ENTRETIENS

PETITES (Entretien avec Romane Bohringer, Julie Lerat-Gersant et François Roy) : « Eclairer de manière bouleversante les destins accidentés. »

Pour la sortie en salles du film Petites, Romane Bohringer, Julie Lerat-Gersant la réalisatrice et François Roy, collaborateur artistique se sont livrés dans un entretien prenant et passionnant. Un trio artistique engagé pour le premier film de Julie Lerat- Gersant et cette envie de filmer au plus près de la vérité une histoire poignante, des histoires fortes de jeunes filles qui grandissent trop vite. L’équipe du film est à l’image de leur œuvre, tout en douceur, mais dans le réel. Rencontre :

Photo : JM Aubert

Julie, vous avez plongé 10 semaines en immersion, suite à une première expérience professionnelle en centre parental. Vous pouvez nous en dire quelques mots ?

Julie Lerat-Gersant : J’ai donné des ateliers d’écriture il y a une dizaine d’années, parallèlement à mon travail d’actrice au théâtre. A l’époque j’avais été très chamboulée par les jeunes mères que j’avais rencontrées. En les entendant parler entre elles, en les entendant avec leurs bébés, j’avait été très frappée par ce mélange qui est détonnant car elles ont à la fois 14, 16, 17 ans et en même temps, elles ont des pulsions adolescentes, avec aussi des responsabilités parentales hyper-fortes, et ce mélange-là m’avait vraiment saisie. Et quand, j’ai eu envie d’en écrire une première fiction pour le cinéma, j’ai co-écrit le film avec François, et à partir de ce moment-là, je suis retournée sur le terrain pour confronter ce que nous on écrivait, à la réalité avec des éducateurs, des psychologues. Le film était en gros supervisé pour que ça soit le plus crédible et le plus juste possible.

Et Romane, vous avez rencontré des jeunes mères, des éducs ? Qu’est ce qui vous a marqué dans la préparation du rôle ?

Romane Bohringer : Non, moi en fait quand j’ai reçu le scénario de Julie, il était justement tellement nourri de son expérience, tellement précis, juste, mes interventions dans le film ne nécessitaient pas que je fasse un travail extérieur, non pas que je ne m’intéresse pas, mais il était vraiment assez nourri le scénario. Il y avait pour moi toute la dynamique du personnage et aussi la compréhension de ce milieu, et le rapport avec le personnage de Camille. Tout ça était déjà de la nourriture pour moi, et par ailleurs, mes oreilles sont quand même ouvertes, j’entends, je vois des documentaires sur ce sujet. Donc j’avais dans ma caboche assez d’informations.

Et puis avec un tempérament engagé qui est le vôtre aussi ?

RB : C’est beaucoup dire. Je suis plutôt sensible qu’engagée. J’aimerai bien l’être, mais je suis juste sensible. Donc c’est vrai que du coup j’entends souvent des histoires frappantes, très frappantes et tout ça fait écho en moi, et ce qui est beau c’est justement de trouver dans l’histoire écrite par François et Julie un écho à ces histoires que moi j’entends et qui me bouleversent, et d’arriver à participer à un film qui met en lumière ces destinées fragiles.

François, comme Julie, ce qui est remarquable aussi dans Petites, c’est cette façon de suspendre le jugement ? D’être un peu à l’endroit de tout le monde, enfant, parents, professionnels ?

François Roy : L’idée, c’était effectivement de pas juger, c’était un peu l’écueil aussi, car on a forcément des opinions qui se développent et on essaye de se soustraire à ça. L’approche était quand même conjointement documentaire et fictionnelle. On était toujours rattrapés par un truc un peu psychologisant, donc c’était quelque chose qui sous-tendait toutes les choses que l’on voulait montrer, mais quand même, on a essayé de s’arrêter avant les conclusions ou un peu raconté en creux, de manière à ce que chacun ait sa propre vérité, et nourrisse un peu tout ça de ses propres émotions et projections. C’était notre approche.

JLG : C’est pour ça que c’était riche d’être deux. On était hantés par le fait de ne pas être manichéens, et de ne pas tomber dans un propos moralisateur. Donc on était tout le temps en tain de garder les arrières de l’autre, de faire attention à ça et de se dire c’est trop facile d’écrire un personnage qui serait trop… Pour Mehdi par exemple, on tenait à écrire un personnage qui soit un bon gamin, qui soit avec Camille et que justement, elle ne s’amourache pas d’un type violent, alcoolique, d’un petit « wesh wesh ». D’ailleurs, il lui dit « Je suis pas un petit wesh wesh, qu’est ce que tu attends de moi ? « . Donc voilà, c’est vrai qu’on a été très vigilant à ça et c’est pour ça aussi qu’on a pris du temps dans l’écriture du scénario, pour rester sur le fil.

