Critiques

LE MONDE DE DEMAIN (Critique Mini-Série) Tout est en or dans ce petit trésor sériel…

SYNOPSIS:  À travers les destins de Kool Shen et JoeyStarr, le futur duo explosif du groupe NTM, Dee Nasty, premier DJ de musique rap en France, et Lady V, danseuse et graffeuse, Le monde de demain raconte la naissance du mouvement hip-hop français dans les années 1980. Une saga joyeuse, rebelle et explosive qui montre une jeunesse française en pleine création d’une forme d’expression libre. Réalisée par Katell Quillévéré et Hélier Cisterne, une série chorale sur les prémices d’une révolution culturelle.

Très vite, on pourrait entendre, oui mais la naissance de NTM a déjà fait l’objet d’un film, Suprêmes (2021). Sauf qu’une série en général et alors celle-ci tout particulièrement, permet d’élargir, d’agrandir l’histoire. Et surtout, au-delà de NTM, c’est la naissance de la culture Hip Hop en France, et singulièrement au regard des destins passionnés et passionnants de nombreux autres personnages au moins aussi hauts en couleur que Kool Shen et JoeyStarr. C’est l’émergence d’une contreculture face à des peurs chimériques très institutionnelles, c’est la naissance d’un mouvement poétique, c’est le souvenir de la réalisation de ses rêves, quand on était dans les hangars, quand on sentait monter la fièvre… Une référence surtout pas anodine, qui vient en dire long sur la prodigieuse qualité de ce bijou de série, Katell Quillévéré, une des créatrices est la cinéaste à qui on doit le bouleversant Suzanne (2013) avec entre autres, Sara Forestier, François Damiens et Adèle Haenel. Au travers des parcours respectifs des pt’its gars de Nique Ta Mère, c’est toute cette émergence folle d’une culture hip hop méga urbaine, musique, Smurf, Break Dance, graff et au-delà, tout un mode de vie, exporté des US : Peace, Unity, love and Having Fun. On apprendra d’ailleurs que NTM à la base, c’est un groupe de graffiti (93 NTM). Avec leur cohorte de joggings couleurs pétantes, de drôles de mimes qui smurfent au Trocadéro, et des cabines téléphoniques à pièces. C’est puissamment nostalgique et artistique. Une culture qui faisait peur et était méprisée comme souvent les nobles arts en avance sur leurs époques. Dès le début, la série a une écriture à l’acidité littéraire, tel un album de NTM. Cette éclosion esthétique va à un moment faire de chaque scène une étincelle pour des espaces trop petits avec des rêves si grands.


Le piratage d’une radio déjà pirate par Dee Nasty pendant que Joey et Kool dansent, chacun brisant là symboliquement des puissantes chaînes d’assignation, ramèneront les puristes au Suprême NTM Freestyle (1991) : Pow pow pow le 93 NTM a pris la radio d’assaut… C’est aussi les drames des intimes. C’est clair que tout ne fut pas si facile. Le daron frustré qui se défoule à la ceinture sur Joey. Les galères du début, l’odeur de soufre, l’heure des erreurs et la couleur des souffre-douleurs, qui offrent le supplément de rage au cœur. Mais, que dans leur esprit soit gravé à jamais Nique Ta Mère… Ou quand la réussite devient un enjeu de survie. H.I.P.H.O.P (prononcer le phonétiquement), émission de 1984, avec Sidney et son smurf anthologique, C’était pour toute une France trois ans avant, notre Club Dorothée à nous les nanas et mecs de province !!! Devant Sidney, Joey dira J’ai jamais vu autant de noirs à la TV. Tout est là. Les dialogues du Monde de demain sont tout le temps d’une géniale inventivité.

« – Tu veux pas rentrer dans l’histoire ?
-Je préfère rentrer à Bordeaux.. »

« -En fait, j’hésite entre prendre un gros acide ou plein de petits acides. »

Tout le temps, dans Le monde de demain, le flow résonne, les vannes claquent. Ça fuse et ça sonne. Les poètes NTM sont dans la place. C’est l’après Doors, c’est l’avant Grunge. Lady V, future ange dans le ciel (2004), à qui entre autres la série est dédiée, qui ici cherche son père, les blessures assassines de l’enfance, va « consulter » une voyante pour l’aider à le retrouver. Cette dernière de lui dire d’une voix d’outre-tombe :
« -J’ai dû sonder la magiiiiiieeee des aaaaaaassstres. »

