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SCREAM QUEENS (Critique Série) Une œuvre résolument originale et un régal de divertissement…

SYNOPSIS : Alors que des étudiants font leur rentrée à l’université, les préoccupations autour de l’accès à une fraternité ou une sororité, se font vite éclipser par l’arrivée d’un mystérieux tueur tout aussi masqué qu’il est sanguinaire.

Il pleut du Ryan Murphy en cette période automnale. Sitôt sa dernière série, Dahmer, débarquée sur Netflix, il rempile en teasant son nouveau projet, The Watcher, qui devrait arriver sur la même plateforme en octobre. L’omniprésence du showrunner dans le paysage télévisé américain n’est pas une nouveauté pour autant : depuis son premier gros succès Nip/Tuck, terminé en 2010, nous avons eu droit à pas moins de 15 séries dirigées par ce bourreau de travail, pour le meilleur comme pour … le moins meilleur. Sa série Scream Queens, sortie en 2015, juste après les réceptions très enthousiastes des premières saisons de Glee et American Horror Story, a reçu, à l’époque, des appréciations plus mitigées de la part du public. Retour sur une œuvre trop peu appréciée à sa juste valeur.

Ryan Murphy a toujours créé des œuvres très référencées, que ce soit par des évènements réels, des films ou d’autres œuvres audiovisuelles. Nip/Tuck adaptait librement des faits divers réels dans certains épisodes, Glee ne cessait de rendre hommage à des comédies musicales et à la pop culture, en citant Game of Thrones ou en allant même jusqu’à parodier Saw, American Horror Story construit chacune de ses anthologies avec des références au cinéma d’horreur, etc. On ne change pas de paradigme dans Scream Queens et, dès le premier épisode, nous nous retrouvons face à un mélange entre une parodie des teen movies des années 90 et 2000 et des films d’horreur cultes de l’Histoire du cinéma, depuis Le Silence des agneaux jusqu’à Psychose, en passant par Hellraiser, Massacre à la tronçonneuse ou même Orange Mécanique. La référence à la saga Scream de Wes Craven se situe tout de même en tête, qu’il s’agisse de la présence dans le casting d’Emma Roberts aka Jill Roberts dans Scream 4, du décor de l’université de la saison 1 qui évoque celui de Scream 2, ou encore du tueur en costume d’Halloween. On pourrait se poser la question de la pertinence d’une sempiternelle revisite de cette saga horrifique (déjà bien référencée elle-même), après les Scary Movie et son adaptation en série télévisée éponyme par Jill Blotevogel, Dan Dworkin et Jay Beattie, mais Murphy envoie vite valser les réserves.

Le showrunner est bien meilleur en exagération et en satire qu’il ne l’est en premier degré et en drame et il trouve un défi à sa hauteur en situant sa série entre deux genres déjà très marqués par des constructions archétypales, qu’il s’agisse de scénario ou de personnages. Il caste Jamie Lee Curtis dans un rôle de femme forte (et manipulatrice) comme dans Un poisson nommé Wanda ou True Lies en amenant la caractérisation de son personnage de Cathy Munsch jusqu’à la psychopathie et parodie son statut de final girl dans la saga des Halloween en la rendant explicitement invincible et immortelle. Emma Roberts dépasse également d’un cran tous les rôles de mean girl qu’elle a pu endosser et campe la plus délicieusement insupportable des petites princesses pourries gâtées égocentriques, en allant jusqu’à la sociopathie pure et dure et en nous offrant des répliques excellentes de narcissisme ou de langue de vipère qui feraient passer les Regina George et autres Cher Horowitz pour des petits anges. Murphy reprend également Lea Michele dans son équipe après Glee, pour lui donner une version complètement exagérée du rôle qu’elle tenait auparavant. L’actrice passe d’un personnage de lycéenne laissée pour compte assez égocentrique et amoureuse d’un quaterback à la paria flippante de l’université qui harcèle, sans aucune forme de honte ou de remise en question, les personnes populaires autour d’elle. Ce n’est pas le seul de ses archétypes personnels que Ryan Murphy revisite : Glenn Powell interprète un étudiant littéralement prénommé Chad, narcissique au dernier degré et complètement stupide qui évoque tous les personnages de quaterbacks de la filmographie du showrunner en un. Murphy s’amuse même du principe du personnage du petit ami secrètement meurtrier de film d’horreur en faisant de Chad une sorte de dégénéré sexuel qui fantasme ouvertement sur le meurtre sans que personne ne prenne le temps de remettre ça sérieusement en question dans un tel contexte (nul spoiler ici, seulement une fausse piste parmi tant d’autres contenues dans la série). Il faut, bien sûr, ne pas être réfractaire à une telle écriture de personnages pour que la magie opère mais l’on ne peut qu’être admiratif devant une série qui réussit à faire s’attacher à des personnages pareils et à ce que toutes leurs répliques (ou presque) fassent mouche.

