Lundi 6 avril 2015. Quelques jours à peine avant la sortie de son premier film en tant que réalisateur, Lost River, Ryan Gosling est de passage à Paris. En compagnie de Reda Kateb qui est à l’affiche du film, l’acteur-réalisateur se présente dans une salle surchauffée à blanc et électrisée par sa présence. Pendant près de 45 minutes, les deux hommes vont se prêter au jeu des questions réponses. Récit.
Rencontrer un cinéaste ou un acteur pour l’écouter parler de son travail est toujours un plaisir. A part Uwé Bowl probablement. Le public présent lors de ses rencontres est la plupart du temps composés de cinéphiles et les questions posés peuvent être tout à fait pertinentes, bien plus que celles de journalistes généralistes, car après tout la spécialisation amène un champ de questionnement plus simple que les sempiternelles questions sur l’ambiance de tournage, le stress avant la première, etc…
Ryan Gosling est actuellement en tournée de promotion européenne pour Lost River son premier film en tant que réalisateur. Européenne car le film sortira de manière confidentielle aux USA deux jours après l’Europe, faute à « un accueil cannois mitigé » mais surtout dû à un film tout, sauf grand public. La sortie française est aussi peu large (80 copies) et pourtant l’acteur/réalisateur a été vu dans beaucoup de médias, jusqu’au journal de 20h de France 2. Comment expliquer cette schizophrénie entre une œuvre complexe, difficile d’accès et un traitement médiatique qu’on verrait plus appliqué à Vin Diesel et ses pétarades récentes ?
La réponse était visible lors de l’avant-première de Lost River et tient dans le parcours de Ryan Gosling. Travaillant jeune à la télé pour Disney, puis sur la série Hercule le canadien s’est très vite inscrit dans une carrière d’acteur dans le cinéma indépendant. De Barbet Schroeder à Georges Clooney, il n’a jamais fait ni film à gros budget, ni carton au box-office. Il doit son existence médiatique récente au prix de la mise en scène acquis par Drive à Cannes où il interprétait le rôle-titre et à une belle gueule qui ont fait de lui, à ses dépens, un sujet de choix pour les magazines people et les jeunes filles. Et il se retrouve fréquemment sous les hurlements des fans sans que cela ait le moindre lien avec son travail d’acteur ou de réalisateur. Une partie de son public semble complètement déphasé avec l’artiste qu’il est vraiment. Parce qu’il est indéniable qu’il est un acteur talentueux et un réalisateur/scénariste ambitieux avec beaucoup de talent également.
Pour lire la critique du film vous pouvez retrouver ici celle de Piwi
Une fois le film passé, Ryan Gossling et Reda Kateb se sont prêtés avec un plaisir non feint au jeu des questions réponses avec des spectateurs bien plus intéressés par le travail formel du réalisateur et ses intentions que par sa belle gueule. L’acteur-réalisateur garde toujours une étonnante tranquillité au cours de ses exercices de promotions et il s’exprime sans peine sur son film, sa vision et son propos.
De son film, Ryan Gosling évoquera notamment l’aspect fantastique qui s’explique par l’aspect conte de fées du récit. Chaque personnage ayant un nom et un caractère très archétypal, représentant une émotion ou un concept. Mais ce côté conte de fées est mélangé avec le réalisme qu’a insufflé le tournage à Détroit. Détroit, personnage à part entière de cette fiction qui est finalement la « demoiselle en détresse » de ce conte de fées.
Reda Kateb parla ensuite de son plaisir de tourner avec Ryan Gosling, ainsi que de sa surprise lors de l’appel de ce dernier pour l’embarquer dans cette aventure. Il a d’ailleurs parlé du réalisateur comme s’intégrant dans « le cercle » des acteurs au moment du travail des scènes sur le plateau et de la possibilité pour l’acteur de proposer et d’improviser lors des scènes, notamment lors du dialogue sur la vision des immigrés sur le rêve américain. Le plateau fut d’ailleurs bien accueilli par les habitants de Détroit qui parfois même furent intégrés aux acteurs professionnels.
Ryan Gosling a ensuite parlé de ses recherches sur le grand guignol parisien et sur ce théâtre macabre qui existe aussi à Détroit et qui s’intégrait au récit comme exutoire des pulsions des personnages sombres et de leurs détresses. Si le réalisateur est très humble quand on lui évoque les influences de Lynch ou de Kubrick, il avait la volonté de travailler la forme esthétique de son film, de lui trouver une identité propre. Ryan Gosling termine en évoquant des histoires de villes englouties par des barrages connues au cours de son enfance et qu’il a retrouvé au moment de faire Lost River bouclant ainsi une boucle. Quittant la salle d’un pas pressé, Ryan Gosling nous a prouvé tout au long de cette rencontre qu’il était un artiste derrière son visage d’ange et qu’il n’avait pas fini de nous proposer des œuvres méritant le détour.
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Je suis en total adéquation avec ton article qui au delà de l’interview en elle même montre a quel point Ryan Gosling est aujourd’hui un phénomène tout aussi hybride que son film : Il est à la fois un pur objet de curiosité pour les critiques grâce à son indéniable sens du style, mais également public par son aura indétrônable.
J’aimerai juste insister sur un point dont tu parle ici, qui est, l’importance que Ryan Gosling porte a détroit. Pour lui détroit est une sorte de « traumatisme » d’enfance vis a vis de l’Amérique qu’il s’était toujours figuré comme le rêve américain flamboyant, rutilant et qui à sa découverte bien des années plus tard n’était plus que les carcasses d’un rêve noir: Son film en l’occurrence.