FRATÈ (Critique)

Par William François le juin 14, 2022 • ( Poster un commentaire )

SYNOPSIS: À la suite de l’enterrement de son père, dans son village en plein milieu du maquis corse, Dumè découvre l’existence d’un frère, Lucien, avec qui il devra partager l’héritage laissé par le patriarche. À condition d’arriver à cohabiter un mois dans la maison familiale… Sous fond de légitimité culturelle et d’héritage immobilier un rapport de force va s’installer entre Lucien, le fils de sang, et Dumè, le fils adoptif…

Fratè est autant un film local qu’une production de famille. Karole Rocher signe la co-réalisation du long-métrage en collaboration avec sa fille Barbara Biancardini et boucle le scénario avec son frère Patrick Rocher et son compagnon Thomas Ngijol, lequel incarne également l’un des deux personnages principaux. Et pour ce petit périple régional en forme de retour aux origines dans les rues du village corse de Vezzanni, les deux metteuses en scène proposent une comédie lissée et peu expressive qui manque gentiment le coche malgré son envie perpétuelle de déclarer sa flamme aux lieux qu’elle filme. On y suit la vie de Dumè, qui tombe de haut quand il découvre, à la mort de son père, l’existence d’un frère, Lucien, qui récupère une partie non négligeable de l’héritage familial. Le testament lu par le notaire dévoile les dernières volontés du père : chaque frère récupèrera un étage de la maison de famille et sera contraint d’y vivre pendant 30 jours pour y établir ensemble des liens fraternels. Mais être frère ne s’improvise pas, et des tensions naîtront vite au cœur de ce petit village corse. Si le concept du film propose une direction dont l’on connaît déjà la saveur, Fratè dévoile dès ses premières images la volonté de mettre du cœur à l’ouvrage, en démarrant l’histoire par une scène de Dumè aux funérailles de son père dont la peine sera désamorcée par la maladresse de certains convives. De l’humour se glisse dans un ton sérieux, les personnages sont filmés avec attention et proximité, et les quelques répliques-gags qui balisent ces quelques instants fonctionnent relativement bien.

Mais c’est sur la durée et lorsqu’il s’attaque à son concept que Fratè se fragilise et finit par laisser quasiment insensible. Le personnage de Dumè voue une haine à Lucien dont la violence n’a que peu d’explication – la simple jalousie ne justifiant pas les stratagèmes particulièrement inventifs mis en place par le frère natif de Corse. Les avalanches de mauvais coups et de couteaux dans le dos se multiplient comme dans une cour de récréation à ciel ouvert, mais ne prennent jamais le spectateur dans son jeu. Son double ton (entre drame de reconstruction familiale et comédie de situation) est constamment déséquilibré par une difficulté constante à illustrer les états de pensée et les volontés de chaque personnage.

Malgré leurs implications et leurs présences, Thomas Ngijol et Samir Guesmi semblent ne jamais trop savoir où se placer au cœur du scénario, la relation entre les deux frères gigotant entre chaque scène au besoin du script. Si certaines installations de l’intrigue finissent tout de même par donner quelques séquences et quelques blagues réussies, le film pâtit d’un déséquilibre global tant on a l’impression qu’il ne sait jamais sur quel pied danser, ni ce qu’il veut raconter. Les décors, aussi jolis soit-ils, servent alors simplement de toile de fond qui manque de portée à l’image et s’efface progressivement au profit des instants purement comiques que Fratè tente de mettre en place.

En bref, Fratè est une comédie familiale plus touchante par ce qu’elle essaye d’être que par ce qu’elle parvient à faire. Quelques réussites viennent surélever l’ensemble lors de certaines trouvailles de montages ou d’échanges de dialogues (les personnages secondaires des habitants sont à ce niveau assez bien amenés, et assurément bien castés), pour nourrir autant que possible une histoire qui fixe tellement du regard son concept de frères amis-ennemis qu’elle en oublie presque le cœur de ses personnages et s’emmêle parfois dans sa propre morale. Fratè est au final un film pas assez corsé qui manque d’ambitions dans le traitement de son concept et au cœur de son ton global, donnant alors l’amère et embêtante impression d’assister comme Lucien à la fête d’un village à laquelle on n’est pas vraiment invités.