Analyse

(Patrick) Dewaere, c’est l’histoire d’un mec

C’est l’histoire d’un mec qui nous manque….

C’est l’histoire d’une vie trop courte, d’une souffrance trop forte

C’est l’histoire d’un talent hors normes, d’une figure parfois christique, souvent fêlée à l’intérieur.

C’est l’histoire de Patrick Dewaere, aurait pu dire son meilleur pote Coluche. Gageons et espérons que là où ils sont, ces deux-là, et d’autres, il se fendent bien la poire, qu’ils sont aussi libres, fous et heureux qu’à l’époque des rêves, de l’insouciance et de l’unique bonheur au Café de la Gare, que Patrick a tant chéri.

Tout avait si bien commencé ce 26 Janvier 1947 à Saint Brieuc, avec la naissance de Patrick Jean-Marie Henri Bourdeau, troisième d’une fratrie de 6, et fils de Madame Mado Maurin, actrice, et matriarche de ce que l’on appelait à l’époque « Les petits Maurins« , famille d’artistes et d’enfants comédiens.

Patrick Jean-Marie Henri Bourdeau va devenir Patrick Dewaere, surtout car il a voulu prendre le nom de famille de sa grand-mère, mais s’est trompé entre le V et le W… Changement de patronyme tout sauf anodin, presque un changement d’identité, de peau, pour celui qui pouvait dire que des petits Maurins, « J’étais le moins doué de mes frères  » *1. Il faisait des cauchemars du jeu, de la scène et la vocation n’est pas venue dès 3 ans où sur les planches du Théâtre Chaillot, il jouait Primerose avec sa mère. L’histoire serait trop belle, trop facile, trop codifiée.  Patrick n’aime pas la simplicité, et les jolis contes un peu trop écrits à l’avance.

D’autant que vont naître les premières failles, les indélébiles déchirures, l’ancrage d’une cicatrice interne trop figée, qui l’air de rien va s’amplifier, et gagner sans cesse en volume… Un changement de nom ne s’improvise pas : les mensonges des adultes entre l’identité affective, administrative et physiologique de deux pères ; Des gestes interdits sur un enfant qui se répètent, et la psychanalyse de comptoir laisserait à penser que la révolte permanente, l’écorchure intériorisée, le rejet du système dominant, s’est forgé au cours des squelettes qui se baladent dans le placard de Dewaere… Peut-être c’est ça…. Peut-être que pas…

En tous les cas, il dira avoir initialement choisit par défaut le métier d’acteur, affirmant ne rien savoir faire d’autre… Un manque d’entrain peut-être, ou hasard de la sélection forcément arbitraire, il sera refusé deux ans de rang au conservatoire. Dewaere a commencé à aimer ce métier à partir du Café de la Gare en 1968, y compris dans l’idée d’être son propre auteur. Une liberté folle, une époque elle-même libertaire, une frénésie de l’inconséquence, des compagnons de jeu insouciants, déjantés, délirants, le talent en bandoulière, de l’art plein les poches… Il avouera s’être trouvé comme acteur à cette époque. Émancipation, plaisir, passion, le goût du jeu. Bon il dira aussi en déconnant plus ou moins que « le Café de la Gare, ce n’est qu’une histoire de fesses  ». En tous les cas, c’est entraide et partage.

Arrivent alors Blier et ses Valseuses en 1974…. Et clairement quand on regarde les tribulations affectives, sexuelles et drôlement humaines de trois inconnus de l’époque Miou Miou, Gérard Depardieu et Patrick Dewaere, on se dit qu’on est «  biens là, paisibles, à la fraîche, décontractés du gland, et on bandera quand on aura envie de bander ». Le scandale est à la hauteur du talent d’un cinéaste et de ses trois muses.  « Il ressemblait à Marcello Mastroianni, mon idole. Il me touchait beaucoup, Patrick. Il avait du malheur en lui » * 2 disait Blier sur son acteur, encore une étrange prémonition. Pourtant, Blier a failli se tirer plus d’une fois du tournage tant Patrick et Gérard étaient ingérables, aussi chiens fous et enragés à la scène qu’à la ville. « Quelle chance d’avoir eu cette chance-là » » *3 dira Dewaere qui avait prédit que Les Valseuses allait tout changer, il avait clairement vu juste. Pour toute l’équipe, c’était le premier film, donc tout le monde y allait à fond, mais pas toujours dans la même direction. « En gros, j’ai fait du cinéma depuis les Valseuses » *4 confiera-t-il

