SYNOPSIS: 1er septembre 1905. Un séminariste de 17 ans est arrêté pour le meurtre d’un enfant de 12 ans. Pour comprendre son geste, des médecins lui demandent de relater sa vie depuis son enfance jusqu’au jour du crime. D’après l’histoire vraie de Bruno Reidal, jeune paysan du Cantal qui, toute sa vie, lutta contre ses pulsions meurtrières.
Le rapport médico-légal dirigé par le Professeur Alexandre Lacassagne a désigné le crime comme « un cas de sadisme sanguinaire congénital ». Cette affaire, Vincent Le Port, le réalisateur l’a découverte à la lecture de Serial Killers (1993), avec en sous-titre Enquête mondiale sur les tueurs en série. Sauf que Bruno Reidal n’a tué qu’une seule fois, et qu’il se retrouvait un peu comme perdu dans une galerie de portraits d’assassins assez médiatiques, lui le paysan du Cantal. C’est entre autres ce qui d’emblée a généré une appétence chez le réalisateur et une envie de la mettre en images. Vincent Le Port, dont Bruno Reidal est le premier long métrage s’était jusqu’alors nourri dans le monde du documentaire, ou par le biais de films un peu expérimentaux. Il en fabriquera notamment un court métrage atypique Le gouffre (2019, directement sur Amazon Prime) de 52 minutes… donc assez long pour le genre… Vincent Le Port cite Paranoid Park (2007) comme référence et influence possible ce qui n’est guère étonnant au regard de la forme de dépouillement que l’on retrouve dans le cinéma de Gus Van Sant. Pour Bruno Reidal, le travail du réalisateur sur les archives de l’époque a été particulièrement intense, notamment sur les photos, pour aller chercher le souci du détail qui peut faire la différence à l’image : les postures, les visages, les coupes de cheveux. Sur écran, ce travail d’orfèvrerie est flagrant, tant le réalisme est partout et l’ambiance, qu’il s’agisse de la narration, des plans, de la musique est rapidement morbide et presque comme étouffante. Le film est une claque, une merveille horrifique d’intensité, et une plongée ahurissante dans la psychologie meurtrière.
Nous sommes saisis dès les premiers plans, avec précisément des plans fixes déroutant sur Bruno Reidal, dans une forme de volonté d’incarnation de la folie, qui vont au fil de l’eau donner ce rythme lunaire au film. Celui-ci commence d’ailleurs par le crime, pour d’emblée lever l’hypothèque et que nous puissions nous installer dans la tête de Bruno Reidal, au travers du récit de son propre meurtre. Ce parti pris scénaristique sur la psychologie du tueur et l’ambiance du Cantal du début du 20 ème siècle nous situe quelque part entre la chanson Ces gens-là (1965) de Jacques Brel dans ce tableau au vitriol d’une famille à la terrible médiocrité, et la série culte Dexter (2006), du moins dans ses 4 premières saisons (vu qu’après la série s’autodétruit !!) Bruno Reidal est un incroyable témoignage sur les traumas de l’enfance et les carences affectives extrêmes. Sans détailler les natures de ceux-ci, qui sont à découvrir, Bruno va en extraire une sorte de détestation / fascination pour le beau, pour tout ce qui n’est pas lui, en quelque sorte. Dans un parcours sans affect, sans accès à l’innocence et l’insouciance desquelles aucun enfant ne devrait être privée, va se construire en être complexé, comme en opposition, solitaire, tourmenté de l’intérieur, avec une inouïe violence du sentiment d’infériorité. Physiquement chétif, la tête sur le côté, doué à l’école et devenant une forme d’atypique, le tout dans une indifférence générale, c’est bien le grand drame de son existence qui va se jouer ici. Il va alors se dérouler sous nos yeux toute la tragédie de l’histoire de Bruno, dans une effroyable confusion entre la pulsion sexuelle et celle de mort. Dans un triptyque symbolique presque horrifique entre Sexe, Mort et Religion, Bruno va décharger ses carences et son trauma sur ce besoin irrépressible, et cette croyance mystique qu’il va prendre du plaisir dans la souffrance de l’autre.
C’est ici que le film est renversant, car nous sommes dans la tête de Bruno, et nous allons avec lui vivre pleinement cette dissociation, qui va au bas mot jouer sur nos nerfs. En effet, le geste abominable de Bruno, sans être excusé est ici expliqué et cet art de la nuance, sans jugement, sans parti pris du réalisateur va donner une intelligence profonde au film. La façon dont son crime va être disséqué par les médecins, n’est pas sans rappeler les tout premiers travaux sur la compréhension des mécanismes meurtriers vu dans la formidable série Mindhunter (2017) qui nous plonge au cœur de « l’unité des sciences comportementales ». L’omniprésence de la nature, dans sa pureté originelle vient contraster avec le drame intérieur qui se trame chez Bruno Reidal. La multiplicité des plans fixes sur Bruno, au regard de tout ce qui transparait sur le visage de l’adolescent est d’un point de vue purement filmique prodigieux sur le plan de la mise en scène. Comme le film est viscéralement lié à son personnage principal, la performance de Dimitri Doré est hors normes, pour un film hors normes. Le jeune acteur explique qu’il a tenu à aller vers son personnage. Clairement, Dimitri Doré dans le film s’oublie complètement et tout ce qu’il fait, dit, ne dit pas est Bruno Reidal. C’est une interprétation spectaculaire, qui porte donc le film.
Un film qui justement, tant il est époustouflant, glaçant, perturbant comme une hypnose visuelle façon Gaspard Noé, peut après coup aller jusqu’à interroger sur le sens même de l’art en général et du cinéma en particulier. Car en fonction de votre sensibilité, une émotion peut vous saisir au plus profond de l’âme, du cœur et des tripes. Avec ce questionnement lancinant de se faire bousculer à ce point, est-il la marque de fabrique d’un chef d’œuvre ? Ou faut-il quand même autre chose. Chacun-e- sera juge. En tous les cas, on en sort potentiellement nous même dissociés, sonnés et semi-conscients. C’est de fait un incroyable film bouleversant de virtuosité qui fait vivre une expérience organique, qui interroge de façon vertigineuse sur la folie de la carence, du trauma, qui explique mais n’excuse pas, c’est du grand art…
Titre Original: BRUNO REIDAL CONFESSION D’UN MEURTRIER
Réalisé par: Vincent Le Port
Casting: Dimitri Doré , Jean-Luc Vincent , Roman Villedieu …
Genre: Drame, Historique
Sortie le: 23 mars 2022
Distribué par: Capricci Films
CHEF-D’ŒUVRE
Catégories :Critiques Cinéma