Critiques

ACHARNÉS (Critique Saison 1) Une proposition millimétrée, aussi satisfaisante et terrible qu’elle est violemment addictive…

SYNOPSIS: Un fâcheux incident survenu sur la route n’a de cesser de s’immiscer dans l’esprit de deux personnes et de consumer peu à peu toutes leurs pensées et actions.

Le succès ébouriffant des studios A24 aux derniers Oscars, avec le couronnement de la tête d’affiche de leur The Whale Brendan Fraser et les multiples récompenses au grand gagnant de la soirée Everything Everywhere All at Once, n’arrête donc pas la firme qui compte désormais plus de succès dans ces 10 dernières années que n’importe quel autre studio au style  » indé « . Car c’est désormais en association avec Netflix que Lee Sung Jin a monté pour A24 une nouvelle série qui met toute sa hargne au service de 10 épisodes à la richesse aussi faramineuse que l’absurdité de son ambition.

Acharnés (ou Beef dans sa version originale, qui évoque autant le différend entre ses protagonistes que les montagnes de Burger King qu’ils engloutissent à tour de bras) raconte les quotidiens en parallèle de Danny Cho et Amy Lau. Danny vit au jour le jour en tentant de faire fructifier son entreprise de maintenance à travers son voisinage, tout en partageant son espace de vie avec son petit frère sédentaire et les petits larcins de son cousin Isaac ; Amy est mère de famille, mariée avec George, l’héritier d’une grande artiste japonaise, et mène une entreprise florissante alors qu’une opportunité professionnelle très alléchante se présente à elle. Tout les sépare en apparence, et pourtant. Alors qu’ils sortent au même moment d’un magasin de bricolage, Amy coupe la trajectoire de la voiture de Danny. Un doigt d’honneur par la fenêtre plus tard, une course-poursuite s’ensuit dans une séquence encolérée qui termine avant que les deux conducteurs n’aient pu apercevoir le visage de leur adversaire routier. Cet épisode de « road rage  » en apparence anecdotique, va être le déclencheur d’une escalade d’évènements terribles, de révélations massives et de violences de plus en plus cruelles qui vont faire se collisionner ces deux vies aux opposés.

Ce déclencheur minimaliste, utilisé comme catalyseur d’une série de catastrophes à la chaîne, sert alors le rythme d’une précision chirurgicale distillé par l’écriture du corps de scénaristes (mené par le chef d’orchestre Lee Sung Jin qui s’est ironiquement inspiré d’un évènement similaire dans sa vie pour composer ce point de départ) et la mise en scène des trois réalisateurs/réalisatrice qui se passent le relai des épisodes (HIKARI, Lee Sung Jin et Jake Schreier – qui retrouvera d’ailleurs son showrunner et son acteur principal sur le futur projet des Thunderbolts bientôt en tournage pour Marvel Studios). Chaque pièce de cet improbable puzzle complètement dément se démarque alors par la volonté progressive (voire même exponentielle à certains instants) de contrecarrer les attentes des spectateurs en poussant toujours plus loin les potards de l’absurdité comique et de la tragédie classique. C’est par ses ruptures de tons toujours plus intelligentes qu’Acharnés abat son couperet en s’immisçant avec malice, sarcasme et rebondissements incessants dans la vie de ses deux personnages principaux. Danny et Ali, portés par les talents retentissants de leurs interprètes respectifs Steven Yeun et Ali Wong (également producteurs exécutifs du show), sont absolument passionnants à suivre, tour à tour tragiques, détestables, manipulateurs, sadiques et touchants, leur donnant un relief assurément humain qui parfait la volonté d’ensemble de la série : Acharnés est un récit aux aspérités quasiment mythologiques qui élève ses deux personnages au sommet de leurs arts et de leur absurdité, les liant par des quiproquos, des mensonges, des vengeances progressives, des coups de malchance et autant de mauvaises décisions qu’il est possible de faire dans une vie. Yeun campe avec une prestance et une colère foudroyante cet homme complètement largué, sorte de loser sympathique quand il n’est pas complètement pathétique dans son impulsivité. Wong est quand à elle stupéfiante en mère de famille et femme d’entreprise qui cache derrière un grand faux sourire une rage bouillonnante et un sarcasme constant qui rend le personnage extrêmement jouissif par instant. La collision de ces deux figures quasiment spirituelles fait office de détonateur dans leurs vies respectives, et Acharnés se plaît alors à exposer, menacer puis à envoyer valdinguer leurs vies de famille, leurs relations sociales et leurs ambitions professionnelles dans un feu d’artifice éblouissant qui met fin avec un panache certain à un slowburn de très grande qualité.

Car Acharnés est une proposition millimétrée, aussi satisfaisante et terrible qu’elle est violemment addictive et profondément barrée. Les 10 épisodes, réglés avec un sens acerbe de la comédie noire et une attention toute particulière à la construction narrative de ses personnages et des évènements qui leur barrent la route, font figure de récit spirituel absolument passionnant qui ne mène jamais à où on l’attend, en propulsant ses enjeux toujours plus loin qu’on ne peut le prévoir. Son casting quasiment entièrement asiatique (sont également présents David Choe, Young Mazino et Justin H. Min du côté de Danny, et Joseph Lee, Patti Yasutake, Maria Bello et Ashley Park du côté de Amy) jusque dans sa figuration, Acharnés se veut récit moderne sur fond de traumas générationnels cachés derrière la guerre que se mènent les deux têtes d’affiche grâce à une photographie délicieusement composée et une bande-son à en faire frétiller les oreilles de n’importe qui. Avec son Beef, Lee Sung Jin propose une série constamment savoureuse et explosive, qui distribue aussi vite les coups de poings que les coups de cœur et les coups du destin, dans une machine infernale où le hasard, l’amour et la haine se rencontrent dans une série sans fin de cercles vicieux vissés les uns dans les autres. Ces 10 épisodes, terrassants, haletants, hilarants et débordant d’émotions vives, sont une montagne-russe de sensations qui donne l’impression, en parvenant au générique de fin, d’être rentré dans un trip complètement ravageur qui reste dans la peau et dans la tête un bon bout de temps. Tout ça partant, on le rappelle, d’un futile doigt d’honneur adressé sur un parking.

Crédits: Netflix France

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