Dewaere entame alors sa ballade folle dans le panthéon du cinéma Français. Adieu Poulet en 1975 avec Lino Ventura et un échange inoubliable. Lino commence : « Pourquoi qu’tes rentré dans la police toi Lefebvre ? » Dewaere : « Parce que j’étais feignant, parce que j’avais aucune capacité, parce que »…. Lino le coupe : « Ben, moi c’est pareil ». Dewaere qui n’aime pas trop l’ordre et la sécurité c’est un euphémisme, apprend… Il joue un flic sympa. Ventura insistera pour que le nom Dewaere figure autant que le sien sur l’affiche.

Puis entre autres, La meilleure façon de marcher en 1976 et ce face à face singulier avec Patrick Bouchitey. Le juge Fayard (1977) où Dewaere s’institutionnalise en jouant le juge, mais Patrick demeure un insoumis qui se dresse contre le système. Il y est flamboyant et sa détresse, ses fêlures déjà perceptibles se mêlent avec grâce à celles de Philippe Léotard. D’autres duretés avec F comme Fairbanks en 1976 et une douleur confuse entre réalité et cinéma suite à une rupture récente pour ce qui se joue à l’écran dans ce film entre Dewaere et Miou Miou.

Un film lunaire hautement bucolique Au long de rivière Fango en 1975… Au gré des rencontres avec les cinéastes, un style s’affine, s’affirme, et c’est comme parfois un visage quasi christique qui passe à l’écran, au gré de l’inspiration de l’acteur surdoué. S’il faut travailler une scène toute la nuit, il le fait. Alors que le lendemain, finalement il la jouera autrement en fonction de l’instant, de l’instinct. Dewaere voit la relation entre un metteur en scène et l’acteur comme un lien entre une femme et son mari. Il dit de Sautet qu’il lui a fait comprendre que c’était possible de faire passer les émotions, sans jouer, mais avec la pensée.

«  Je suis très attiré par ce que je ne connais pas. Je veux faire des films qui soient différents les uns des autres, avec des façons de jouer différentes, des comportements différents, pour vivre un maximum de vies ».

Il se sera aussi fait connaître par une sorte de fait divers. Discrète confidence et totale confiance à un journaliste à qui il confie « en off » son imminent mariage. L’info sort très vite malgré tout. Patrick se venge façon Dewaere, amène deux potes et castagne le journaliste bavard. OK, c’est pas malin, mais il va ensuite devenir l’ennemi star numéro 1… On oubliera tout ce qu’il était avant, à savoir tout le contraire. Lui en dira : « Je crois que tous ceux qui ne savaient rien de moi, tout ceux auxquels j’étais indifférent se sont mis à ne pas m’aimer  » *5 d’un classicisme navrant, qui fait un peu penser à la scène dans Les Valseuses, quand lui et Depardieu sont tenus en joue par le coiffeur, sous les regards haineux des biens pensants. Gérard lâche : « Pas de doute possible, on est bien en France« .

A Corneau, après avoir lu le scénario de Série noire (1979), à 04H00 du mat : « Si jamais tu proposes ce scénario à un autre acteur, je te pète la gueuleillico » *6. Profondément habité, Dewaere était dans une véritable obsession de ce rôle. Quelques jours avant sa mort, il dira en interview que c’est dans ce film qu’il a connu « le plus de plaisir à jouer  ».  Impressionné par Verneuil : « Il a 4 ans d’âge mental. Après avoir réalisé 30 films, on peut pas dire qu’il soit désabusé  » … Tout en soulignant le professionnalisme méticuleux du cinéaste. *7 Dewaere de Sautet : « C’est un filmeur entre les lignes ». Sautet de Dewaere : « Il représente avec Romy Schneider ma plus grande rencontre cinématographique  ». Résultat, dans Un mauvais fils (1980), Dewaere va livrer une prestation d’une sensibilité qu’on ne lui connaissait pas encore. Quand il retrouve son père, joué par Yves Robert, la façon dont il se tait, ce qui passe dans son regard humide, scintillant, expriment autant les regrets que toute une série d’émotions fortes et pleinement incarnées. Cette élégance du cœur est renversante chez Dewaere. Il est à vif, tout en nerfs, tout en cœur, il est sublime à regarder jouer.

