SYNOPSIS : Rama, jeune romancière, assiste au procès de Laurence Coly à la cour d’assises de Saint-Omer. Cette dernière est accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France. Mais au cours du procès, la parole de l’accusée, l’écoute des témoignages font vaciller les certitudes de Rama et interrogent notre jugement.
Jusqu’à présent réalisatrice de documentaires, Alice Diop est passée l’an dernier à la fiction avec “Saint Omer”. Toutefois, son expérience dans le docu n’est pas loin : elle s’inspire en effet d’un faits-divers tragique, à savoir un infanticide commis par la mère d’une petite fille dans le Nord de la France), et au procès auquel elle avait assisté, en quête d’explications face à cette tragédie. Ou comment la fiction peut apporter des réponses aux questions auxquelles la réalité n’en a parfois pas. Pour composer les deux faces d’une affaire plus complexe qu’elle n’en a l’air, Alice Diop filme les deux actrices Kayije Kagame et Guslagie Malanda, toutes deux en état de grâce, d’une immense humanité chacune dans des rôles plein de douleur. Si Guslagie Malanda a été nommée aux César pour sa performance, on regrette que ce ne soit également pas le cas de Kayije Kagame, dans un rôle en apparence plus simple (une enseignante et autrice en quête de réponses) mais finalement confrontée elle aussi aux propres fantômes de la maternité. De fantômes, il n’en est pas littéralement question dans Saint Omer qui adopte un aspect terre à terre très documentaire, pour ne pas perdre le fil du procès. Mais dans la tête des deux femmes, il est évident que quelque chose les hante, qu’elles le veuillent ou non. A partir d’un acte horrible, Alice Diop se demande – et nous demande – à quel point les mythes et nos traumatismes font de nous ce que nous sommes. A quel point sommes-nous condamné.e.s à reproduire les erreurs de nos ancêtres ? Quel poids ont nos entourages sur la perception de nous-mêmes ? Peut-on sortir de ce conditionnement ?
En citant littéralement le Médée de Pasolini, Alice Diop se raccroche à ce que nous connaissons, à ce que nous pensons connaître par cœur, avant de plonger dans l’inconnu. Si l’on est tentés de juger la criminelle sur la base de son crime, son procès, les témoignages, filmés en longs plans de parfois 10 minutes, déconstruisent patiemment, avec dignité, les idées préconçues sur sa vie, extrêmement difficile.
Il n’est ici pas question de dédouaner quoi que ce soit – un bébé est mort, sa mère est coupable, et jamais ce fait n’est minimisé. Mais Alice Diop dresse un portrait extrêmement pessimiste d’une société qui ne donne pas les mêmes chances, condamne avant même de donner une chance aux plus minorisées de pouvoir se constituer des foyers sains.
Avec sa mise en scène pudique qui fait progressivement monter l’émotion, Alice Diop nous renvoie un miroir inconfortable, mais qui fonctionne comme une catharsis sublime à l’image de la plaidoirie de conclusion de l’avocate de la défense, jouée par une excellente Aurélia Petit. En acceptant que nous sommes le produit de nos mères, on embrasse une vérité douloureuse, tragique, mais dont les lendemains seront forcément plus doux. Résultat : un coup de maître couronné du César de la meilleure première oeuvre, qui nous donne très envie de voir la suite de la carrière d’Alice Diop – qu’elle soit documentaire ou en fiction.
Retrouvez le film en DVD, édité par Blaq Out à partir du 4 avril 2023
Supplément : Entretien avec la réalisatrice Alice Diop par l’association « De la suite dans les images » (9 min.)
Titre original: SAINT OMER
Réalisé par: Alice Diop
Casting: Kayije Kagame, Guslagie Malanda, Valérie Dréville …
Genre: Drame, Judiciaire
Sortie le: 23 Novembre 2022
Sortie en DVD le 04 avril 2023 édité par Blaq Out
Distribué par : Les Films du Losange
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2020