Ami fidèle, lecteur occasionnel ou jeune innocent égaré dans ces colonnes, si tu lis ces lignes, c’est parce qu’un jour ton serviteur s’est retrouvé biberonné à des mensuels ciné et qu’il a pu y découvrir la plume d’un homme, qui, non content de lui filer le virus de la passion concernant certains cinéastes, comédiens ou films s’est ingénié au fil des années, que ce soit par l’intermédiaire de ses chroniques ou de son cinéma, à toucher la corde sensible du cinéphile qui finira par créer ce blog. Marc Esposito, puisque c’est de lui dont il s’agit, réalisateur de la trilogie du Cœur des Hommes, nous a reçu pendant plus d’une heure pour balayer non seulement sa carrière de cinéaste, mais également son expérience de près de vingt ans d’homme de presse. Chaleureux et humain, profondément attachant, Marc Esposito s’est livré avec une gentillesse peu commune et sans langue de bois, évoquant avec lucidité l’insuccès du troisième volet du Cœur des Hommes. Dans ce café parisien, pour un peu, on se croirait presque dans Le Cœur Des Hommes justement, et j’ai l’impression d’avoir en face de moi les héros des trois films: Alex, Jeff, Antoine, Manu et Jean. Cinq parts d’humanité, cinq façons d’être un homme au XXI ème siècle. Marc Esposito fait entrer la vie et le réel dans ses films et il se raconte:
Pour commencer, revenons sur votre expérience dans le journalisme si vous le voulez bien. Avant de travailler à Première, vous avez débuté au magazine Onze?
Oui tout à fait, c’est même par Onze que je suis arrivé à Première. C’était la même boite. Je l’avais d’ailleurs raconté à Rocheteau qui ne le savait pas, je lui avais dit que Première existait grâce à Saint-Étienne, car c’est l’année où l’équipe a fait un parcours de folie en coupe d’Europe. Je suis rentré à Onze en avril 1976, j’étais secrétaire de rédaction, donc je relisais tout, je réécrivais tout et je suis arrivé alors qu’ils réussissaient des tirages exceptionnels du genre 1 million d’exemplaires et ça marchait du feu de dieu grâce au parcours de Saint-Étienne. A la fin de l’année l’éditeur se retrouvait avec des profits énormes et par conséquent des impôts énormes et donc ils ont créé Première à toute vitesse! Le patron de Onze avait dans ses projets un magazine de cinéma qui ne s’appelait pas encore Première mais comme il qui savait que j’étais cinéphile il m’a montré la maquette. Puis l’éditeur a dû nous dire fin septembre qu’on lançait Première avant la fin de l’année et le 5 Novembre il était en kiosques. Ça été à toute vitesse, c’était génial à vivre, j’avais 24 ans…
Vous avez fait des études de journalisme?
J’ai fait une licence de lettres et après j’ai fait le Centre de Formation des Journalistes de la rue du Louvre.
Donc Première pendant plusieurs années?
Première en deux fois, puisque j’ai démissionné en 1979 et je suis revenu en 1980 et si on enlève cette coupure donc ça fait de fin 1976 à début 1987 puis ensuite Studio de 1987 à 1993, ça fait 17 ans à diriger des journaux de cinéma.C’était très prenant, très passionnant, ça m’a fait une vie géniale mais c’était une vie de jeune, je n’ai jamais imaginé faire ça pendant quarante ans.
C’est ce qui vous a fait arrêté le fait que c’était très prenant?