Son dernier film sera Paradis pour tous (1982), où son personnage, soigné par le médecin Jacques Dutronc, grâce à une machine révolutionnaire va apprendre à voir la vie du bon côté… «  Mon secret, je regarde ce que j’ai, et pas ce que je n’ai pas  ». Cette fois ci malheureusement, Dewaere ne va pas s’inspirer d’un rôle de cinéma dans sa vie plus intime.

Les bouts d’essais d’Edith et Marcel, de Claude Lelouch dernier film qu’il ne fera pas donc…. montrent un Patrick Dewaere, quelques heures avant sa mort, qui joue le jeu, fait l’acteur, et dans ce moment précis, comme malheureusement souvent en pareille circonstance ne laisse rien percevoir. La souffrance était là, tapie dans son cœur, ses entrailles, le mal rongeait de l’intérieur… images forcement bouleversantes. L’ami Marc Esposito évoque à propos de lui « L’alter-égo cinématographique de Bertrand Blier  ».  *8 Quelques jours après sa mort, dans un hommage remarquable et bouleversant, Esposito commence ainsi son papier :

 » «  Le pauvre mec, il est mort à 35 ans… 35 ans !!! Tu te rends compte de la perte ? Quelle époque de cons !!  »

Quelle émotion, le type qui prononce ces mots sur mon écran de TV, c’est Patrick Dewaere. Dans Préparez vos mouchoirs (1977) de Bertrand Blier. Le pauvre mec en question, c’était Mozart.  »

Alors faut-il une réponse à tout, si comprendre permet toujours un peu d’apaiser, Patrick est de toute façon parti trop tôt, trop vite, il lui restait tant à donner, à aimer… Il l’aura voulu autrement. Un sevrage de l’héroïne, qui venait compenser et effacer chimériquement et pour de faux des blessures assassines de l’enfance, une immensité de douleur face à une déchirure sentimentale avec Elsa, la femme de sa vie, une suspicion de tromperie entre elle et son meilleur pote Coluche, et il n’en faudra pas d’avantage…

Depardieu, le frère, en 1988 lui écrivit « Ce n’est pas tellement que tu n’avais plus envie de vivre, mais tu souffrais trop, de vivre. Chaque jour, tu ressassais les mêmes merdes, les mêmes horreurs dans ton crâne. À la fin, forcément, tu deviens fou  ».

« Je ne serai jamais vieux  » avait pu dire Dewaere en interview lors du Festival de Cannes en 1979… *9 Dans le sens ne pas avoir envie d’avoir la peur du lendemain… Il avait estimé que le meilleur était sans doute derrière, on aurait donné tout ce qu’on avait pour le convaincre du contraire. Une chose est sure, Il est sur nos écrans tout le temps, gravé dans nos cœurs à jamais et dans nos vies pour l’éternité.

*1 Entretien avec Christian Defaye Radio télévision Suisse (RTS), Émission Spécial cinéma Novembre 1981.

*2 Première, 12 Avril 2019

*3 Interview du 13 Juillet 1982 à Michel Jasmin, journaliste canadien.

*4 Entretien avec Christian Defaye Radio télévision Suisse (RTS), Emission Spécial cinéma Novembre 1981.

*5 Première, Marc Esposito, 09 Février 1982.

*6 Entretien avec Christian Defaye Radio télévision Suisse (RTS), Emission Spécial cinéma Novembre 1981.

*7 Entretien avec Christian Defaye Radio télévision Suisse (RTS), Emission Spécial cinéma Novembre 1981.

*8 Première, Marc Esposito, 07 Aout 1982

*9 Ciné regard, 27 Mai 1979

 

 

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s