SYNOPSIS :Rappelé du front à la suite de la mort de son plus jeune frère, décédé des suites d’une prétendue intervention de police, Abdel retrouve sa famille déchirée. Entre le désir de vengeance de son petit frère Karim et le business en péril de son grand frère dealer Moktar, il essaye de calmer les tensions. Minute après minute, la cité Athena se transforme en château fort, théâtre d’une tragédie familiale et collective à venir. Au moment où chacun pense avoir trouvé la vérité, la cité est sur le point de basculer dans le chaos…
Il y a très exactement vingt-cinq ans, Jean-François Richet donnait à percevoir, dans son percutant et mémorable Ma 6-T va crack-er, le chaos absolu dans lequel la société française allait finir tôt ou tard par s’enfoncer, sous le triple effet d’un malaise social toujours plus grandissant entre jeunes et adultes, d’un quotidien sans avenir pour une jeunesse délaissée et sans repères, et d’une police toujours plus inexpérimentée pour gérer le moindre début de flamme. Aujourd’hui, en un sens, Romain Gavras (à qui on devait déjà les géniaux Notre Jour Viendra et Le Monde Est à toi) reprend le flambeau de Richet en démarrant Athena là où Ma 6-T va crack-er s’achevait – la prémonition de ce chaos total et quasi irrémédiable se cristallise avant même que la première minute du plan d’ouverture ne s’achève. Mais c’est aussi aux récents Misérables de son comparse Lady Ly (ici coscénariste) qu’il cherche à se connecter, les deux films ayant en commun de vouloir prendre le pouls d’un système malade et générateur de violence, et ce en s’efforçant d’esquiver tout point de vue partisan d’un côté comme de l’autre. A l’heure où nous écrivons ces lignes, les opinions s’enflamment déjà sur les réseaux sociaux pour faire d’Athena un nouvel objet de polémique à l’image du récent Bac Nord (qui, lui, de par ses partis pris plus que discutables, n’avait hélas pas volé sa polémique). On ne rentrera pas dans ce jeu-là, tant le film multiplie les points de vue avec une acuité si forte pour laisser son spectateur abattu et désarmé face à la situation explosive qu’il met en scène. Et surtout, parce que fidèle à l’un des commandements originels de son collectif Kourtrajmé (« Je jure de ne pas donner de sens à mon film, mais de faire des films pour les sens « ), le fils du grand Costa fait montre d’un punch visuel et immersif prompt à laisser le cinéma français en état de choc.
Que raconte Athena ? Ni plus ni moins que la quête de vengeance des habitants d’une cité du même nom à la suite de la mort tragique d’un jeune habitant de la cité, tué dans les conditions louches d’une apparente intervention de police. Trois frères, par ailleurs de la même famille que la victime, forment ici l’épicentre du chaos en cours. D’abord Abdel (Dali Benssalah), soldat rappelé du front suite à cet assassinat et confronté au déchirement de sa propre famille. Ensuite Karim (Sami Slimane), cadet ivre de vengeance qui, après avoir inauguralement lancé un cocktail molotov contre un commissariat, allume la mèche d’une révolte sociale impulsive et irraisonnée. Enfin Moktar (Ouassini Embarek), aîné de la fratrie et dealer du quartier qui voit son business sévèrement contrarié par les événements. Tandis que le premier s’efforce de calmer les tensions, les deux autres s’enferment dans une logique tendant surtout du suicide, pour ne pas dire de l’autodestruction nihiliste, à mesure que la police passe de l’encerclement à l’assaut de leur cité transformée en néo-Rio Bravo. D’un plan-séquence inaugural tout bonnement estomaquant de violence et de scénographie jusqu’à une cascade ininterrompue de variations sur les échelles de plan (mention spéciale au jeu foudroyant sur les contre-plongées), la mise en scène de Romain Gavras se fait à la fois viscérale et symbolique. Viscérale de par la puissance immersive de sa caméra (qui ne s’arrête jamais de bouger et de vibrer) et le lyrisme multiplié de sa bande originale signée Gener8ion. Symbolique de par l’ampleur quasi mythologique de ses partis pris, lorgnant aussi bien du côté du western et du huis clos que de la fresque guerrière et du film d’horreur, au détriment de tout point de vue orienté. Un shoot de sensation pure, en somme, qui vise le coup de boule et qui coupe le souffle.
