Critiques Cinéma

LACOMBE LUCIEN (Critique)

SYNOPSIS: Juin 1944. Fils de paysans, Lucien Lacombe, 17 ans, fait des ménages dans un hospice. Son père est prisonnier de guerre en Allemagne, sa mère vit avec un autre homme. L’adolescent veut entrer dans le maquis, mais on le refuse. Il se retrouve embrigadé dans la police allemande tout en tombant amoureux de France Horn, la fille d’un tailleur juif caché dans la région…

Malavida Films ressort le 10 mai 2023 trois films de Louis Malle regroupés sous la bannière Louis Malle Gentleman Provocateur Partie 2: Lacombe Lucien, Au revoir les enfants, Milou en mai. Des trésors du catalogue Gaumont.

Il naitra quelques polémiques à la sortie de Lacombe Lucien, notamment sur la partie gauche de l’échiquier politique, comme si Louis Malle pouvait être taxé de complaisance avec le régime oppresseur. Il ne justifie pas les choix des petits paysans comme Lucien Lacombe, mais les ausculte. Et à l’inverse, appose là une vision marxiste en mettant en exergue ce que le philosophe appelait le lumpenprolétariat, l’idée de l’absence de politique de toute une catégorie de la population, et du choix matériel, et aucunement idéologique. Justement, Lacombe Lucien aura permis d’ouvrir un débat plus net sur les comportements de l’époque, en nuançant tout un pan de vérité. Mais on ne le saura qu’avec d’avantage de recul, et sans doute qu’à sa sortie, en 1974, il existe encore dans une bonne frange de la population une vision certes dans le contexte légitiment manichéen, mais qui entrave toute complexité, et qui ne fait aucune différence entre ce qui explique et ce qui excuse. Le film, très bien accueilli par les critiques à l’étranger, ce qui vient aussi démontrer la spécificité hexagonale à créer du sujet là où il n’en existe pas, et le malaise avec sa propre histoire, remporta en 1974 le prix du Meilleur film de l’année aux BAFTA Awards.


Car précisément, Lacombe Lucien est une formidable anthropologie de l’âme humaine en temps de folie barbare où les crétins deviennent souvent des seigneurs. Quand on voit comment Lucien pourrait à n’importe quel moment appuyer sur la gâchette, notamment en présence de France et de son père Albert, on repense à Charlie, en se disant que définitivement, c’est dur d’être tués par des cons… Lacombe Lucien, c’est ce petit paysan, même pas tellement revanchard, qui porte un costume bien trop grand pour lui et à bien des égards. Dépassé par les autres, dépassé par l’époque, il aura le seul avantage d’être reconnu par les éphémères dominants que lui donneront une arme et un brassard. Un jeu macabre d’enfants qui se prennent au sérieux, sauf que les pistolets ne sont pas en plastique.


Il n’est pas fondamentalement méchant Lucien, mais juste un peu en retard, pas très malin. Avec un comportement animal, instinctif, pas réfléchi. Louis Malle s’attardera sur sa façon de manger pour nous le démontrer. Lucien, il ne fait pas de politique, il ne connaît pas la pensée structurée. Il est dans l’histoire, mais ne le sait pas. Il est à la police allemande, alors que son projet de départ, c’était plutôt le maquis, mais tout ça finalement c’est pareil. Incroyable et impensable message du cinéaste sur la volatilité de l’âme humaine. Lucien ne serait qu’un symptôme de la fine frontière entre les héros et les salauds. C’est la où il y a complexité du propos, c’est là où il y a beauté de la démonstration. Comme plus tard en 1987, avec la scène du restaurant dans Au revoir les enfants, Louis Malle se plaît à chasser le binaire, le simpliste.  La mise en scène est sans fioritures, elle s’inscrit dans le réel, dans une reconstitution sans fard, mais d’une redoutable précision, qui vient brillamment comme alourdir l’atmosphère déjà pesante du film. Malgré la saison, C’est froid et glauque, à l’image de ce personnage central décalé, cette passion sempiternelle de Louis Malle. Ce contraste est un véritable geste cinématographique, et là aussi c’est beau. Tout comme la musique qui accompagne, le jazz datant de 1942-43 de Django Reinhardt, un choix étonnant qui joue sur les nuances.


Louis Malle voulait un acteur non professionnel pour le rôle de Lucien. C’est Pierre Blaise qui emportera le morceau, en fin de casting. C’est sa mère qui l’avait un peu forcé à venir. Grand bien lui en a pris, tant l’acteur écrase l’écran. Même si le tournage fut justement difficile car Pierre Blaise manquait cruellement de culture cinéma. Il incarne parfaitement une forme de jeune plus que moyen, qui ne devait pas avoir de destin singulier. Il joue la neutralité et même parfois le vide avec une étonnante spontanéité. Jamais de surjeu, il semble être, il est Lucien, et l’âpreté parfois du personnage est ici comme sublimée, grâce justement à l’épure du jeu. Pierre Blaise est mort dans un accident de voiture deux ans après le film. Louis Malle continuera à rencontrer les parents du jeune acteur jusqu’à la fin de sa vie. Lacombe Lucien est une œuvre qui incarne pleinement le génie de son cinéaste, avec un traitement en nuances qui fait grandit le spectateur. Une leçon d’histoire et de cinéma tout à la fois, à revoir pour tant d’échos, pour tant de raisons…

Titre original: LACOMBE LUCIEN

Réalisé par: Louis Malle

Casting: Pierre Blaise, Aurore Clément, Holger Löwenadler …

Genre:  Drame, Romance, Guerre

Sortie le: 30 janvier 1974

Ressortie le : 10 Mai 2023

Distribué par : Malavida Films

EXCELLENT

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