C’est un tout, il y a eu plein d’incidents déclencheurs, tout s’est vraiment passé en une journée, mais bon le terrain était favorable, j’en avais marre d’être patron, j’en avais marre d’aller au cinéma 5 fois par semaine, j’en avais marre d’écrire sur le cinéma, j’en avais marre de vivre à Paris, j’avais 40 ans et j’étais donc en pleine crise de la quarantaine et il s’est passé toute une série d’évènements qui ont fait que j’ai arrêté. D’ailleurs ça s’est passé exactement comme dans Le Cœur des Hommes 1 quand les actionnaires demandent à Darmon de licencier deux personnes, il dit mon salaire ça fait le salaire des 2 et voilà! Mais bon c’était une vie géniale, d’interviewer tous les gens que vous aimez, j’étais très jeune, j’avais beaucoup d’enthousiasme et puis j’étais patron donc ça me donnait une liberté unique! D’une part j’allais sur les tournages où je voulais aller et dans le journal il y avait ce que je voulais qu’il y ait. J’ai beaucoup voyagé, c’était une vie très rock’n’roll, on sortait beaucoup puisque vu l’âge que j’avais, j’étais forcément proche des acteurs jeunes, c’était vraiment sexe, drogue et rock’n’roll. C’était jubilatoire de pouvoir écrire sur ce qu’on veut dans un journal que beaucoup de gens lisent, c’était une aventure formidable mais aujourd’hui je ne me verrais pas voir défiler les générations d’acteurs.
Vos envies de metteurs en scène remontent à quand?
Ce serait moi je vous dirais que c’est récent, mais mes amis me disent que quand j’étais jeune je parlais déjà beaucoup de faire du cinéma. Je m’étais d’ailleurs inscrit à la Femis qui s’appelait à l’époque l’Idhec et je m’étais inscrit également au concours d’entrée du Centre de Formation des Journalistes. J’ai réussi ce dernier et j’ai renoncé finalement à me présenter à celui de l’Idhec car je n’ai pas pu tourner le sujet que j’avais choisi et je ne voulais pas me retrouver avec une note qui m’aurait empêché de me représenter. Et donc j’ai été embarqué dans le journalisme qui m’a captivé dès l’école, je ne sais pas comment c’est aujourd’hui mais à l’époque c’était formidable. Dès l’école je me suis spécialisé dans la culture, cinéma, théâtre etc… puis sport en deuxième ce qui explique que je me suis retrouvé à Onze.
Votre première expérience de réalisateur c’est le doc que vous avez consacré à Patrick Dewaere?
Non, j’ai fait un court en 1989 de fiction, qui fait 7 mn qui s’appelle L’homme qui pleurait tous les matins, l’histoire d’un père avec sa fille.
Vous en aviez parlé dans Studio d’ailleurs! C’est avec Thierry Rey c’est ça?
Voilà c’est ça! Et avant j’ai fait une ou deux pubs. J’en ai fait pour Studio. J’en ai fait une pour Studio, y’a aucune image tournée mais c’est à partir d’un extrait de Pretty Woman au moment où on avait fait la couv sur Julia Roberts. J’avais fait aussi une pub pour une bagnole et donc c’est le producteur qui avait produit mon court métrage. Donc ça c’était en 89 et après le film sur Dewaere en 92. Et entre 92 et Le cœur des Hommes, j’ai dû faire le court-métrage sur Blier qui est passé dans l’Histoire du centenaire du cinéma. J’en suis assez content de ce film, Canal avait commandé cent films, j’étais juste avant celui sur Scorsese, qui était formidable en plus et qui était diffusé à 19H50 donc un très bon horaire et il est très sympa parce qu’il est un peu scénarisé. Comme je suis pote avec Blier, lI m’avait ouvert ses portes et le principe c’était que font-ils le jour du centenaire du cinéma? et lui était à la montagne en train d’écrire le scénario de Mon Homme.
Quels souvenirs gardez-vous de la présentation cannoise de votre film sur Patrick Dewaere?
Oh génial! D’abord parce que c’est idéal de montrer un film hors-compétition, en plus un hommage à un acteur, il n’y avait aucune chance que je me fasse siffler, on ne peut pas être dans de meilleures conditions de sécurité, il n’y a pas de pression donc c’était super, c’est que du bonheur, même si il y a beaucoup d’émotions à cause du sujet du film.
En plus c’est un acteur que vous connaissiez bien?
C’était génial, la projection c’était très émouvant et puis bon de voir votre film sur cet écran, dans cette salle… Et puis il y a ce moment incroyable qui est la projection technique, donc à minuit vous êtes seuls avec le projectionniste, à la meilleure place de la salle qui est totalement vide et on vous projette votre film pour vous tout seul, pour voir qu’il n’y a pas de problème, que les bobines sont dans l’ordre et donc vous êtes là et il y a votre film qui se déroule dans cette salle immense… C’est un souvenir formidable. Puis les applaudissements à la fin, c’était un super moment.
