La fidélité

LA FIDELITÉ LOUIS DE FUNES / GERARD OURY

LOUIS DE FUNES / GERARD OURY : LE COMIQUE D’AMBITION

Il est inutile de les présenter l’un et l’autre tant ils ont marqué l’Histoire de notre cinéma et tant leurs films continuent d’enchanter le public. La popularité de Louis De Funès demeure sans égale et traverse les générations. L’acteur reste toujours, quarante ans après sa disparition, un véritable remède antimorosité, abondement utilisé par nos chaines TV lors du confinement notamment. La carrière du comédien a véritablement pris son envol sur la tard avant d’atteindre les sommets que l’on connait. Si De Funès est parvenu a un tel niveau de notoriété, il le doit d’abord à son talent mais aussi à quelques metteurs en scènes qui lui ont concocté des films à la hauteur de ce qu’il pouvait donner. Gérard Oury fut sans contestation celui qui lui a fourni ses plus beaux écrins. Des œuvres à part entière qui ont révélé par la même occasion un auteur majeur du cinéma français populaire. Car ce qui fait la marque Oury, c’est l’ambition. En plus de considérer le cinéma comique en tant que divertissement capable de rassembler les foules, Gérard Oury nous amène au spectacle et nous en met plein les yeux. De la collaboration entre les deux hommes va naitre cinq films dont quatre majeurs aujourd’hui unanimement reconnus comme des chefs-d’œuvre.

LE CRIME NE PAIE PAS (1962)


C’est le film de la rencontre artistique entre les deux hommes. Oury a déjà réalisé deux longs métrages qui n’ont pas été des succès commerciaux (La main chaude et La menace). Le crime ne paie pas est un film à sketches (type de métrage très courant à l’époque). Parmi la distribution prestigieuse, il y a le second rôle De Funès. Le comédien est déjà un deuxième couteau réputé et passe de films en films, pimentant quelques scènes par son jeu atypique. Mais, malgré quelques seconds rôles marquants (La traversée de Paris, le diptyque Papa, maman… ou La belle américaine) et de rares premiers rôles (Ni vu ni connu et Taxi, roulotte et corrida), De Funès n’accède pas encore au vedettariat. Ici, dans Le crime ne paie pas, il joue le temps de quelques scènes un barman dont les répliques mais surtout le jeu du comédien vont faire rire aux éclats Gérard Oury derrière sa caméra. L’entente entre les deux hommes se crée. De Funès détecte chez le jeune réalisateur un auteur doué pour la comédie. Il le lui dit. Le crime ne paie pas est un honnête succès commercial et Oury décide alors d’écouter De Funès. Il abandonne la veine dramatique de ses trois premiers films pour s’atteler à l’écriture de sa première comédie.

LE CORNIAUD (1965)


