Critiques Cinéma

SAINT MAUD (Critique)

SYNOPSIS: Maud, infirmière à domicile, s’installe chez Amanda, une célèbre danseuse fragilisée par la maladie qui la maintient cloîtrée dans son immense maison. Amanda est d’abord intriguée par cette étrange jeune femme très croyante, qui la distrait. Maud, elle, est fascinée par sa patiente. Mais les apparences sont trompeuses. Maud, tourmentée par un terrible secret et par les messages qu’elle pense recevoir directement de Dieu, se persuade qu’elle doit accomplir une mission : sauver l’âme d’Amanda. 

Si le parcours d’un jeune réalisateur est fait d’expérimentations, parfois de renoncements et d’opportunités à saisir et que, de fait, leurs courts-métrages ne donnent pas toujours des prédictions très fiables des grandes lignes formelles et thématiques qui traverseront leurs premiers films,  on peut dire, sans exagération, que Rose Glass portait en elle depuis de longues années la matière qui allait constituer son premier long métrage, portrait à la première personne d’une jeune femme dont la foi est le seul rempart qu’elle a pu dresser pour maitriser ses pulsions et donner un sens à sa vie. Moths (2010) et Room 55 (2014) traitaient déjà de désir, de solitude et de frustration sexuelle. Dans Moths, un jeu de séduction et de frustration se met en place entre un jeune femme et son voisin qui s’épient à travers le mur de leur appartement.  Dans Room 55, court métrage « Peter Stricklandien » en diable, une femme présentatrice d’une émission culinaire toute droit sortie de l’imaginaire des années 50, séjournant dans un hôtel sur le chemin du retour vers son domicile, va céder à ses fantasmes inavoués après avoir entendu et entraperçu ce qui se passe dans une chambre voisine. Il était aussi question d’isolement et de pulsions dans Storm House (2011) représentation sans dialogues d’un couple vivant isolé dans une maison, se laissant guider par leurs instincts les plus primaires. Dans Saint Maud, Rose Glass reprend ces thématiques et les poussent jusqu’à un point d’incandescence celui du thriller psychologique, teinté de fantastique, naviguant avec une grande virtuosité aussi bien du côte de Paul Schrader, que du Roman Polanski de Répulsion et Rosemary’s Baby ou encore du Ingmar Bergman de Through A Glass Darkly et Persona, mais avec une assurance et une identité très rares pour un premier long métrage.

Saint Maud se révèle par couches successives qui tiennent aussi probablement aux thématiques et personnages que Rose Glass est venue ajouter au cours de son processus d’écriture de ce personnage bien plus complexe et intéressant que ce à quoi il pourrait se limiter si l’on sent tient au point de départ: celui d’une jeune fille solitaire qui entend des voix. Sans expliciter clairement son passé au début du récit, Maud (Morfydd Clark), sous ses allures de nurse dévouée guidée par sa foi et les voix qu’elle entend, apparaît rapidement comme une âme perdue qui cherche la rédemption et un sens à sa vie. Son rapport à dieu tient plus de la dépendance et de la soumission à un sauveur entre les mains duquel elle place sa destinée, que de la spiritualité et de convictions religieuses profondément ancrées. Au delà des révélations du scénario, c’est par la mise en scène et l’interprétation hypnotisante de Morfyyd Clark que l’on comprend que quelque chose s’est cassé en elle. Rose Glass la dépeint avec une grande empathie ce qui lui donne une grande complexité et évite qu’elle ne soit perçue que par le prisme de sa « maladie mentale » qui, si elle est réelle, est la conséquence de son passé et de ses fragilités. C’est un personnage en quête d’auteur qui ne veut plus, ne peut plus gérer lui même sa vie et ses pulsions et qui trouve en dieu celui qui lui donnera la direction à suivre. Rose Glass aborde la foi dans un de ses aspects les moins souvent traités au cinéma et qui le rapproche de Through A Glass Darkly (Bergman). Celui de la dépendance d’un esprit faible et fracturé qui se raccroche là à la dernière lueur d’espoir que la vie peut lui donner. La foi est son refuge et la purification de l’âme de sa patiente sa mission, Rose Glass filmant son arrivée dans la maison d’Amanda (Jennifer Ehle) comme celle  du Père Merrin dans la maison de Regan (L’Exorciste, William Friedkin).

