SYNOPSIS: Depuis six ans, Jean et Catherine sont amants. Lui n’a jamaisvoulu divorcer et vit toujours chez sa femme. Elle vit chez ses parents. Ils se voient tous les jours dans des hôtels, des voitures, pendant les vacances, les week-ends. Ils s’aiment, se disputent, se battent puis se réconcilient. Un jour, Catherine décide de rompre…
Il est surprenant à l’évocation de Maurice Pialat, de constater qu’il n’a réalisé « seulement » que 10 longs métrages, tant au-delà des polémiques, son influence paraît majeure. Son fameux coup de sang « Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus » adressé au public cannois lors de la remise en 1987 de la palme d’Or pour Sous le soleil de Satan, reçue sous quelques sifflets, mais aussi quand même beaucoup d’applaudissements, restera anthologique. Le point levé, et sous le regard goguenard de Yves Montand et les bisous de Catherine Deneuve… Toute une époque. 15 ans avant donc, sortait Nous ne vieillirons pas ensemble, son deuxième long métrage. Colérique, un brin manipulateur, il se fâche avec à peu près tout le monde, lui-même, ses acteurs comme ses techniciens. Il déploie comme une rage à filmer la vérité, son éternelle obsession. Comme pour L’enfance nue(1968), (son premier long), Nous ne vieillirons pas ensemble revêt un évident caractère autobiographique. Dans les rôles des amoureux contrariés, Catherine et Jean, Marlène Jobert et Jean Yanne sont beaux, sont bons, ensemble comme séparément. Est filmée au plus près l’authenticité si chère au réalisateur avec la violence inouïe de ce que Jean dit à Catherine : « T’es ordinaire, toute ta vie, tu resteras une fille de concierge. Ton seul orgueil, c’est ta médiocrité ». Ce qui n’est qu’un exemple d’une liste à la Prévert d’insultes, de brimades, d’humiliations. Face à ce déchaînement, elle, amoureuse, faible, soumise aux vacheries dégoulinantes des codes d’une pseudo virilité crasse, d’une misogynie ordinaire du début des années 1970, ne dira pas un mot, pas plus que lui ne s’excusera. Elle lui porte le regard de l’amoureuse, lui celui d’un faux mépris. Aux yeux de Chimène, il oppose un regard fuyant. Triste façon d’aimer en réalité.
Le film est un ballet amoureux, ponctuée de disputes permanentes, suivies de ruptures incessantes, jusqu’à épuisement, y compris du spectateur. Ce qui ne demeure pas moins qu’une velléité de Pialat, qui par une brillante mise en scène nous plonge avec eux dans l’abime, dans le chaos amoureux. Cette construction dans le tumulte pour toujours cette quête névrotique de l’authenticité. La résonance est toute personnelle pour Pialat, qui se sert de la caméra comme d’une psychanalyse. Il règle ses comptes avec lui-même, tant il n’a échappé à personne que Jean, dans le film, cinéaste raté, c’est lui. Il se voit nul, méchant et vraiment très con. Dans une brutalité bestiale, libidineuse et vitreuse. Ce qui en dit long sur la souffrance du bonhomme, et la façon dont il l’imposait aux autres, toujours dans le conflit fou et fort. Parallèlement, ce personnage de Jean assez fascinant est comme un enfant, dans son immaturité extrême, ses caprices constants, son intolérance pathologique à la frustration. Le réalisateur filme ici la frontière si fine entre amour et haine, c’est brut et brutal, c’est Pialat…. Toujours sur ce mode infantile, Jean face à l’imminence de la perte va se transformer légèrement, oscillant vers une tendresse presque feinte, et en tout cas toujours dans l’exagération. Avec une mise en images qui s’incarne véritablement dans ce duo. Comme dans la scène de la voiture avec la rose et la lettre, et l’impressionnante utilisation de la caméra par Pialat, qui passe de l’un à l’autre, mettant sublimement en scène ce duel amoureux, cette tyrannie extrême des tourments sentimentaux.
Sur le tournage, l’orage tonnait fort entre Pialat et Jean Yanne… Peut-être que ce typhon permanent avec Pialat sur le plateau aura donné à l’acteur la colère nécessaire pour la force de l’incarnation permettant le prix de l’interprétation à Cannes en 1972. Prix qu’il refusera d’aller chercher. L’acteur qui était réellement en train de perdre sa femme d’un cancer, ne supportait plus les outrances qu’il estimait dérisoires de son réalisateur. A propos de ce prix, obtenu dans un chaos personnel et artistique, Jean Yanne dira « J’ai tenu un rôle exécrable dans un film odieux. On m’a donné un prix d’interprétation alors que je n’ai pas fait beaucoup d’effort ». Au festival de Cannes, cette année-là, il préfèrera assurer la promotion de son premier film derrière la caméra Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil (1972 donc).
Quelles que soient les raisons de l’auto-minimisation de Jean Yanne, son interprétation était celle que son réalisateur avait voulu de lui, empreinte d’une vérité brute. Marlène Jobert de son côté est bouleversante comme agaçante dans son amour et sa passivité face à la cruauté sans fin de son compagnon. Elle est touchante elle aussi de sincérité. Nous ne vieillirons pas ensemble au-delà d’un exercice psychanalytique de haut vol pour son auteur, est une remarquable variation sur le fil du désordre amoureux, avec ce que celui-ci fait de nous, en termes de vulnérabilité. Ce film sera finalement à l’image de son réalisateur, écorché vif, et dans la souffrance, c’est très beau.
Titre Original: NOUS NE VIEILLIRONS PAS ENSEMBLE
Réalisé par: Maurice Pialat
Casting: Jean Yanne, Marlène Jobert, Christine Fabrega …
Genre: Drame
Sortie le: 03 mai 1972
Reprise le : 07 juillet 2021
Distribué par: Capricci Films
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma