SYNOPSIS: Michael Kael est le correspondant parisien d’une grande chaîne d’information américaine, la World News Company. Il est envoyé en Afrique pour couvrir un festival de danse. Il ignore qu’il est l’un des pions d’une gigantesque manipulation médiatique mondiale visant à la réélection du président des Etats-Unis. Seulement, il est tellement mauvais qu’il va faire rater toute l’opération.
Les fanatiques du Groland ont sans doute fait l’effort d’oublier le film dont il va être ici question, mais tant pis pour eux, une piqûre de rappel ne leur fera pas de mal. On a beau savoir que les comiques qui passent eux-mêmes au cinéma en cherchant à adapter leur humour si particulier au format Scope ont en général le don de se manger le mur, certains arrivent quand même à ramasser quelques molaires en bon état malgré l’impact du choc. Là-dessus, on n’hésitera pas à dire que Benoît Delépine s’en est bien mieux tiré que Karl Zéro ou Patrick Sébastien. A cette époque-là (le milieu des années 90), le bonhomme s’était fait remarquer en tant qu’auteur pour Les Guignols de l’Info et surtout interprète du journaliste Michael Kael, personnage maladroit et flemmard à souhait qui aura fait les beaux jours de l’émission satirique Groland en se bornant à évoquer la manipulation médiatique au sens large. Un personnage qui, visiblement, était appelé à devenir le héros de son propre long-métrage de cinéma.
Stimulé par l’envie de pousser le sujet plus loin et influencé par les théories de Noam Chomsky sur ces fameuses « illusions nécessaires », Delépine s’est donc lancé en 1997 à l’assaut du grand écran avec le soutien du producteur Charles Gassot, embarquant avec lui ses collègues de Canal+ (Christophe Smith à la réalisation et Christian « Moustic » Borde au casting) ainsi que des pointures du cinoche US (Elliott Gould, Victoria Principal, William Atherton, Mickey Rooney… excusez du peu !), pour un résultat qui tiendra in fine du calvaire sur pellicule. Entre une logistique très éloignée de celle d’un sketch télé, de grosses stars à gérer entre trois continents et un tournage à Madagascar qui aura cumulé les désastres (un typhon par-ci, des maladies contagieuses par-là, sans parler d’un acteur tué par sa propre femme !), la liste des déboires aurait de quoi donner le vertige. Avec un bide maousse à la clé, l’affaire aurait dû être enterrée à jamais. Mais là, on a plutôt envie d’en profaner la sépulture, histoire d’en exhiber les bons aspects. Précisons d’entrée que le film n’a rien d’une comédie pure et laissera les amateurs de gaudriole dans un état de frustration avancé. On relève bien deux ou trois situations où s’échappent deux ou trois dialogues bien sentis, surtout dus à des seconds couteaux particulièrement bien mis en valeur : d’un côté un médecin humanitaire véreux joué par Jacques Bonnaffé qui prend son travail humanitaire très au sérieux (« Ne faites pas de bruit dans l’hôpital, il y a des gens qui meurent ») ; de l’autre une Marine Delterme en garce nymphomane ultra-sexy qui enfile les punchlines provocatrices comme des perles (« Ras-le-bol de ce bled, on a le choix entre bites molles et séropos ! »). Sans oublier ce joyeux concours d’insultes bien vulgos que s’envoient Victoria Principal (oui, la Pamela Ewing de la série Dallas !) et William Atherton (oui, le journaliste fouille-merde des deux premiers Die Hard !) dans la scène d’ouverture. La mise en scène de Christophe Smith, cadrée sur les impératifs de découpage d’un programme télévisé ou des cases d’une bande dessinée, s’avère en outre incapable de servir l’humour par un rythme réellement cinématographique ou de laisser le décalage ubuesque d’une situation couler de source sur toute sa durée. En témoigne par exemple cette fameuse scène de « pêche au lion », vendue comme le moment culte du film, mais qui fait s’écrouler d’entrée sa promesse d’humour noir et qui échoue à susciter l’effet désiré, faute d’une mise en scène pensée et travaillée en amont. Bref, question franche rigolade, le compte n’y est pas, ce qui tend à justifier l’échec du film en salles.
L’intérêt majeur de Michael Kael contre la World News Company tient en réalité dans son propos satirique et sa critique des médias. Le pitch central, qui voit cette endive de Michael Kael contraint de couvrir une histoire de secte japonaise établie en Afrique francophone (!) et déterminée à anéantir le monde entier, n’est pas sans rappeler celui du brillant Des Hommes d’influence de Barry Levinson (sorti en salles presque au même moment !) : un énorme bidonnage planétaire, centré sur une guerre fabriquée de toutes pièces dans le seul but d’anesthésier l’opinion générale et de favoriser la réélection d’un président américain en baisse dans les sondages. C’est là que Delépine marque de sérieux points, fort d’une analyse précise des mécanismes de manipulation médiatique et d’une documentation très approfondie sur le rapport entre médias et politique (y a-t-il encore des gens qui croient que la » World Company » des Guignols de l’Info est une fiction ?!?). Le film cible tout ce qui peut l’être, et, le plus souvent, snipe l’endroit le plus adapté. Du côté des journalistes, c’est le jeu de massacre : chaînes concurrentes perfusées à la course au scoop et aux statistiques, correspondants permanents qui récitent bêtement un texte écrit à l’avance, envoyés spéciaux chez qui le look et le chèque ont plus de valeur que la déontologie, patrons de chaîne aussi jetables que des mouchoirs usagés, etc… Un tableau complété par une peinture très évocatrice de l’antagoniste manipulateur, entre un faux gourou japonais très Ben Laden dans le look (le film a pourtant quatre ans d’avance sur les attentats du 11 septembre 2001) et un corporatisme US à fond dans l’espionnage paranoïaque. Au final, en matière d’analyse décalée de notre monde médiatique qui arrange et réécrit l’Histoire à sa sauce, on trouvera ici matière à nourrir son esprit critique et à alimenter un débat toujours aussi vivace sur la fusion contre-nature entre politique et médias. On sent d’ailleurs que certaines idées du scénario avaient matière à être davantage développées, peut-être même à faire l’objet d’un scénario entier. Le gigantesque bide critique et commercial du film aura en tout cas tué dans l’œuf toute possibilité de suite. Abattu et déprimé par cet échec, Benoît Delépine ira tout de suite après se réfugier chez l’entarteur Noël Godin, lequel aura la décence de lui présenter ses amis belges (Jan Bucquoy, Robert Dehoux, Vincent Tavier, etc…) et de l’amener ainsi à reconsidérer le travail de créateur pour le 7ème Art. La suite, on la connait : une filmographie fabuleuse, d’Aaltra à Effacer l’historique, élaborée en collaboration avec Gustave Kervern, qui aura révélé chez lui un regard fort doublé d’un vrai talent de filmeur et de narrateur. Quant au producteur Charles Gassot, son association humanitaire « Écoles du Monde », qui aura vu le jour après le tournage de Michael Kael contre la World News Company à Madagascar, aura beaucoup fait pour favoriser la création d’écoles chez les populations les plus démunies de l’île malgache. Ce long cauchemar de production en 1998 n’aura donc pas servi à rien…
Titre Original: MICHAEL KAEL CONTRE LA WORLD NEWS COMPANY
Réalisé par: Christophe Smith
Casting : Victoria Principal, Marine Delterme, Benoît Delépine …
Genre: Comédie
Date de sortie: 18 février 1998
Distribué par: –
BIEN
Catégories :Critiques Cinéma