SYNOPSIS: Sur l’île de Tahiti, en Polynésie française, le Haut-Commissaire de la République De Roller, représentant de l’État Français, est un homme de calcul aux manières parfaites. Dans les réceptions officielles comme les établissements interlopes, il prend constamment le pouls d’une population locale d’où la colère peut émerger à tout moment. D’autant plus qu’une rumeur se fait insistante : on aurait aperçu un sous-marin dont la présence fantomatique annoncerait une reprise des essais nucléaires français.
Pour son huitième film, le réalisateur espagnol Albert Serra nous emmène à Tahiti dans Pacifiction – tourment sur les îles. Ou comment, en s’appuyant sur une peur concrète – la reprise d’essais nucléaires français dans l’archipel, il plonge le spectateur et son personnage principal dans un flou et une attente… Justifiés, ou pas ? S’appuyant sur son personnage principal campé par Benoît Magimel, il crée avec le haut-commissaire De Roller l’un des protagonistes cinématographiques les plus marquants de ces dernières années, à juste titre récompensé par un César du meilleur acteur pour Magimel. Parce qu’entre ses dialogues (dictés par le réalisateur dans une oreillette portée par Magimel en permanence), son costume, et sa personnalité, il incarne une idée de la France désagréable : envahissante, manipulatrice, faussement bienveillante sous l’incompétence dont il fait preuve avec les locaux, les politiques… Si la durée du film (2H45 tout de même) lui a été reprochée, elle est pourtant essentielle à l’atmosphère vaporeuse de fin du monde qui règne sur Tahiti alors que des militaires français squattent les boîtes de nuit de l’île dans l’attente d’une quelconque décision. Pacifiction embrasse alors son statut d’œuvre quasi abstraite sur l’attente, en étirant à l’infini ses dialogues, ses soirées, ses nuits. Avec sa photographie cotonneuse (elle aussi récompensée d’un César) et sa bande-son aux sonorités fantastiques, Albert Serra referme son piège autant sur le spectateur que sur De Roller, dont le désenchantement culmine dans la superbe scène de son monologue dans sa voiture.
Albert Serra réussit à rendre l’expérience de l’attente, de l’indécision, presque ludiques. Avec des personnages secondaires essentiellement locaux (sauf Sergi Lopez, qui semble bien s’amuser le temps de quelques scènes), comptant notamment l’actrice transgenre Pahoa Mahagafanau, Serra arrive à rendre crédible et presque attachant l’éco-système local dont les inquiétudes sont bien légitimes. Et même les éléments semblent inquiets des nouvelles à venir, le rapport à la mer, l’air et la terre étant une clé pour comprendre qu’aussi séduisante Tahiti puisse être en apparence, la réalité est bien plus coriace que ça.
On ne vous dira évidemment pas le fin mot de cette drôle d’histoire – si tant est qu’on lui reprochera peut-être d’être trop brutale, mais en dépit de ses quelques longueurs, Pacifiction c’est une expérience de cinéma à découvrir, à savourer; autant pour son casting que pour son ambiance unique.
On regrette d’ailleurs qu’il fasse partie à l’instar de beaucoup de films excellents des absents du palmarès de Cannes, où sa présentation si elle n’a pas fait l’unanimité aura tout de même fait parler d’elle. Preuve du culte à venir du film : les dialogues de De Roller sont désormais repris sur les réseaux sociaux, et on ne va pas s’en plaindre !
Pacifiction – Tourment sur les îles est disponible en Blu-Ray et DVD chez Blaq Out le 7 mars 2023
Supplément : Entretien avec le réalisateur Albert Serra (27 min.)
Titre Original: PACIFICTION -TOURMENT SUR LES ÎLES
Réalisé par: Albert Serra
Casting : Benoît Magimel, Pahoa Mahagafanau, Marc Susini …
Genre: Drame, Espionnage
Sortie le : 9 Novembre 2022
Sortie en DVD & Blu-Ray le 7 mars 2023 chez Blaq Out
Distribué par: Les Films du Losange
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2020