Les séries dirigées par Ryan Murphy ont toujours eu la grande force d’une écriture de dialogues où le second degré étincelle, et où les punchlines sont particulièrement inspirées. Là encore, Scream Queens ne fait pas exception, voire assène le coup final. La série sait tirer profit de ses personnages les plus comiques et divertissants et n’hésite pas à éclipser ses personnages plus « quelconques » pour leur laisser le devant de la scène. La Chanel que joue Emma Roberts a droit à des monologues entiers (atteignant même parfois plusieurs minutes) tout aussi cinglants qu’ils sont hilarants. Elle prend d’ailleurs progressivement beaucoup plus d’importance que Grace, personnage initialement principal de la série, qui permet de découvrir l’intrigue à travers ses yeux de nouvelle arrivante à l’université, puis qui est relativement évacuée, dès lors que les personnages secondaires beaucoup plus originaux et charismatiques sont bien établis. Cette tendance se confirme d’ailleurs dans la seconde saison où le groupe d’amies de Chanel prennent officiellement le relai en tant que protagonistes du récit. Les nouveaux personnages de cette seconde saison fonctionnent d’ailleurs plutôt bien et renouvellent efficacement l’ensemble, en particulier celui incarné par John Stamos, qui campe un docteur bellâtre (ça nous rappelle quelque chose…) génie de son domaine, qui garde le terrible secret de s’être fait greffer une main pas comme les autres…

Murphy prend le parti de forcer le trait de ses références ainsi que de ses gimmicks habituels jusqu’à l’absurde et parvient ainsi à aboutir sur une œuvre résolument originale qui surprend même le spectateur habitué à ce type de contenus. Cette qualité devient la grande force de Scream Queens qui se situe dans un contexte où le méta ne peut plus servir d’argument choc en tant que tel. La série opte alors pour une mise en abyme de son contenu intertextuel, en se servant de ce qui est désormais attendu lorsqu’il est question de méta ou des ressorts éculés du genre pour en prendre le contrepied. Il devient alors très difficile d’anticiper les actions des personnages ou l’identité du tueur, tant la série s’amuse à déjouer les attentes de ses protagonistes et par-là même du spectateur. Bien sûr, l’intérêt principal de Scream Queens réside moins dans son aspect enquête que dans les interactions entre ses différents personnages hauts en couleur mais celle-ci n’est pas négligée pour autant et offre une évolution et un dénouement très honnêtes et maîtrisés dans le genre. On peut certes noter une fusion légèrement moins réussie entre intrigue horrifique et vie quotidienne des personnages dans la saison 2 qui souffre parfois d’un rythme un peu plus inégal que la première, mais l’attachement aux personnages contribue tout de même à équilibrer le ressenti.

Scream Queens est peut-être ainsi l’une des séries les plus jusqu’au-boutistes de Ryan Murphy mais elle est également celle qui permet le plus de réunir et d’éclairer le reste de sa filmographie grâce à cette extrémité constante. Là où l’on pouvait encore parfois se demander où commençait et où s’arrêtait le second degré dans ses œuvres à vocation plus dramatique, comme dans Glee ou American Horror Story : Murder House, Scream Queens rend les intentions de Murphy quant aux thématiques récurrentes de sa filmographie. Nous assistons à un jeu de massacre en milieu bourgeois et élitiste qui rejette tout ce qui ne lui ressemble pas avec une satire qui se prête bien mieux à traiter d’une situation forcée de « vivre ensemble » que le lissage multiculturel finalement très libéral à morale  » Vous êtes tous des minorités, vous êtes dans le Glee club  » que Glee opérait à l’époque de sa sortie. De même, la mise en scène d’une gestion de crise très aléatoire de la part de la direction de l’université (et de l’hôpital dans la saison 2) et qui devient de plus en plus chaotique au fur et à mesure qu’elle se fait médiatiser évoque sensiblement des évènements passés depuis la sortie de la série. On observe également les conséquences de ce climat de peur permanent et les dérives que cela peut occasionner, depuis la propagation de rumeurs infondées, jusqu’à une recherche de repli dans le spirituel, souvent très hasardeuse. Nous assistons aussi à une division dans les rangs des victimes de la situation, qui souhaitent toutes s’en sortir, mais par-dessus tout, veulent que la solution choisie soit celle qui les arrange le plus, quitte à parfois empirer la situation générale par égoïsme pur. Sous ses airs de pure comédie légère, Scream Queens se montre parfois étonnamment pertinente, et d’autant plus corrosive. Scream Queens est un régal de divertissement parce que Ryan Murphy a compris qu’on ne peut efficacement parodier que ce qu’on connait bien et pour quoi on a une tendresse particulière. On ressent l’amour du teen movie et de l’horrifique de façon si sincère derrière le vernis caustique de la série, qu’elle constitue un visionnage immanquable pour les fans des deux genres.

Crédits: FOX

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