Oury écrit donc une comédie mais en partant d’un fait divers sérieux : un présentateur TV français arrêté aux Etats-Unis au volant d’une Buick provenant de France, transportant de l’héroïne. L’homme clamant son innocence et prétendant avoir été dupé a ainsi involontairement donné l’argument de base du Corniaud. Gérard Oury a sa distribution en tête : Bourvil avec qui il avait joué en tant que comédien (Garou-Garou, le passe-muraille) et pour qui il avait coécrit un scénario (Le miroir à deux faces), puis bien sûr De Funès. Au moment de la mise en chantier du Corniaud, Bourvil est une star depuis plus d’une décennie, d’ailleurs son cachet est bien plus important que celui de son partenaire. Mais De Funès voit son statut changer lors du tournage. En effet, sur les écrans triomphent successivement Le gendarme de Saint-Tropez et Fantômas. De Funès devient un acteur de premier plan. Un incident contraint la production à décaler le tournage des scènes avec De Funès (la voiture qui lui sert d’accessoire est accidentée et il faut le temps d’en fabriquer une autre). De fait, en assistant à la projection des rushes, De Funès ne voit que Bourvil. Il examine le scénario en détail, compte les répliques et constate que son partenaire a plus de scènes que lui. Le comédien fait alors la « grève du masque », se contentant de jouer ce qui est écrit et rien de plus. Oury comprend la situation et décide de rétablir l’équilibre. Il donne ainsi deux scènes supplémentaires à De Funès non prévues au scénario : la fameuse séquence de la douche où notre Fufu national compare sa musculature à celle d’un autre campeur, catcheur de profession, puis la scène dans le garage où De Funès répare la Cadillac, véritable hommage à Chaplin. Deux scènes aujourd’hui cultes. Et des scènes cultes, Le corniaud en regorge. Dès les premières secondes, le film déclenche les rires (la 2CV de Bourvil qui se démonte complétement sous le choc de la voiture de De Funès… scène mythique !). L’intrigue est habille et le scénario, écrit par Oury avec Marcel Jullian, est d’une précision diabolique, les dialogues de Georges et André Tabet sont en or massif. Le réalisateur a les moyens de ses ambitions : proposer de belles images, des décors naturels somptueux, de l’action et bien sûr des gags minutieux. Bien que peu présents ensemble à l’écran, l’alchimie entre Bourvil et De Funès fonctionne parfaitement. Leurs personnalités comiques, très opposées, se complètent. De Funès trouve sa marque en incarnant ce Léopold Saroyan, un personnage malfaisant manipulateur et autoritaire mais au fond pas si mauvais. Quant à Bourvil, il excelle comme toujours dans le rôle du naïf pas si « kounkoun » qu’il en a l’air. Lors de la promotion, Bourvil demande à ce que le nom de son partenaire soit au même niveau que le sien sur l’affiche. Une attention que De Funès n’oubliera pas, et répétera à son tour avec Coluche pour L’aile ou la cuisse en 1976. Sorti en 1965, Le corniaud est un triomphe, attirant pas loin de 12 millions de spectateurs dans les salles. Ça y est, De Funès est maintenant installé au sommet et n’en redescendra plus.

LA GRANDE VADROUILLE (1966)


Triomphe du Corniaud oblige, le producteur Robert Dorfmann veut remettre le couvert. Oury refuse une suite et propose une autre aventure. Le cinéaste avait écrit le périple de deux femmes françaises sous l’Occupation, aidant des aviateurs anglais à regagner leur pays. Dorfmann récupère les droits de ce scénario et Oury retrouve Marcel Jullian, Georges et André Tabet pour concocter cette Grande Vadrouille. A l’équipe se joint la jeune Danièle Thompson, fille de Gérard Oury, qui fait ici ses brillantes premières armes. Le scénario est bien sûr adapté aux deux stars Bourvil et De Funès. Le premier sera un peintre en bâtiment, le second un chef d’orchestre. En lui confiant le rôle de Stanislas Lefort, Gérard Oury fait un grand cadeau à De Funès. Musicien, ce dernier a joué du piano dans des cabarets à ses débuts. Il connait cet art et l’aime passionnément, aussi se retrouver dans la peau d’un chef d’orchestre est une forme de consécration. Le comédien s’entraine pendant des mois à diriger. Le jour du tournage où Lefort manie la baguette, Louis De Funès se montre prodigieux, maitrisant chaque mouvement comme un véritable chef d’orchestre. Le film bénéficie d’un budget conséquent et d’une distribution internationale. Si dans Le corniaud, les deux comédiens avaient peu de scènes partagées, ici Oury mise sur l’inverse. Cette Grande vadrouille, c’est un tandem qui fonctionne à plein régime, un scénario au cordeau et du grand spectacle. Oury voit grand : reconstitution soignée, grosse figuration, diversité des décors, poursuite en motos, séquences aériennes… Le spectacle est total. Pour amortir les coûts, il faut réitérer l’exploit du Corniaud. La grande vadrouille va faire mieux. Avec plus de 17 millions de spectateurs, le film pulvérise tous les scores sur le sol français. Un véritable triomphe et un record, celui du film le plus vu dans les salles françaises, que La grande vadrouille va détenir durant un peu plus de trente ans jusqu’à l’arrivée d’un fameux Titanic. Aujourd’hui, le film est toujours aussi populaire. Ses multiples rediffusions sont des succès. Comme pour Le corniaud, les répliques restent. Deux triomphes consécutifs pour le trio Oury-Bourvil-De Funès mais surtout une véritable complicité tant artistique qu’humaine. Il est évident que les trois hommes n’ont pas envie d’en rester là.

