SYNOPSIS: Joseph est réveillé à l’aube par des policiers présents dans son appartement. Ni une ni deux, il est embarqué et traîné devant un tribunal sans savoir ce qui lui arrive. Ce fonctionnaire pris dans les rouages d’une société tentaculaire et absurde va tout faire pour s’en sortir…
Orson Welles a dit que Le procès était son meilleur film. L’on pourrait finalement s’en tenir là !! Tant il est ici question d’un génie absolu, d’un avant-gardiste insatiable. A 5 ans, il savait réciter par cœur Le Roi Lear (1608) d’un certain W. Shakespeare. Son chef d’œuvre Le procès est tiré du roman du même nom d’un autre génie, le Tchèque Franz Kafka, qu’il a écrit en 1914 et publié en 1925. Le premier long métrage de Welles tourné à 26 ans, Citizen Kane (1941) est considéré quasi unanimement par le petit monde de la cinéphilie comme probablement … « Le meilleur film du monde », ou du moins le plus important… Sur notamment une forme révolutionnaire aussi bien techniquement que dans l’art de mener une narration. La caméra subjective, la profondeur des plans, l’innovation filmique feront du réalisateur géant physiquement et artistiquement, une icône inspirante pour des générations d’auteurs. Citizen Kane au regard de son propos, marquera également une forme de début de la fin dans les relations de Welles aux producteurs Hollywoodiens. Après quelques allers retours, il s’installe en Europe, pour aussi bien fuir le fisc, que retrouver une forme de liberté dans sa façon de filmer. Le propos liminaire de Le procès sur l’écrasement bureaucratique donne le ton et affirme une vision du monde d’Orson Welles, confirmant son statut de visionnaire. L’adagio déchirant d’Albinoni, qui va guider presque macabrement tout le film, et l’introduction sur le sens de la loi dans la folie totalitaire d’un système glaçant, installent une sacrée drôle d’ambiance. Les premiers plans sont déstabilisants, la façon dont les policiers et les collègues de Joseph entourent ce dernier, les jeux d’ombre et de clair-obscur, d’autant plus en noir et blanc. La maniaquerie dépressive de l’inspecteur qui note frénétiquement sur son carnet chaque détail anodin comme s’ils étaient des preuves du pire des crimes. « Vous aggravez votre cas Monsieur K« . En insistant sur le « Monsieur K« , d’un mode accusateur, énigmatique, haut en couleurs et qui donne le ton, de la folie d’un système.
La dramaturgie autour du héros est amplifiée par cette technique filmique de Welles qui avec une telle mise en scène, images, sons, musique, plans, tout au long de son film, assigne le spectateur au statut de grand témoin, presque de voyeur, dans une ambiance terriblement malsaine. Impressionnant pour celui qui disait « ne pas aimer le cinéma sauf quand c’est moi qui tourne« . Variation sur le thème de la justice réparatrice des hommes, avec à mesure que l’on grandit, le père, l’instituteur, le juge. « Nous sommes tous impurs, même les sains connaissent la tentation » dit Joseph, se persuadant pour autant, que même s’il est arrêté au petit matin, il n’a rien fait. Le terrible sentiment de suspicion plane autour de lui. A mesure de cette montée en tension, l’on frissonne, même si l’absurdité et le caractère invraisemblable des situations auxquels se confronte « Monsieur K », fait davantage penser à une sorte de cauchemar éveillé. Notamment dans cette forme d’impassibilité fixe des accusateurs de Joseph, qui semblent presque incarner ce quelque chose d’implacable, mais aussi d’irrémédiable dans ce qui va écrire le destin du jeune homme. « On choisit n’importe qui, on l’accuse de n’importe quoi, et on le juge n’importe comment » crie Joseph. C’est alors l’apparition lunaire d’Orson Welles, censé réparer, qui vient également interroger le rôle des « avocats tout puissants« , là dans le niveau de dépendance du client, ici dans leur niveau d’incompétence en fonction de leur puissance notamment financière.
C’est aussi un film sur entre autres la dénonciation de la dénonciation… Dans une succession de scènes sciemment décousues, parfois chimériques, Le réalisateur montre ici une caricature crasse de la justice. Dans un symbolisme parfois complexe et par des métaphores qui foisonnent, sur la faiblesse, le décorum archaïque des juges, les délais, le dédale labyrinthique du système judiciaire, avec un jeu à la caméra de plongées et de contre plongées dans des couloirs sans fin du tribunal, et cette sempiternelle question, de qui juge les juges. Décisionnaires de pans entiers de destins, innocence ou culpabilité, avec grâce cinéphile, Orson Welles nous dit bien que la justice des hommes est finalement rendue par… des hommes… Vu qu’il y a victime, il faut bien que coupable existe. C’est ici toute la folie ordinaire d’une cité judiciaire qui se déploie. La réalisation est folle, les messages délivrés péremptoires et irascibles. La machine se met en mode lessiveuse interminable et ne laisse que peu d’issue à Joseph. Hommage à l’œuvre initiale de Kafka, chaque scène est un livre, tant il est ici davantage question de littérature plus que de dialogues. A ce jeu-là, Anthony Perkins, déjà au sommet dans Psychose (1960) d’Hitchcock, brille par l’étalage de l’évolution de ses émotions, et laisse une indélébile trace dans son interprétation de l’innocence persécutée. Seul être mouvant dans des foules, parfois de déportés, ou d’accusés en attente comme au purgatoire, parfois au cœur de la fameuse et horrifique vindicte populaire, il hurle sa vérité.
Romy Schneider « passe par là », dans son magnétisme troublant et avec ce brin de désespoir qui la rend unique et l’érige au statut de déesse éternelle. Dans le saisissant portrait de deux heures de Welles sur cette justice, qui par définition ne peut assumer le nom qu’elle porte, là où les avocats sont des rois et les juges des dieux, le citoyen anonyme, devenu client, est quant à lui un mortel terriblement ordinaire. Le combat est arbitraire, déséquilibré, et donc à l’antithèse de ce qu’il devrait être. La solitude de Joseph est terrifiante, et vient questionner finalement notre rapport à l’existence. Orson Welles ne disait-il pas « On naît seul, on vit seul, on meurt seul. C’est seulement à travers l’amour et l’amitié que l’on peut créer l’illusion momentanée que nous ne sommes pas seuls.« . Le procès, idéal pour le Cannes Classics 20022 tant il s’approche du chef-d’œuvre total, par notamment l’universalité intemporelle de son propos, dénonciateur de la condition humaine dans une médiocrité érigée cependant en modèle. Sa puissance romanesque et la créativité hallucinante dans la réalisation d’Orson Welles en font un film autant révolutionnaire que toujours indispensable aujourd’hui, demain et pour l’éternité.
Réalisé par: Orson Welles
Casting: Anthony Perkins, Jeanne Moreau, Romy Schneider …
Genre: Comédie dramatique, Drame, Comédie
Sortie le: 21 décembre 1962
Distribué par : StudioCanal
TOP NIVEAU
Catégories :Critiques Cinéma, Festival de Cannes 2022, Les années 60