Critiques Cinéma

LOVE (Critique)

4,5 STARS TOP NIVEAU

LOVE AFFICHE

SYNOPSIS: Un 1er janvier au matin, le téléphone sonne. Murphy, 25 ans, se réveille entouré de sa jeune femme et de son enfant de deux ans. Il écoute son répondeur. Sur le message, la mère d’Electra lui demande, très inquiète, s’il n’a pas eu de nouvelle de sa fille disparue depuis longtemps. Elle craint qu’il lui soit arrivé un accident grave.  Au cours d’une longue journée pluvieuse, Murphy va se retrouver seul dans son appartement à se remémorer sa plus grande histoire d’amour, deux ans avec Electra. Une passion contenant toutes sortes de promesses, de jeux, d’excès et d’erreurs…

Love, le dernier film de Gaspar Noé (Carne, Seul contre tous, Irréversible, Enter the void), aura fait couler beaucoup d’encre. D’abord présenté comme un « mélodrame sexuel en 3D » par son producteur Vincent Maraval, puis comme un « porno joyeux porté par des acteurs inconnus » par son réalisateur franco-argentin – avec une note d’intention à peine sexiste : « un film qui fera bander les mecs et pleurer les filles » – Love a ensuite fait jaser la toile lors de la parution sur les réseaux d’affiches hautement explicites (dont l’une d’entre elles représente un pénis en érection devant un sein). Autre jour, autre buzz : la rumeur persistante pendant le festival de Cannes selon laquelle Gaspar Noé aurait achevé le montage du film deux jours seulement avant sa présentation officielle en séance de minuit. Ce qui est certain, c’est que Love aura rassemblé les foules dans le grand théâtre Lumière en ce mercredi 20 mai, projection qui eut lieu en présence des trublions précités, du jeune casting (Karl Glusman, Aomi Muyock, Klara Kristin), mais aussi de quelques camarades latino-américains (l’acteur Benicio Del Toro, Luis Felipe Noé, peintre ludique et père de Gaspar, le réalisateur Fernando Ezequiel Solanas, dont Noé fut l’assistant au début de sa carrière). Comme tout grand cinéaste, Gaspar Noé polarise. Metteur en scène d’expérimentations radicales et osées pour les uns, auteur provocateur – adepte des scènes chocs – et surcoté pour les autres. Disons-le tout de go, Love ne réconciliera certainement pas les détracteurs avec son cinéma, il risque même fortement d’accroître le clivage, et peut-être même de laisser quelques aficionados du réalisateur sur le carreau. Car oui, à la sortie, Love a radicalement divisé. Certains y ont décelé un catalogue creux de fantasmes hétéro-beauf (mal) servis par des acteurs dénués de charisme, d’autres y voyant au contraire un grand film d’amour, sans doute le plus personnel et le plus mélancolique de Noé. Qu’en est-il ? On penche plutôt dans ces lignes pour la seconde option, même s’il est vrai que le film est loin d’être parfait.

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Love est une œuvre d’art, à des années du racolage vulgaire établi par le marketing vaseux. Un film-expérience qui prend aux tripes du début à la fin, s’envisageant comme une sorte de pendant arty et porno de Mon Roi, présenté quelques jours plus tôt sur la croisette. La construction narrative est relativement similaire (à un détail – très important – près), la passion tumultueuse et destructrice qui unit Murphy et Electra étant racontée au passé (sous forme de flashbacks) uniquement par le protagoniste masculin. C’est en grande partie sur ce dernier point que Gaspar Noé s’est attiré les foudres du public cannois, Love n’étant pas un film d’amour à proprement parler, mais un long-métrage sur la désintégration d’un couple entièrement narré/présenté du point de vue d’un homme, qui plus est, un type incroyablement misogyne et immature. Il est clair que le héros Murphy, jeune étudiant en cinéma établi à Paris, devenu père de famille malgré lui, est une ordure épouvantable avec les femmes, qu’il traite de tous les noms, ne pouvant réellement se remettre en question qu’à la toute dernière étape d’un voyage chaotique, marqué par des comportements arrogants et hautains, des infidélités, un manque total d’empathie à l’égard de ses conjointes, une haute estime de lui l’amenant à penser que tout lui est dû, ainsi qu’un besoin excessif d’être admiré. Ce personnage narcissique peut en réalité se profiler comme une projection-écran de Gaspar Noé lui-même, qui souhaite manifestement expier des pêchés et « s’excuser » d’un mal commis. Le film est parcouru d’indices allant en ce sens. Noé, alors en pleine introspection, s’auto-cite régulièrement lors de passages assez drôles, que ce soit à travers le choix du film de chevet de Murphy (2001 : l’odyssée de l’espace, son Saint Graal cinématographique aux côtés des chefs-d’œuvre de Tarkovski), des affiches placardées dans son appartement (Taxi Driver, Salo ou les 120 jours de sodome), ou lorsqu’il annonce ses intentions « je veux tourner un film avec du sang, du sperme et des larmes », voire même, de manière plus directe, avec le cadre ludique des noms distribués aux personnages : son fils s’appelle « Gaspar », « Noé » est offert à son némésis, un patron de galerie narquois et ex-amant d’Electra, interprété par Gaspar Noé himself (l’homme en compétition avec ses propres démons). Ce n’est sans doute pas un hasard non plus si Gaspar Noé ressent le besoin de déclarer sa flamme à Lucile Hadzihalilovic, le temps d’une séquence onirique particulièrement inspirée. Enfin, on peut déceler à travers l’intervention hautement improbable de Vincent Maraval, accoutré en flic, une tentative de rétablissement d’une certaine « éthique » (Maraval acteur vient un peu remettre les pendules à l’heure à Murphy/Noé, comme le ferait un producteur avec un réalisateur mégalo).

