SYNOPSIS: Aveugle depuis l’enfance, mais doté de sens incroyablement développés, Matt combat l’injustice le jour en tant qu’avocat et la nuit en surveillant les rue de Hell’s Kitchen, à New York, dans le costume du super-héros Daredevil.
La plupart d’entre nous gardent en mémoire – et c’est fort regrettable – l’adaptation médiocre fort décriée de Mark Steven Johnson dans laquelle le diable de Hell’s Kitchen, campé par un Ben Affleck plein de bonne volonté, était environné d’une galerie d’antagonistes grandguignolesques peu convaincants, dont le redoutable (en théorie) Wilson Fisk, interprété par le regretté Michael Clarke Duncan. Daredevil – first of his name – aura fait une tache cyclopéenne ET indélébile dans la mémoire collective, le déplaisir corollaire au film s’affirmant d’avantage avec le temps. Grâce soit rendue à Marvel, ABC et Netflix notamment pour avoir parié sur lui. Le regain d’intérêt des studios et du public pour les super-héros aura finalement permis le développement d’une nouvelle adaptation et donné une seconde chance à Daredevil de faire ses preuves. Avec cette déclinaison télévisuelle à l’esthétique soignée qu’est Marvel’s Daredevil (ce générique, mon Dieu…), le Trompe-la-mort de Hell’s Kitchen (re)vient sur le devant de la scène, enfin auréolé d’une gloire qu’il a bien méritée. Décryptage.
Daredevil fait partie de ces justiciers « crédibles » qui ne sont pas dotés de pouvoirs paranormaux même si, à force d’entraînement et de persévérance, ils finissent par développer des capacités surhumaines. Pas de don à dompter, donc, mais un handicap, que Matt Murdock (Charlie Cox) retourne à son avantage, avec une force de volonté qui intime le respect. Sa cécité l’amène à développer un « hypersens », appuyé par un apprentissage aussi rigoureux que pénible des arts martiaux. L’initiation de Daredevil n’est d’ailleurs pas sans évoquer celle du Chevalier Noir, initiation dont on aura un aperçu lors d’un épisode flash-back dans lequel son mentor Stick (Scott Glenn) se rappelle à son bon souvenir. C’est le propos de cette saison 1, qui s’inscrit dans le Marvel Universe post Avengers, remarquablement pensée comme la résurrection du diable de Hell’s Kitchen à l’écran, en même temps qu’elle se pose comme une genèse particulièrement bien écrite du héros, à l’instar de celle de Tony Stark se découvrant une conscience avec Iron Man pour Marvel, ou celle de Batman, dark à souhait dans la trilogie de Nolan pour DC Comics. Mais à l’inverse de ces deux golden boys devenus justiciers, Murdock ne dispose d’aucune fortune personnelle lui permettant de se payer des gadgets high-tech ou une armure qui carbure au palladium. Il s’agit de rendre compte de sa construction laborieuse, dans la douleur et le doute, des balbutiements de sa carrière, qu’elle soit celle qu’il mène au civil ou via son identité secrète. On notera d’ailleurs l’empreinte très forte de l’héritage paternel – boxeur professionnel – dans les scènes de combat, remarquablement chorégraphiées (on retiendra le plan-séquence ultra badass de l’épisode 2). Cette saison ébauche le portrait d’un homme tout en pleins et en déliés qui n’oublie pas d’où il vient ni où il veut aller (à la castagne), loin d’être infaillible, fort et fragile à la fois, et dont la foi, souvent, se prend à vaciller.
C’est ce jeu constant d’ombres et de lumière qui donne toute sa force à la série. A la fois très manichéenne et très nuancée, elle donne à comprendre les contradictions de Daredevil d’une part, mais aussi de tout autre personnage, comme Karen Page (Deborah Ann Woll) ou Wilson Fisk (Vincent D’Onofrio), dont les actes ne reflètent pas toujours les convictions profondes. Matt Murdock étant un fervent catholique, trouvant souvent refuge auprès du père Lantom (Peter McRobbie), le récit initiatique revêt une profondeur considérable, mêlant spiritualité contrariée et maturation des enjeux de toutes les forces en présence, la foi se heurtant régulièrement à l’athéisme, et vice-versa. Là où Matt Murdock se heurte aux limites – rapidement atteintes – de la Loi, sous le masque, son double s’affranchit de celles-ci. On a plusieurs fois la sensation qu’il est prêt à se laisser happer par la part obscure en lui, pour peu qu’il puisse mener à bien la mission à laquelle il s’est dévoué corps et âme, même si cela signifie combattre le Mal par le mal. Et le Mal, sous les traits de Wilson Fisk, endosse un costume bien sombre et tourmenté. Homme d’affaire véreux qui tient la pègre new-yorkaise d’une main de fer, il inspire la crainte à quiconque croise sa route. Et à raison. Tout autant que celle de Daredevil, la construction de sa Némésis se révèle passionnante, extrêmement nuancée bien qu’univoque. En dévoiler ici les composantes n’aurait pas le moindre sens, car la découverte progressive de ces personnalités complexes tient véritablement lieu de fil rouge tout au long de la saison, jusqu’à son dénouement, paroxystique.
Preuve évidente que l’on a affaire à une série de qualité, les personnages dits secondaires ont une importance capitale au regard de l’ensemble, comme les multiples rayons d’une roue qui tourne sans fin, menaçant de les broyer au moindre faux pas. On échappe ainsi au traditionnel et très archétypal schéma du héros contre le bad guy. Chacun a un rôle prépondérant à jouer, dans une quête/enquête qui emprunte des chemins singuliers avant que ceux-ci ne se rejoignent, chaque personnage ayant concouru à cet aboutissement. Si Karen et Foggy (Elden Henson) font un peu pâle figure en tant que side-kicks dans les premiers épisodes, leur implication va aller grandissante, les plaçant même au cœur des enjeux en toute fin de partie, tour à tour alliés et antagonistes. Mais on pense aussi à Ben Urich (Vondie Curtis-Hall), Claire Temple (Rosario Dawson), Vanessa Marianna (Ayelet Zurer) ou encore James Wesley (Toby Leonard Moore), qui étoffent considérablement le récit. A cet égard, l’ensemble du casting relève du sans faute, avec des interprètes parfaits, très nuancés, même si le jeu de Vincent D’Onofrio et Charlie Cox se détache nettement malgré tout, tous deux livrant des compositions tout à fait confondantes, investis à fond dans leurs rôles.
Daredevil en tant que tel ne sera révélé qu’au tout dernier épisode, dans un dénouement à la fois prévisible et plein de surprises avec, notamment, le costume du vigilante remisé au placard pour dévoiler enfin celui du justicier (et quelle classe !). C’est la finalité de cette saison 1 : la phase d’apprentissage est achevée, Daredevil est enfin sorti de l’ombre – mais ne s’en est pas débarrassé pour autant – et s’est affirmé publiquement comme le gardien implacable de SA ville : Hell’s Kitchen. Avec, déjà, de nouveaux combats à mener qui se profilent à l’horizon, d’anciennes et de nouvelles menaces. Et un plaisir sans doute intact avec une saison 2 qui fait entrer The Punisher et Elektra dans la cour de récré. On se gardera bien de le bouder.
Crédits: Netflix
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