Long silence, reprenant une voix normale :

« non, je plaisante, j’ai mon beau frère qui bosse à la préfecture !! »

On est presque dans La cité de la peur (1994). Même l’humour est drôle dans Le monde de demain. Tout y est une réussite. La série est aussi créative que son propos. A voir nos virtuoses hier et aujourd’hui, dans Le monde de demain, on se demande si le bonheur n’est pas resté sur les premières heures du terrain vague de La Chapelle (Tout n’est pas si facile, 1995). Tout à coup…. Thomas VDB au comptoir… Manquait plus que lui. Encore une preuve de bon goût. Joey, déjà dans toutes ses outrances, excès et la certitude chevillée à ce corps félin et cette voix qui agresse délicieusement : « Je vais le contrôler le rap moi « !! Il ajoutera : « Ce qui compte, c’est pas d’être prêt, c’est d’être là « !! Qui dit déjà tout de leur irrésistible et irrépressible envie de réussite. Comme une nécessité de passer de la cave à l’usine.


Ce premier duo avec Assassin dans les studios de Radio Nova, samplé par Dee Nasty, c’est le grand art dans sa pureté originelle, c’est As Tears Go By (1988) de Wong Kar-Wai. Façon premières créations, C’est le brut qui balbutie, brutal, tripal, instinctif et férocement prodigieux. On est dans Validé (2020-2021), mais genre avant le début de l’histoire, c’est du Validé en or massif. Le monde de demain, c’est aussi la série qu’on ne veut jamais finir. On la déguste et on commence à ralentir dès le troisième épisode, car on sait que ça va défiler trop vite, bien trop vite. Elle a finalement un seul défaut : elle est fabuleuse.  De la cave au studio, où nous sommes de plein pied dans les conditions chaotiques de l’enregistrement du premier album, tant Joey est sauvage, refuse même le moule et le module d’un simple studio. L’animalité de Joey, la sensibilité de Kool Shen sont déjà énormes, folles. Leur complémentarité au micro comme en dehors est mortelle. L’enregistrement du Monde de demain (1990) est un morceau de bravoure, une anthologie de tout ce qui veut s’appeler rap encore aujourd’hui et encore pour des siècles. On est clairement face aux pionniers.  Face aux interdictions de gymnase, une seule réponse de NTM et du public : Nique ta mère le maire !! I make music for my people. Cette série est une pure dinguerie et dit bien plus simplement que sur NTM, on est ici dans le rap, la culture / contre-culture. Elle vient interroger une société sur ses peurs, elle questionne un dysfonctionnement, le rapport à nos pairs et pères, elle est tout ça et bien plus encore.


Comme tout est en or dans ce petit trésor sériel, le casting c’est la même… Du talent sur du talent. Clairement, Melvin Boomer est un JoeyStarr d’un magnétisme de folie. Il est beau, bon, touchant et troublant. Une merveille, une révélation. Dans un registre forcément différent, Anthony Bajon est tout autant un acteur né et surdoué. Il joue un Kool Shen tout en tendresse drolatique, et démontre une maturité folle dans le déploiement de tant de facettes. Andranic Manet, dans le rôle de Dee Nasty est à tomber lui aussi. Son envie, sa puissance de jeu sont de celles qu’on n’oublie pas, une interprétation qui reste. Victor Bonnel (DJ S), déplie une sensibilité marquante, qu’on n’a pas fini d’ausculter, et qui déjà imprime et imprègne dans La fille au cœur de cochon (2022). Laïka Blanc-Francard est une Lady V battante et résiliente, qui incarne pleinement la force d’une fille dans ce monde de bonhommes. Léo Chalié est une Béatrice hyper touchante, qui prend l’écran avec une élégance folle et un style inoubliable. Le monde de demain c’est infiniment joyeux, et follement énergique, car ce sont des gosses emprisonnés dans la grisaille bétonnée, qui vont s’émanciper, et en plus avec un talent fou. Le monde de demain, c’est une avant-garde, à l’image de Qu’est-ce qu’on attend (1996) qui 10 ans avant annonce la rageuse  » crise des banlieues ». Le monde de demain est une sublime humilité qui en fait tout le sel et le charme fou. Le monde de demain c’est celui d’aujourd’hui et tellement plus loin encore. Le monde de demain, ça se regarde tout de suite et tellement vite.

Crédits: ArteTV / Arte

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