Et l’envie du sujet venait de vous? Ce n’était pas une commande?
Oui ça venait de moi. C’est en voyant un film formidable sur John Lennon qui s’appelle Imagine que je me suis dit que ce serait super de faire ça sur Dewaere.
En 1999 vous publiez Toute la beauté du monde. Au départ c’était un scénario?
Oui c’est ça au départ c’était donc le premier film que je m’apprêtais à faire puis ça a merdé pour diverses raisons et donc comme j’aimais beaucoup cette histoire et que ça me paraissait impossible de la mettre dans un tiroir, j’en ai fait un livre, enfin un roman, en me mettant à la place du héros.
Pourquoi ne pas en avoir écrit d’autres depuis?
J’aimerais bien. Je vais attaquer une période de ma vie où je vais être plus disponible pour l’écriture, mais est-ce que j’écrirais un autre roman, ce n’est pas sur parce que je n’ai pas d’idée là dessus, cette idée que j’ai eue de Toute la beauté du monde, c’est très particulier, ça ne m’est plus jamais arrivé, je n’ai pas eu d’histoires comme ça qui me sont venues et que j’ai envie de raconter.
C’est lié à Bali, à une histoire d’amour personnelle…?
Non je ne connaissais pas Bali, j’ai connu Bali grâce à cette histoire puisque j’ai voulu faire le voyage que devait faire l’héroïne, j’ai regardé la carte et je me suis dit qu’elle va partir du point le plus au sud de l’Asie qui était donc Bali et elle va monter vers la Thaïlande en passant par la Birmanie. Et en fait quand je suis arrivé à Bali, j’ai tellement été emballé par Bali, et il y avait tellement tous les paysages où je croyais que j’allais avoir besoin de 14 pays d’Asie pour avoir tous les paysages dont j’avais besoin, en fait ils étaient tous à Bali. Et en plus c’était plus crédible qu’elle reste à Bali plutôt qu’elle parte en Chine, etc… Du coup je l’ai laissée à Bali et j’ai exploré Bali de fond en comble. Le fait d’y avoir tourné, préparé le film, ça fait que en 2003/2004 j’y ai quand même passé beaucoup de temps et après j’ai commencé à y aller en vacances, à Noël, maintenant j’y ai une maison.
Donc si vous écrivez un nouveau livre ce ne sera pas un roman?
Non si j’écris des livres, je pense que ce sera plutôt sur mes expériences, j’ai beaucoup de choses à raconter.
Sur votre blog vous aviez raconté la préparation puis le tournage du Coeur des Hommes 2 et c’était devenu un bouquin qui s’appelle Au coeur des hommes. C’était la première fois que ça se faisait comme ça?
Oui mais ça n’a pas marché, ça n’a pas encouragé à le refaire.
Le sujet du Coeur des Hommes vous est venu comment?
J’étais avec Darmon, sa carrière n’était pas au top loin de là et moi l’histoire de Toute la beauté du monde avait merdé, donc on ramait tous les deux, et on parlait de cinéma, donc je lui disais comme il n’était pas bankable, ce qu’il lui faudrait c’est un film où il partagerait la vedette avec d’autres. Et j’ai dû lui dire un film genre Sautet et très vite on s’est dits pourquoi je ne l’écrirais pas moi, ça s’est joué en une demi-heure de conversation. Et quand je suis rentré chez moi le lendemain j’ai commencé à écrire.
Le cinéma de Sautet c’est quelque chose qui vous parlait en plus?
Oui, mais je voyais bien que je serais quand même plus rigolo. Je suis entre Sautet et Yves Robert. C’est moins purement comédie qu’Yves Robert et moins dramatique que Sautet, je suis entre les deux.
Propos recueillis par Cliffhanger
A suivre…
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Excellent! On voit que tu maîtrises bien ton sujet et que la rencontre t’a fait plaisir, à ton sourire sur la photo!
Bravo!