SYNOPSIS: C’est l’été dans un petit village du sud-est espagnol. Une tempête menace de faire déborder à nouveau la rivière qui le traverse. Une ancienne croyance populaire assure que certaines femmes sont prédestinées à disparaître à chaque nouvelle inondation, car elles ont « l’eau en elles ». Une bande de jeunes essaie de survivre à la lassitude de l’été, ils fument, dansent, se désirent. Dans cette atmosphère électrique, Ana et José vivent une histoire d’amour, jusqu’à ce que la tempête éclate…
Premier long métrage d’Elena Lopez Riera, au-delà de la mythologie de la malédiction de l’inondation, c’est aussi un film éminemment féministe, sur les blocages sociétaux face aux velléités d’émancipation féminine. La réalisatrice évoque aussi comme problématique majeure et même comme obsession le fait que les femmes, en fonction des générations, véhiculent elle mêmes des clichés d’assignation à d’autres femmes, elles, plus jeunes. Luna Pamies, qui joue le rôle-titre d’Ana est issue d’un casting sauvage, au sens propre du terme, car la jeune femme a plutôt fui, à au moins deux reprises les rendez-vous programmés, jusqu’à ce que la véritable rencontre puisse se faire. Il existe autour de ce film une forme de magnétisme, d’envoutement… Alors, même si ce n’est pas l’univers de Dark water» (2002), c’est bien de l’eau comme élément horrifique dont il s’agit. En revanche, on est davantage dans le monde du film quasi documentaire, puisqu’à plusieurs reprises, des femmes témoignent face caméra de cette malédiction, avec en sus des images d’archives de grandes crues qui ont ravagé régulièrement la région de Valence, terre de l’enfance d’Elena Lopez Riera, à Orihuela exactement. Cette alternance ne nuit aucunement au récit et apporte même des moments didactiques pertinemment mis en scène.
C’est aussi un film environnementaliste, agricole et bien sûr féministe, qui rappelle immanquablement Sous les figues (2022), dans ce lien de l’homme et en l’occurrence surtout de la femme à la nature, aux éléments, à ce qui nous dépasse, à ce qu’on ne maîtrise pas. La frustration humaine qui nous rappelle notre statut de locataire irrespectueux. A un moment, le proprio se venge légitimement. La scène du lâcher de pigeons, coutume traditionnelle est d’une pure beauté. Le jeu des couleurs, qui ont été peintes sur les volatiles, dans leur course poursuite, est une invitation à l’onirisme, et métaphorise la fuite, l’envol, tant elle est remarquablement mise en scène. C’est un échappatoire du danger qui guette. L’eau est partout, y compris même pour se défendre de l’eau, le temps de faire le plâtre pour tenter de se murer le plus possible. C’est toute l’impuissance de l’homme qui est ici servie sur un plateau.
Et en filigrane du drame annoncé, il existe dette histoire d’amour total entre Ana et José. Histoire que tout le tout le monde condamne, au regard de la fatalité du drame plus ou moins fantasmé qui est censé s’abattre sur la jeune fille. Mais les deux jeunes gens vont vouloir conjurer le sort. Ils vont s’aimer avec force et dans une touchante et prenante énergie du désespoir, comme une urgence à rester ensemble. Le portrait psychoaffectif d’Ana est remarquablement détaillé, vivant avec deux générations de femmes, pas d’homme à la maison, ou de passage, entre une mère / copine et une grand-mère qui transmet, enseigne et témoigne. On n’est pas dans La boum (1980), avec Vic et Poupette, mais quand même.
Luna Pamies, qui joue Ana, à l’image de ses velléités de fuite pour ne pas être dans le film est tyrannique, diabolique, dans sa furie d’aimer. Même en contre champ, ou en arrière-plan, elle écrase et prend tout l’espace. Elle incarne parfaitement, elle porte à elle seule, ce que vient finalement nous dire le film entre un attachement, un ancrage à une terre et ses traditions et des envies d’un ailleurs meilleur et plus prometteur. Luna Pamies elle aussi est prometteuse. Une rage, mais aussi un bonheur d’actrice. La scène de fin est tout simplement sublime. Entre tradition, mysticisme El Agua, film métaphorique et très esthétique, à la mise en scène épurée, est bel et bien cette promesse d’envoutement, et finalement déborde… de pépites… à voir, à vivre.
Réalisé par: Elena Lopez Riera
Casting: Luna Pamies, Bárbara Lennie, Nieve de Medina…
Genre: Drame, Romance
Sortie le: 29 mars 2023
Distribué par: Les Films du Losange
EXCELLENT