Et puis, il y a ce double statut, cette double responsabilité en vérité intenable pour des gamines, entre réussir à être la fille aimée de sa mère et la mère aimante de son futur enfant, c’est ce que vous vouliez montrer ?

JLG : Elles sont prises en étau oui. Déjà devenir mère, c’est je pense toujours un bouleversement, on vient revisiter notre histoire familiale. Et l’adolescence c’est ce même processus, où on est quand même très chamboulée tout à un coup, d’avoir ensemble l’adolescence et la grossesse et dans des situations familiales souvent précaires. Donc il y a eu tout un parcours d’embuches qui les amène à ce moment là de leurs vies. Et qui fait qu’elles sont tiraillées. Et ce que Camille doit apprendre à faire, c’était la ligne dramaturgique du film, car évidemment il faut qu’elle fasse un choix, à savoir est-ce qu’elle garde ou non son bébé, ça bien sûr, mais surtout ce qu’elle doit faire, c’est apprendre à penser par elle-même et ça, faut qu’elle fasse vite, car elle est enceinte de 4 mois et du coup, il ne reste plus que 5 mois de grossesse. Apprendre qu’elle peut penser par elle-même et pas comme sa mère.

FR : Les histoires sont un peu inextricables, mais du coup ce qu’on souhaitait mettre en avant est que ça questionne l’héritage. Le point de départ, il est tellement lourd. Après, le mérite là-dedans, c’est plutôt une conjoncture, les miroirs qu’on essaie de mettre en évidence, de vies, de possibles, sur lesquelles elle pourrait faire son choix, ou au moins s’interroger. La chance de rencontrer ou non une éducatrice dans un temps particulier de sa propre vie. Car c’est aussi des humains les éducateurs, qui ont leurs failles, leurs doutes, leurs certitudes et leurs désillusions.

On voit bien dans ces parcours de rupture, quand l’habitude était à la violence et au manque, c’est tellement dur d’accepter la bienveillance, c’est tendre la main, et pas que l’autre n’en fasse une clef de bras, et en même temps, elle le sait l’éducatrice que ça va passer par cette étape c’est tellement comme un impossible de ne pas tout foutre en l’air en mode sabordage total, c’est aussi ça ?

JLG : En fait, on a vraiment écrit le rôle de l’éducatrice pour Romane, si important dans la rencontre que fait Camille. On l’a écrit pour Romane. C’est un peu un personnage qui porte aujourd’hui notre pensée. Je ne dis pas que c’est la vérité mais sur l’Aide Sociale à l’Enfance, c’est une institution où je trouve que les éducateurs, les psychologues, font un travail remarquable dans ces endroits, je suis admirative du travail qu’ils font. Ce qu’on cherche à dire avec ce personnage-là, c’est oui c’est bien, mais ils aimeraient faire plus, mais s’il-vous-plaît, ils sont essorés, donc plus de moyens, donc plus de salaires… Et ce personnage porte ça, mais elle n’est pas parfaite. Surtout il ne faut pas qu’elle soit parfaite. Oui dès fois elle passe un peu la ligne rouge et sinon c’est trop facile d’écrire un personnage d’éduc parfait qui arrive comme ça… Car non elle a des failles, mais elle est comme réveillée par cette gamine. Et Romane, on écrivait pour elle et elle a pour nous toute l’humanité, la révolte et la pudeur de porter ce combat-là. Ils ont la pudeur de laisser le combat aux autres et pourtant sans eux, ça n’avance pas, et cette rencontre-là entre cette éducatrice et cette gamine qui fait que tout à coup, comme dit François ça plus ça plus ça, plus la petite Diana dans le film, quelque chose peut évoluer et éclore.

RB : De toute façon, j’ai une telle admiration pour ceux qui pratiquent cette chose, de s’occuper des autres, malgré les obstacles multiples, notamment ceux inclus dans la personnalité de l’éduc. Je ne sais pas comment font les gens pour être assez sensibles, assez pédagogues. C’est vrai qu’il y a une forme de colère chez Camille, dont elle ne sait pas quoi faire et elle ne sait pas contre qui est dirigée cette colère. Sans doute contre la figure de sa mère, mais c’est tellement intenable à accepter d’être en colère, et qu’à ce moment-là, cette éducatrice a la clairvoyance, la délicatesse et aussi la patience de petit à petit, orienter le regard de Camille vers ce dont elle doit se défaire. Mais de manière assez tendre et engagée, petit à petit, elle oriente, elle ouvre le regard de Camille, et du coup la dégage un peu de sa colère. Je vois déjà avec ma fille de 14 ans, qu’il faut orienter doucement les colères, les choses qui vous touchent sans savoir d’où elles viennent. Et dans ce sens, il est assez admirable le personnage de Nadine, car elle parvient à prendre cette place là dans le parcours de Camille.

