SYNOPSIS: Le 16 mars 1978, Aldo Moro, le président de la Démocratie chrétienne, est enlevé par les Brigades rouges. En état de choc, le gouvernement italien se retrouve face à un dilemme : faut-il accepter la négociation avec le groupe terroriste, quitte à mettre en péril la démocratie, ou ne rien céder et prendre le risque de l’exécution de l’un des siens ?
20 ans après, Marco Bellocchio récidive. Il avait en effet déjà réalisé Buongiorno, Notte (2003) autour de l’enlèvement et l’assassinat du président de la démocratie chrétienne Aldo Moro. Le cinéaste total âgé de 83 ans, exprime ici avec sa série Esterno Notte le besoin, dans une époque tourmentée par la montée des radicalisations de tout ordre, en réponse aux immobilismes politiques et institutionnels de tout poil, comme un besoin de revenir à la charge sur une tache sanglante de l’histoire italienne. Histoire en général qui passionne Bellocchio, avec cet épisode en particulier qui l’a profondément marqué. Le prisme sériel parle au réalisateur qui dit d’ailleurs qu’avec une série, on va plus vite à l’essentiel. « Plus encore qu’un intérêt historique, ça a réveillé mon imagination » dira Bellocchio, qui se retrouve sur un de ses marqueurs préférés, être comme la conscience de son pays, entre cynisme d’état et dangereux extrémisme. A noter que lors du Festival de Cannes de 2022, la série s’est découverte sur une unique projection de 5H00, qui avait passionné le public et généré une sacrée ovation.
Nous sommes en Mars 1978, pendant les années de Plomb en Italie, et avant l’enlèvement d’Aldo Moro, la démocratie chrétienne se disloque, se divise, se coupe, sur la possibilité d’intégrer les communistes au sein du gouvernement pour tenter de calmer le terrorisme intérieur, porté par la lutte armée des brigades rouges. C’est en somme le théâtre des sempiternelles turpitudes de la gauche, et ce finalement peu importe le pays ou le continent. Cette saillante, constante et historique impossibilité de faire coexister en son sein l’idéal et le réel. Et toujours au plus grand désespoir d’une écrasante majorité de l’opinion du « peuple de gauche », qui lui, veut l’union de et qui se retrouve au final plus responsable que les responsables. Dès le premier épisode, sont ridiculisés les courants, clubs, motions, et autres mini-ramifications de chaque parti, qui sclérosent le rouge, par peur certes légitime de devenir brun, mais qui au final, s’immobilise dans le rose indolore du compromis permanent, inconsistant au possible et surtout totalement exaspérant. Des vanités ordinaires et des lâchetés égotiques qui justement donnent espace et respiration aux extrêmes. L’histoire, au-delà de se répéter, semble surtout comme désespérément figée. C’est bien en voulant toujours contenter tout le monde, que l’on finit par ne jamais faire plaisir à personne.
La mise en scène, notamment au cœur des arcanes du pouvoir, est d’une sobriété comme un genre en soi. L’épure de la photographie, de l’image, une véritable esthétique de la lumière et des mouvements, s’inscrivent dans une réalisation feutrée, parfois grandiloquente mais jamais prétentieuse et qui permet facilement une adhésion, une envie d’être là, de suivre. La série n’en demeure pas moins dans des codes particulièrement haletants. Fin de l’épisode 1, « A mort l’état bourgeois « , la folie meurtrière des brigades rouges, les hélicoptères qui survolent Rome, Aldo Moro dans une caisse à l’arrière d’un fourgon qui ouvre les yeux, avec Porque Te Vas en fond, on en a de sacrés frissons.
L’originalité assez passionnante de la série est de plonger par épisode dans l’esprit d’un des protagonistes principaux afin de comprendre son positionnement sur l’enlèvement de Moro, et qui donne des explications » de l’extérieur » sur ce qui s’est joué durant ces deux mois qui vont tenir en haleine tout un pays. Ici, le ministre de l’Intérieur Cossiga, fils spirituel de Moro, le pape Paul VI, ami proche du sacrifié, ou Eleonora Moro, future veuve. C’est l’intime et l’institutionnel qui s’entremêlent. Ce postulat est éminemment fourni, mais peut aussi perdre quelque peu le spectateur, avec de surcroît une réalisation dantesque, apanage du réalisateur. C’est presque parfois un sentiment de vertige, de trop et de perte. Mais le déploiement est bien évidemment hautement spectaculaire et prenant. A l’image de ce moment fou, cette métaphore hallucinée de Aldo Moro qui porte sa croix, qui s’avère symboliquement fascinante.
Fabrizio Gifuni est un Aldo Moro extrémisme de la sobriété !! Et c’est fascinant. Il émane de chacune de ses apparitions un humanisme sans qu’il n’ait besoin de dire ou faire quoi que ce soit. Autre registre lors de l’épisode final avec son » Je crache mon venin » en boucle, dans la vérité d’un homme, moment d’une intense émotion. Ajoutez-y une frappante ressemblance physique, et l’interprétation devient totalement inoubliable. Même si le point de la vue de l’extérieur de la série est un postulat passionnant, on regretterait presque de ne pas le voir assez à l’écran. Le reste du casting est tout aussi engagé, avec Toni Servillo en pape tellement convaincant tant il est comme sentencieux dans une présence toujours solennelle, Margherita Buy, une Eleonara Moro enragée.
Pur produit Bellochio, qui entre sur un mode fracassant dans l’univers sériel, avec son lyrisme, sa poésie lugubre, son sens narratif si précis et dense, Esterno Notte marque par sa puissance formelle autant que par son originalité dans l’art d’un récit multiple.
Crédits : Arte