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Avec Love, Noé poursuit l’exploration de plusieurs facettes de l’amour par delà le bien et le mal (rencontre avec une partenaire, relation fusionnelle, sexe dans un club échangiste mal famé, plan à 3, disputes, déchirement entre deux êtres, enfant non désiré, expérience avec un trans, consommation de toxiques) et l’expérience, bien que régulièrement naïve et extrêmement maladroite (l’ouverture choc, les dialogues parfois ingénus, parfois explicatifs, la sous-écriture des personnages, quelques longueurs, les aphorismes, l’acte avec le trans, que le caméra évite à tout prix au point de se diriger vers la transphobie), est riche d’émotions. Et même si certains dépisteront un sale trip de gamin insolent et égocentrique, on a plutôt ici envie de laisser le bénéfice du doute au cinéaste franco-argentin, et de croire à ce sentiment mélancolique profond qui semble l’habiter. Après tout, peu importe sa personnalité, son caractère, Murphy, être perdu dans le tourbillon sentimental dévastateur qu’il a initié, est un personnage tourmenté, un humain mal dans sa peau comme l’a probablement été (l’est encore ?) Gaspar Noé. Avec ce fondement, Love peut aisément s’envisager comme une invitation dans son dédale intime, la mise en abîme est évidente, et de ce postulat découle une certaine empathie du spectateur pour le héros, malgré tous ses défauts. Le choix du format scope et de la 3D devient d’ailleurs logique, avec pour objectif premier une immersion totale dans le récit (petit bonus, un money-shot, certes attendu et un peu puéril, mais bien foutu). La forme, parlons-en. Noé conserve son style incroyable et marque une nouvelle fois les esprits avec une mise en scène éblouissante : narration à rebours maîtrisée (rappelant celle d’Irréversible), effets sympathiques de lumière stroboscopique made in Benoît Debie (son chef opérateur attitré), plans d’une beauté époustouflante (tout le passage de la dispute dans le taxi est magnifique), scènes de sexe parfaitement incrustées, cadrages et surcadrages millimétrés, alternance entre des passages à la réalisation nerveuse, parfois presque nauséeuse, et des moments plus doux (le long travelling arrière façon Before Midnight, lorsque le couple marche dans le parc, vers la fin), montage fluide, atmosphère ensorcelante et troublante, bien alimentée par une musique planante, composée d’extraits de morceaux connus enivrants (le thème musical d’Assaut par John Carpenter, les variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach, le Mirwais – Disco Science de Snatch, les notes de Cannibal Holocaust…) et tout un tas d’autres réjouissances. Un bémol peut-être : le casting, avec une Aomi Muyock qui manque de nuances dans son jeu et un Karl Glusman pas encore tout à fait établi. Klara Kristin sort un peu du lot et convainc. La promesse d’un « film de sexe avec des sentiments » est tenue. Love n’a rien d’un porno obscène ou vulgaire, mais recèle du mélodrame bouleversant, au message limpide et mélancolique : « on ne se remet jamais réellement d’un chagrin d’amour ».

LOVE AFFICHE

Titre Original: LOVE

Réalisé par: Gaspar Noé

Casting: Karl Glusman, Aomi Muyock, Klara Kristin

Juan Saavedra, Jean Couteau, Vincent Maraval …

Genre: Erotique, Drame

Sortie le: 15 juillet 2015

Distribué par: Wild Bunch Distribution

4,5 STARS TOP NIVEAUTOP NIVEAU

 

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