Ce qui est remarquable aussi, c’est que quand Camille est avec sa mère, dans le bain notamment, on l’imagine toute petite enfant avec un visage presque poupon, et de l’autre côté du miroir, quand Camille est avec Diana, elle se projette comme future maman qu’elle ne sera sans doute pas. C’était une forme de commande de jouer ainsi en permanence ce double statut ?

JLG : Oui, c’est une commande dès le casting, pas du tout au tournage. On a parlé de ressentis pour diriger Pili, pour lui indiquer des choses, pour qu’elle comprenne l’empathie pour son personnage et tout ça. Mais c’est plutôt au casting. Pili, elle est arrivée très tard, trois semaines avant le début du tournage et dans nos critères, on voulait que même physiquement, elle ait encore un pied dans l’enfance. C’est pour ça que c’était si dur à trouver car on voulait ce pied dans l’enfance et en même temps, qu’en plateau, il y ait quelque chose de déjà très mature. Et tant mieux si vous avez ressenti ça, car en effet, elle est entre deux âges et dès fois on a l’impression qu’elle a 8 ans et demi, encore plus jeune qu’elle n’est, et tout à coup elle va presque jouer à la femme. Et elle enfantine avec sa mère, c’est l’adolescence, cet entre deux âges qui est très émouvant.

Et puis, une forme de quête toujours inassouvie de Camille, qui cherche à rencontrer cette mère, et là encore avec beaucoup de justesse et d’empathie, vous disséquez les ravages de la carence, où on aime beaucoup dans les mots, mais peu dans les actes ?

FR : Dans au moins la direction d’acteurs dont on parlait et dont Julie s’est fait le relais sur le plateau, c’était l’intention, qu’elle n’incarne pas la même chose que ses actes, car ses actes ils sont effectivement plutôt toxiques d’un point de vue éducatif. En revanche, on lui demandait de jouer l’amour, car c’est une évidence, de l’amour, elle en a. Et le jugement, on essaye de s’en éloigner à cet endroit-là. Et idéalement, peut-être universaliser ce problème-là. Quand des adolescentes essaient de se construire, quoi de mieux qu’interroger les racines, donc ils vont forcément nous interroger là-dessus, ils s’émanciperont forcément de ça. L’héritage, on en donne aussi à nos enfants et puis on n’est pas toujours à l’aise avec ça.

Une question que je n’aurai pas posée, une envie de faire passer un message ? ce que vous voulez !!

JLG : Je pense que vous avez saisi ce qui nous émeut tant. Si vous arrivez à dire que c’est un film qui montre les bienfaits de l’Aide Sociale à l’Enfance, et comment parfois, par bonheur, on arrive à rompre le cercle vicieux des répétions familiales et que oui, c’est un long chemin vers la résilience, c’est pas noir ou banc, y’ a quand même un espoir.

FR : Le succès recherché, c’est la faculté à décider par soi-même. C’est un type de liberté, penser par soi-même.

RB : Ce que je trouve vraiment émouvant dans le film, c’est la manière dont il éclaire les comportements qu’on jugerait inattendus. On n’attend pas d’une mère qu’elle abandonne son enfant, on n’attend pas d’une mère qu’elle soit toxique pour son enfant, on attend tout le reste. Être une bonne mère être une bonne fille. Je trouve que le film éclaire de manière bouleversante les destins accidentés. Il en donne une compréhension. Moi, par exemple qui suit née d’une mère qu’on appelle « abandonnante », c’est vrai que quand j’ai vu le film, pour moi c’est comme si le personnage de Camille était potentiellement une explication de ce qui était arrivé à ma mère par exemple. Et je trouve que c’est très rarement raconté, très peu mis en lumière, notamment malgré tout avec une espèce de fin assez lumineuse. Alors, ça réinterroge sur ce qu’on attend de nous, de se comporter correctement et dès fois y’en a qui n’y arrivent pas, mais est-ce que ça fait d’eux des êtres… Moi ca m’a vachement bouleversée, on raconte rarement ces histoires d’abandon sous cet angle-là.

Propos recueillis par JM Aubert

Merci à l’équipe du Théâtre National de Bretagne (TNB) de Rennes, qui a permit cette rencontre et tout particulièrement à France Davoigneau, coordinatrice adjointe du projet cinéma.

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