SYNOPSIS: Quelques mois après mai 68, Robert, normalien et militant d’extrême-gauche, décide de se faire embaucher chez Citroën en tant que travailleur à la chaîne. Comme d’autres de ses camarades , il veut s’infiltrer en usine pour raviver le feu révolutionnaire, mais la majorité des ouvriers ne veut plus entendre parler de politique. Quand Citroën décide de se rembourser des accords de Grenelle en exigeant des ouvriers qu’ils travaillent 3 heures supplémentaires par semaine à titre gracieux, Robert et quelques autres entrevoient alors la possibilité d’un mouvement social.
Le timing dans lequel sort le nouveau film de Mathias Gokalp semble tout particulièrement adapté à son propos. Inspiré par le roman autobiographique du même nom signé par Robert Linhart, L’Établi raconte l’histoire d’un militant d’extrême-gauche qui, dans la période post-mai 68, décide d’intégrer une usine de montage de Citroën en tant qu’ouvrier à la chaîne pour prendre le pouls de la révolution qu’il espère voir éclore au plus vite. Mais malgré les conditions de travail toujours plus aliénante et la pression progressive des patrons, cette tant espérée révolution ne vient toujours pas. Robert s’allie alors avec un représentant de la CGT et quelques-uns de ses collègues pour conduire à une grève massive au sein de l’usine.
L’Établi se pose alors, non pas comme un pamphlet binairement communiste, mais comme un portrait politique d’une période post-mouvement social et des conditions de travail dégradées de ces travailleurs. Gokalp représente alors les mécanismes qui régissent une usine classique, entre le grand patron qui cherche la main-d’œuvre pas chère mais efficace, les responsables à la botte de la boîte qui font souvent preuve de violence pour pousser le rendement de production encore plus loin, les travailleurs silencieux qui ont pour seule ambition de nourrir leur famille… L’Établi fait le constat de cette organisation brisée en deux entre l’entreprise et ses ouvriers, faisant alors l’étalage de toutes les violences qui peuvent naître dans un tel contexte (rivalité entre les travailleurs, altercations à caractères racistes, augmentation de la vitesse de production et des horaires de travail…). Ce sont les trois quart d’heure quotidien non payés en plus, décidés par Citroën, qui vont être le vrai déclencheur de l’esprit de grève de ces personnages que l’on suit dans leurs quotidiens – les patrons justifiant cette augmentation du temps de travail comme une compensation de leurs récentes avances de salaire qui étaient pourtant dues aux avantages gagnés après les manifestations de mai 68.
Et pourtant, le personnage principal du film, Robert, est un homme aisé, père de famille d’extrême-gauche qui refuse une place très prisée de professeur de philosophie dans une fac parisienne pour suivre son ambition militante. Loin d’être du point de vue idéologique de l’homme, L’Établi se sert de sa figure (c’est lui » l’établi » du titre) pour porter au regard du spectateur les dissonances de classes et de politiques qui le sépare des autres travailleurs qu’il cherche à rallier à sa cause. Si sa grève ne marche pas et qu’il est renvoyé, il pourra chercher autre part grâce à ses diplômes. Si des jeunes fraîchement immigrés le suivent, ils seront tenus pour responsables et expulsés. Le film, avec une mise en scène proche des humains qui animent cet atelier de montage, révèle quelques failles en ayant un peu de mal à dégager un véritable point de vue narratif au sein de son récit, préférant garder un portrait de fond de ces corps abîmés par le métal et de ces âmes endolories par l’aliénation de la machine qui les prend de haut. Pourtant, Swann Arlaud est impeccable dans son interprétation, justement accompagné par Mélanie Thierry, Olivier Gourmet, Luca Terracciano, Malek Lamraoui et Raphaëlle Roussot face au grand patron Denis Podalydès, lui aussi très bon.
S’il pèche un peu dans son approche et dans sa rondeur narrative qui manque parfois de relief, L’Établi est tout de même un portrait politique et social qui capte surtout l’attention par sa modernité. A l’heure où les français continuent à se rassembler dans les rues pour lutter contre le recul de l’âge à la retraite et le mépris de leur Président pour ses travailleurs, Gokalp semble taper dans le mille en dressant une photographie précise des mécanismes d’un système qui tente de réduire l’humain au rouage d’un montage à la chaîne, et des quelques femmes et hommes qui essayent de se dresser contre l’aliénation.
Titre Original: L’ÉTABLI
Réalisé par: Mathias Gokalp
Casting : Swann Arlaud, Mélanie Thierry, Denis Podalydès …
Genre: Epouvante-horreur
Sortie le : 5 avril 2023
Distribué par: Le Pacte
BIEN
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2020