LA FOLIE DES GRANDEURS (1971)


Après La grande vadrouille, Oury a encore vu grand avec Le cerveau où le cinéaste a cette fois associé Bourvil à Jean-Paul Belmondo. Si Le cerveau n’égale pas les triomphes du tandem Bourvil-De Funès, il est tout de même un grand succès. Pour son prochain projet, le réalisateur veut retrouver son duo magique pour une libre adaptation de Ruy Blas de Victor Hugo que Oury avait joué sur les planches plusieurs années auparavant. Le projet enthousiasme Bourvil et De Funès. Oury, Marcel Jullian et Danièle Thompson écrivent le scénario quand la terrible nouvelle tombe. Bourvil est atteint d’un cancer et le temps est compté. Alain Poiré, le producteur du film pour la Gaumont, refuse d’arrêter la préparation, conscient que cet arrêt signifierait au comédien que la mort a déjà gagné. Pour leur ami Bourvil, Poiré et Oury continuent leur travail, comme si tout allait pour le mieux. L’acteur s’éteint avant le tournage, plongeant l’équipe dans une grande tristesse. Oury songe à abandonner le projet : qui peut remplacer Bourvil ? Lors d’une soirée, le réalisateur croise la route de Simone Signoret. C’est elle qui suggère à Gérard Oury d’envisager Yves Montand. D’abord étrange, l’idée devient séduisante. Montand a prouvé ses talents de comédien et sa large palette, de Gavras à de Broca. Le scénario de La folie des grandeurs est réécrit en fonction de ce choix qui s’avère payant. Le tandem De Funès-Montand fonctionne formidablement bien, et là encore l’écriture est inspirée, les répliques cultes abondent et le spectacle est encore une fois total. Oury nous plonge dans l’Espagne du 17ème siècle avec jubilation et surprend même son monde en confiant la bande originale du film à Michel Polnareff. La folie des grandeurs a un ton différent des précédents films d’Oury, plus moderne. De Funès campe Don Salluste, un personnage plus odieux que jamais et le comédien savoure son plaisir. Clairement, De Funès a ce talent rare de jouer les salauds tout en les rendant attachants. Montand lui renvoie brillamment la balle tout en apportant son charme à l’entreprise. Le succès est au rendez-vous sans atteindre les scores du Corniaud et de La grande vadrouille. Là encore, le temps en a fait un film culte dont certaines séquences (le striptease d’Alice Sapritch) et répliques (« Il est l’or mon seignor« ) sont gravés dans l’Histoire du cinéma.

LES AVENTURES DE RABBI JACOB (1973)


