SYNOPSIS: À la PJ chaque enquêteur tombe un jour ou l’autre sur un crime qu’il n’arrive pas à résoudre et qui le hante. Pour Yohan c’est le meurtre de Clara. Les interrogatoires se succèdent, les suspects ne manquent pas, et les doutes de Yohan ne cessent de grandir. Une seule chose est certaine, le crime a eu lieu la nuit du 12.
« Chaque année, la Police Judiciaire ouvre 800 enquêtes pour homicide. Certaines ne sont jamais résolues. Le film relate l’une d’entre elles » est le préambule posé à l’écrit dans La Nuit du 12. On sait donc qu’on ne saura pas… Le scénario, écrit avec Gilles Marchand s’inspire du roman de Pauline Guéna 18.3. Une année à la PJ (2019). Dans Harry, un ami qui vous veut du bien (2000) et Seules les bêtes (2019) du même réalisateur, Dominik Moll, ce dernier a pris l’habitude d’installer une atmosphère assez anxiogène, à laquelle il va apporter sans doute plus de luminosité dans La Nuit du 12. Ce film est un véritable coup de poing qui s’inscrit dans le genre du cinéma véritable et vérité. Et pas n’importe lequel, car il est ici question d’évoquer une certaine vision du service public avec ses héros du quotidien, payés une misère, multipliant les heures, et se nourrissant à une forme de haut sens du devoir. L’on pense bien sûr à Polisse (2011), Pupille(2018), The Responder(2022) et Bac nord (2020), n’en déplaise à… ceux à qui ça ne plaira pas… Il est ici question de Yohan, Marceau, Nadia, Fred et les autres, les héros anonymes du quotidien, au contact du pire. La nuit du 12, c’est Polisse, avec Bouli Lanners en plus !!! Et un sens du thriller qui vient se surajouter à la complexité. « C’est le combat du bien contre la mal, avec une photocopieuse qui marche pas ». Tout est ici résumé dans ce que Marceau dit à Yohan pour des glorieux gladiateurs, sans budget mais avec tout le reste. Une passion, un engagement sacrificiel et une énergie du désespoir à réinventer chaque jour. C’est l’idéal qui se confronte au réel dans cette réinvention quotidienne des utopies contrariées. La question du manque de budget est omniprésente, et aussi hallucinante. Le service public est ainsi entravé dans des missions pourtant si souvent cruciales, et qui ne tiennent qu’à la force de poignet d’une poignée… Leur désespoir est contenu, évacué dans le dépassement de soi. Ou il est dérivé sur un besoin d’autre chose, comme Yohan, qui pratique le vélo, mais sur piste, où il reproduit les boucles sur lui-même, dans cette métaphore de l’enfermement, de l’éternel recommencement, qui pousse au burn out au mieux, à l’HP au pire…
Leur boulot est passionnant d’un point de vu anthropologique, sur ce que l’autre doit donner de son intime, pour leur permettre de faire avancer une enquête, quête ultime… Mais leur boulot est aussi dévorant et ils sont autant déterminés que rongés de l’intérieur. Cette rage ancrée est filmée au plus près par la caméra de Dominik Moll avec subtilité, sans manichéisme et avec souvent beaucoup d’humour, de décalage dans des dialogues soit absurdes, soit thématisés comme le choc des générations ou dans un usage d’une grande maîtrise de la caméra. Comme ses pairs susnommés, La nuit du 12 déploie l’importance du collectif. Il évite de ne pas sombrer soi-même dans la folie et multiplie les croisements de regard, pour s’approcher de la vérité. La nuit du 12 ou la quintessence du suicide à petit feux du service anciennement nommé public…à travers un fait divers, particulièrement glauque dans sa réalisation, qui sera l’enquête de trop pour au moins un d’entre eux, celle qui vous hante, qui reste à l’intérieur, qui est une compagne nocturne répugnante et horrifique. C’est encore Pauline Guéna qui l’écrit le mieux : « Il est des crimes qui vous habitent ; des crimes qui font plus mal que les autres. Vous êtes cueilli par surprise, au moment où vous vous y attendiez le moins, par un détail qui vous laissera le cœur en pièces. Ils se figent en vous comme une écharde dans la chair et tout autour la plaie ne cesse plus de s’infecter. Un jour, les tissus se reconstruisent enfin – ce mort-là fait désormais partie de vous«
Ils sont parfois un peu bourrins, mais le flic Marceau cite du Verlaine. Ce qu’ils font est complexe et ils s’interrogent sur leur mission. « On fouille dans la vie des gens, dans leurs placards« . « Elle s’est fait tuer juste parce que c’était une fille. Elle aimait plaire et tombait toujours amoureuse des mauvais types » ou encore le moment où Yohan confie à la juge que si on ne sait pas qui a tué Pauline, c’est un peu tous les salauds sur lesquels elle est tombée qui l’ont fait. Le drame du féminicide est dans La nuit du 12 déplié avec ce qu’il faut d’une grande intelligence. Dans ce collectif d’acteurs fortement engagés, et où l’on perçoit une direction qui s’est plié en 4 pour pousser l’authenticité, on a envie de crier « Bouli on t’aime !! ». Cette véritable « gueule » si attachante, est si maline, si juste, si touchante de vérité dans chaque parole, chaque geste. Il fait partie de la race des rares, des grands, qui ne jouent pas, mais qui sont…
Face à lui, Bastien Bouillon fait mieux que se défendre, tels les deux, comme Fred et Balloo dans Polisse font vivre l’assertion « Il n’y a pas de bons acteurs, mais que des bons partenaires ». Avec Bouli Lanners, ils se tirent vers le haut, et l’interprétation de Bastien Bouillon est touchante de ténacité et empreinte d’une force impressionnante. La nuit du 12 est complètement maîtrisé, et se pose comme un régal à tiroirs, avec en héroïne une chorale que l’on ne se lasse pas de contempler. Pépite à voir.
Titre original: LA NUIT DU 12
Réalisé par: Dominik Moll
Casting: Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Johann Dionnet …
Genre: Thriller, Policier
Sortie le: 13 juillet 2022
Distribué par : Haut et Court
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Catégories :Critiques Cinéma, Festival de Cannes 2022, Les années 2020
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