Maud est certes une nurse littéralement habitée par la présence de dieu mais, et c’est là que Saint Maud prend une dimension très intéressante, son personnage est traité dans toute sa complexité,  qui se révèle dans le cadre dans lequel elle évolue, comme dans la mise en scène et la façon dont Rose Glass utilise le fantastique.  Le comportement de Maud avec Amanda (Jennifer Ehle) ne laisse guère de doutes sur l’attraction qu’elle exerce sur elle et le fait qu’elle représente aussi toute une partie d’elle-même qu’elle tente d’enfouir. L’intensité de leur relation dépasse le cadre patient/nurse mais aussi et c’est ce qui la fera lentement basculer, celui de la mission que Maud s’était assignée. Dans la façon dont Rose Glass dépeint le trouble qui gagne Maud, on retrouve ce qui était déjà en germes dans Room 55 avec cette sensibilité pour capter la fêlure dans un regard, accentuée encore ici par l’utilisation du fantastique. La mise en scène est connectée à la psyché de Maud et le fantastique d’apparaitre par petites touches, parfois au détour d’un plan sur des stigmates apparaissant et disparaissant sur son visage, pour s’inviter de plus en plus frontalement dans le récit à mesure que Maud va perdre pied. De ce point de vue, dans sa gestion de l’introduction du fantastique dans le réel, comme une projection de ce qui bouillonne chez son personnage, Saint Maud chasse sur les terres de Rosemary’s Baby et surtout de Répulsion. L’enfermement de Maud est traduit par la mise en scène qui matérialise ce qui la travaille profondément. Le cadre et les décors se referment sur elle. Les angles choisis traduisent alternativement son aliénation et l’idée qu’une menace plane au dessus d’elle, en l’occurrence celle de la rupture inexorable de la digue qui retient ses pulsions les plus violentes et un mal-être destructeur. Elle capte toute la versatilité de Maud, son conflit intérieur, cette présence à la fois éthérée et inquiétante. Plus le récit avance et plus on est rassuré sur le fait que Rose Glass évite l’écueil de trop de jeunes réalisateurs qui aborde le genre pour donner une coloration à leur récit sans vraiment lui en donner le goût. Ses prises de risque dans quelques scènes sont réelles et nous ont emballé même si l’on peut imaginer les réserves qu’elles peuvent susciter.

En situant par ailleurs son action sur l’île irlandaise de Coney Island, Rose Glass a encore accentué l’isolement et le mal être de Maud, son inadaptabilité à une ville qui est devenue anxiogène en ce qu’elle la ramène à ses démons et son passé. Il y a dans ce traitement d’une âme perdue, au bord de la rupture dans un environnement qu’elle ne supporte plus un lien qui nous semble assez évident avec le travail de Paul Schrader, en premier lieu évidemment avec Travis Bickle (Taxi Driver). Il ne fait guère de doute que Maud pourfend les vices de cette ville pour combattre une profonde haine de soi et enfouir ses pulsions. De fait, on comprend rapidement que l’on assiste là à une lente et inexorable chute dont on peut deviner la seule issue possible sans que cela ne vienne pour autant nous sortir du récit en pointant son aspect programmatique. On se serait bien passé par ailleurs de découvrir Saint Maud aussi tardivement, à cause du contexte sanitaire qui bloque toujours sa sortie en salle, après des mois d’attente et les promesses semées par les retours majoritairement dithyrambiques de quelques chanceux festivaliers. Mais le fait qu’il arrive à nous emballer autant et à nous faire lâcher prise en dit encore plus long à notre sens sur la réussite du premier long métrage de Rose Glass.

Titre Original: SAINT MAUD

Réalisé par: Rose Glass

Casting : Morfydd Clark, Jennifer Ehle, Lily Frazer

Genre: Horreur, Fantastique

Sortie le: Prochainement

Distribué par: Diaphana Distribution

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