Cette dernière collaboration De Funès-Oury est un nouveau pari. Pour le metteur en scène, il s’agit cette fois de traiter d’un sujet fort où la religion est au cœur du récit. Partant d’un fait divers (l’affaire Ben Barka), Oury veut faire de son film une ode à la tolérance. Les producteurs refusent ce scénario abordant les relations israélo-palestinienne alors que la situation entre les deux états est extrêmement tendue. De plus, l’histoire met en scène un personnage principal de français raciste, xénophobe, antisémite… bref il y a tout pour effrayer les investisseurs. C’est le producteur Bertrand Javal (Le petit baigneur) qui va prendre le risque. Gérard Oury et Danièle Thompson écrivent un scénario bourré de gags, à l’esprit vaudevillesque mais distillant une belle émotion et surtout offrant à Louis De Funès un rôle en or, un de ses plus grands. Désireux qu’Oury lui serve un personnage gratiné de beau salopard, l’acteur trouve en Victor Pivert matière à exprimer tout son génie comique. Lui seul peut camper un personnage aussi exécrable et amener avec lui les spectateurs. La force du scénario est de le faire évoluer. De Funès dira lui-même qu’incarner ce Victor Pivert lui a « décrassé l’âme« . Personnage bourré d’a priori, Pivert va, malgré lui, venir en aide à l’arabe Slimane et faire une plongée en profondeur dans la communauté juive, devenant à la fin du récit un être tolérant. Lorsque, dans le film, Pivert (Louis De Funès) demande naïvement si Slimane (Claude Giraud) et Salomon (Henri Guybet) ne seraient pas un peu cousins, leurs répliques respectives (« Cousins ? »… « Eloignés« ) et un serrage de main entre les deux hommes suffisent à illustrer magnifiquement et avec force le propos de Gérard Oury. Pourtant, malgré ce message de tolérance limpide, le film provoquera des réactions violentes à sa sortie en octobre 1973, en pleine guerre du Kippour. La seconde épouse de l’attaché de presse du film, palestinienne d’origine, tente de détourner un avion Air France Paris-Nice sur Le Caire et menace de détruire l’appareil si la sortie du film n’est pas annulée, jugeant l’œuvre pro-israélienne. La jeune femme sera abattue par le GIPN. Cet événement tragique et quelques critiques désobligeantes n’empêchent pas le film de trouver son public et d’être très bien accueilli. Avec plus de 7 millions de spectateurs, on peut même écrire qu’il s’agit d’un nouveau triomphe pour le tandem Oury-De Funès. Là encore, répliques cultes (« Salomon est juif« ) et scènes anthologiques (la célèbre danse exécutée par De Funès) font toujours parler d’elles cinquante ans après. Beaucoup s’accorde même à penser que Les aventures de Rabbi Jacob est un film rare puisque désormais infaisable de par son sujet. Vrai ou pas, on peut toutefois tous s’accorder sur le simple fait que le film serait aujourd’hui infaisable parce qu’il manquerait Louis De Funès.

Quand deux génies de la comédie, l’un réalisateur et l’autre acteur, unissent leurs talents, le résultat ne peut qu’être enthousiasmant ou profondément décevant. Gérard Oury et Louis De Funès ont œuvré dans la première catégorie quatre fois de suite. Un sans-faute. Quatre chefs d’œuvres intemporels de la comédie française qui ont fabriqué chez les spectateurs un nombre incalculable de sourires et provoqué des salves de rires. Les deux hommes avaient prévu de se retrouver une nouvelle fois pour Le crocodileDe Funès aurait incarné un dictateur d’un pays imaginaire d’Amérique du Sud, sorte de Pinochet revisité. L’état de santé du comédien (deux infarctus successifs) annule le tournage. Le film ne se fera malheureusement jamais. Oury ira vers d’autres comédiens, De Funès vers d’autres réalisateurs et des projets plus adaptés à sa santé. Ils connaitront l’un et l’autre d’autres succès mais Oury avouera que sans De Funès, rien ne fut plus pareil. Leur sommet respectif, ils l’ont atteint ensemble. Avec Oury, Louis De Funès a trouvé un véritable auteur de comédie, quelqu’un capable de divertir le public avec exigence, intelligence et une envie véritable de grand cinéma. Leur collaboration a donné au comédien ce qui compte parmi ses meilleurs films et des rôles cultes. Elle a offert aux spectateurs de grandes comédies qui se transmettent de génération en génération. Les deux hommes n’en ont pas fini de nous faire rire. Et maintenant… Rabbi Jacob… y va danser !

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