à la massue la conscience collective en dénonçant donc la superficialité et l’idéal de « Beauté » à atteindre en société, société devenue de plus en plus eugéniste. Divers subtexts passionnants gravitent autour de ce discours accablant, NWR s’employant à évoquer la triste solitude des êtres médiatiques, les apparences trompeuses et les comportements forcés, les dérives narcissiques de l’omniprésence des images, les ravages de la mise en compétition dans un champ dérégulé et la jalousie maladive, la survie dans un monde peuplé d’ordures, ou encore l’impression cauchemardesque de devoir « assimiler » l’Autre pour pouvoir posséder son éclat. NWR balaye toutes ces thématiques avec brio, à travers un mélange des genres plutôt réussi et un enchaînement de scènes toutes aussi puissantes les unes que les autres. En mémoire, cet échange à table lorsque Dean, ami de Jesse, tente d’imposer sa conception de la beauté auprès d’un recruteur condescendant et froid (Alessandro Nivola, excellent). Ou bien, ce premier « shoot » de Jesse, réalisé au calme par un photographe immonde. Ou bien encore, cette séquence de sexualité paraphile que vit le personnage sadique incarné par Jena Malone. Et ainsi et de suite. Vous l’aurez compris : qu’il vise à distraire, à effrayer ou à édifier, The Neon Demon porte donc en lui une véritable force narrative, émotionnelle et philosophique, qui marque indéniablement les esprits.

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Dans cette rêverie sanglante, NWR confirme par ailleurs tout le bien que l’on pensait d’Elle Fanning, ici sublimée comme jamais. Le choix de la cadette des sœurs Fanning pour interpréter le rôle principal est tout à l’honneur de NWR, puisqu’il participe à l’œuvre que construit cette actrice, au regard de sa filmographie. Elle Fanning, connue pour avoir incarné la fille d’une star hollywoodienne déprimée dans Somewhere de Sofia Coppola, une apprentie et naïve comédienne dans Super 8 de J.J. Abrams, et surtout la Belle au Bois Dormant dans le récent Maléfique version live, campe ici une jeune mannequin insouciante, désireuse d’être reconnue pour son talent. Une sorte de « princesse » contemporaine qui se verra bientôt brutalisée par des vautours dans un univers loin d’être si parfait, Fanning construisant ainsi sa carrière autour de personnages issus de contes et/ou en miroir avec sa propre vie. Évidemment, The Neon Demon ne réconciliera pas NWR avec ses détracteurs, qui accableront le cinéaste avec les mêmes sempiternels arguments : mise en scène racoleuse et tape-à-l’œil, absence de vie et de « substance narrative » donnant une sale impression de spectacle vain, relations puériles entre les personnages, surabondance de références (le thriller à tendance giallo façon Suspiria, les fulgurances graphiques à la Jodorowsky, l’errance à la Lynch, la rivalité de Black Swan, la trajectoire, l’ironie et le mauvais goût assumé du Showgirls de Verhoeven, la froideur de Cronenberg…). Pourtant, il n’en est rien, la matière est bel et bien là … la singularité, les doutes, le mystère et le chaos également. Nous pourrions cependant nous accorder avec les rageux sur quelques défauts présents ici et là : la sous exploitation de Keanu Reeves notamment (dans la peau d’un teneur de motel sordide), ou bien les problèmes de rythme avec l’étirement en longueur de certaines scènes, voire même de certaines tirades. The Neon Demon était LE choc ciné du 69ème festival de Cannes. Dommage que le jury présidé par George Miller n’ait pas eu l’audace de primer NWR pour son courage. Le cinéaste danois s’en est de nouveau donné à cœur joie pour matérialiser ses ambitions artistiques les plus folles et nous emporter, il aurait été de bon ton de le féliciter.

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Titre Original: THE NEON DEMON

Réalisé par: Nicolas Winding Refn

Casting : Elle Fanning, Jena Malone, Desmond Harrington,

Keanu Reeves, Bella Heathcote, Abbey Lee…

Genre: Thriller, Epouvante-Horreur

Sortie le: 08 juin 2016

Distribué par: The Jokers/Le Pacte

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