Proche de l’asphyxie pure et simple dès lors que la situation dégénère, la sensation d’immersion en temps réel dans un chaos tangible est ici totale, imparable, inévitable. Elle l’est aussi dans les phases les plus « calmes », en particulier lorsque Gavras tire profit de la cartographie de son décor – ici proche d’un dédale barricadé à ses extrémités – pour donner à voir le quotidien de la banlieue parisienne, la colère et/ou la panique qui s’empare de chaque habitant de la cité, bref la matière concrète de ces tours de bitume que Bac Nord réduisait à des souricières aux mains de caricatures animales et vociférantes. Ne pas s’y tromper : Athena filme la coupure de communication entre deux mondes qui parlent le même langage (de l’affect, de la colère et des cris) et dont le clash brutal ne peut mener à rien d’autre que la désolation. Ni gagnant ni perdant, ni héros ni salaud, chaque personnage du film se confronte de lui-même à la tension qu’il a soit déclenchée soit embrassée soit rejetée, et entame dès lors une fuite en avant vers l’irrémédiable sous les yeux de ses proches. Et là où l’on aurait pu craindre que le récit se limite à suivre pépère une trame narrative sans grande surprise, la mixité des genres et des péripéties en « after-shocks » dont Gavras fait ici preuve suffit à renforcer le sens de l’expression « être cloué au fauteuil « . On vit Athena comme il se doit, c’est-à-dire comme le témoin fasciné, à la fois effrayé et hypnotisé, par un chaos no future qui ne cesse de tout embraser autour de lui.
Plutôt de très bonne augure, tout ça. Pourtant, la réussite à 100% n’est pas au rendez-vous. Si Gavras signe ici son geste de cinéma le plus impressionnant en matière de pure technicité, son scénario ne s’épargne pas quelques couacs. D’abord, la structure extrêmement linéaire et resserrée du récit (toute l’action du film se déroule sur quelques heures), alliée au choix d’un lieu unique qui comprime tous les enjeux en temps réel, finit par rendre un tantinet simplifiée la tragédie familiale qui se joue ici. C’est qu’à cause de leurs partis pris, Gavras et ses deux coscénaristes rament à amener les enjeux et les personnages au-delà des détails révélateurs que la première demi-heure a déjà mis en évidence avec limpidité. Est-ce parce que la mise en scène se montre si monumentale qu’elle tend à écraser le cœur dramaturgique du récit ? Ce n’est pas impossible, mais on laissera chacun en juger à partir de ce qu’il pourrait attendre d’un scénario pareil. En outre, histoire d’écrire à tout prix un point final à cette tragédie explosive, le cinéaste met fin au suspense via un épilogue flash-back où la vérité éclate soudain sur le meurtre inaugural – une faute de goût qui va quelque peu à l’encontre de l’ambiguïté et de la désorientation que Gavras avait amplifiées jusqu’ici. Rien qui ne réussisse cependant à affaiblir la réussite d’Athena, victoire enflammée et kamikaze dans une industrie cinématographique française qui se consume à petit feu.
Titre original: ATHENA
Réalisé par: Romain Gavras
Casting: Dali Benssalah, Sami Slimane, Anthony Bajon …
Genre: Drame, Action, Thriller
Sortie le: 23 Septembre 2022
Distribué par : Netflix France
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2020
en effet, le « flash back » n’était vraiment pas nécessaire. Contrairement à toi la musique m’a gêné …