Critiques Cinéma

EDY (Critique)

 
SYNOPSIS: Edy est l’un des meilleurs dans le domaine de l’assurance ; particulièrement lorsqu’il s’agit d’aider certains de ses clients à mettre la main sur l’assurance-vie de leur conjoint. Mais depuis quelques temps, Edy a perdu l’envie de vivre. Quand il essaie d’en finir, le destin lui joue un drôle de tour. Non seulement il survit, mais il se retrouve avec un cadavre sur les bras. Edy n’a qu’une solution. Mais là encore, le destin se moque de lui… 

François Berléand n’a jamais caché qu’Edy était selon lui le meilleur film de sa carrière. On peut comprendre pourquoi en raison du premier rôle royal qu’on lui offrait ici, voire même en raison de la patte stylistique et « surléchée » d’un premier film aussi travaillé dans ses moindres recoins – peut-être même un peu trop. La critique de l’époque ne fut clairement pas de cet avis, démolissant cet essai sans ménagement, et le public pointa aux abonnés absents, garantissant au film une place de choix parmi les plus gros bides de l’année 2005. Que peut-on dire aujourd’hui de ce premier film de l’acteur Stephan Guérin-Tillié ? A vrai dire, pas mal de choses, en tout cas suffisamment pour sortir le film des oubliettes. Déjà que rares sont les films à procurer une telle sensation d’envoûtement dès leur premier quart d’heure, ici purement musical, dépourvu de dialogues et générateur d’un vrai mystère. Maison isolée dans les bois d’où s’extrait un énigmatique quidam, Berléand l’air déprimé qui écoute du jazz à fond les ballons dans son appartement (avec les voisins qui gueulent à sa porte), voiture lancée à pleine vitesse sur le périphérique, conducteur soudain inversé par un effet de flou (Berléand prend la place du quidam)… Intro brillante, enrichie par une science du plan et du montage qui touche à la perfection. Edy commence sacrément bien. La suite ne sera pas du même niveau, mais il y aura de beaux restes à relever.

Une fois ce pré-générique achevé en beauté, le vif du sujet apparaît à l’écran sous forme d’une relecture de Requiem(s), petit court-métrage de Guérin-Tillié qui voyait un homme tenir en joue un quidam en larmes dans une carrière de sable et lui ordonner de creuser ce qui semblait être sa tombe. Point de fibre leonienne là-dedans, avec le fameux couplet sur la division du monde entre ceux qui tiennent le flingue et ceux qui creusent. Au contraire, l’inversion du rapport de force tenait dans le fait que l’enjeu n’était pas un meurtre mais une tentative de suicide d’un tueur visiblement au bout du rouleau, avec une proie sanglotante à qui ce dernier laissait la possibilité de le supprimer. Bien sûr, ce renversement des règles du jeu foirait en beauté (suicide raté, quidam éliminé), mais le court-métrage n’allait pas plus loin. Dans Edy, l’arrière-plan de ce pitch se dessine vite : Edy (Berléand) est en réalité un banal assureur qui, tout comme une bande de vieux briscards de la profession dirigés par son ami Louis (Philippe Noiret), élimine quelques clients à la demande de leurs conjoints accros aux assurances-vie. On sent le type besogneux mais cynique, consciencieux mais fatigué, d’où le fond qu’il paraît toucher lorsque Guérin-Tillié le filme écoutant du jazz à fond sur sa platine. On pourrait ainsi croire qu’abuser autant de ce genre de plan menacerait le film de cette pose un peu chic que certains jeunes cinéastes plaquent sur des enjeux sérieux (ici la déprime). Mais la gratuité que l’on peut légitimement reprocher au film ne vient pas de ce choix-là, avant tout atmosphérique. C’est au contraire en reliant l’humour grinçant de son personnage dépressif et l’atmosphère envoûtante de son récit que le réalisateur fait preuve de singularité dans son traitement du film noir.



Bien plus que son jeu de dupe scénaristique (sur lequel on ne révèlera rien), la grande force d’Edy tient assurément dans ce qu’une armée de critiques bobo promoteurs du ciné-roman lui a reproché, à savoir sa forme. Guérin-Tillié sait pertinemment qu’une intention de mise en scène peut dire mille fois plus de choses qu’un dialogue, et fait donc le maximum pour habiller son film d’une vraie image plus parlante que tape-à-l’œil, ici magnifiée et embellie par le travail inouï du chef opérateur Christophe Offenstein (déjà à l’œuvre sur les films de Canet et de Nicloux). Contrastes éblouissants, prédominance des regards et des silences, musique électro-jazz sensationnelle du trompettiste norvégien Nils Petter Molvær qui devient langage caché des états d’âme, zones d’ombre à la pelle qui tiennent en haleine, architecture urbaine exploitée à la manière d’un huis clos cubiste et vitreux… On est d’autant plus preneur que Guérin-Tillié va même jusqu’à multiplier les clins d’œil : un bureau de commissaire à la Brazil, un bowling à la sauce Coen (l’endroit s’appelle Jeffrey’s !), une fibre à la Melville qui transforme les codes du genre en pure chanson de gestes, sans oublier un gros shoot de vitamine Audiard (Michel pour les mots, Jacques pour l’ambiance sombre).



Alors, où est-ce que ça coince ? Principalement dans une trop grande gourmandise qui rend le film tantôt bancal tantôt artificiel là où davantage de modestie lui aurait garanti une meilleure tenue. Les exemples ne manquent pas, car à peu près chaque scène est concernée. Partons du début pour être très clair : on a beau se sentir en terrain connu dans cette scène-clé de la carrière de sable qui impose une ambiance à la Kitano, sauf que le jeu calamiteux de l’acteur jouant le quidam chouinant (un Laurent Bateau aux yeux sans larmes) suffit à foutre en l’air la scène. Plus loin, les discussions un poil répétitives entre Berléand et Noiret aboutissent à un split-screen plus gratuit tu meurs, où les deux blablatent sur du vent à l’avant d’une vieille voiture, chacun dans une moitié d’écran alors qu’ils sont côte-à-côte, le tout sur fond d’un autoradio qui crache la BO de Pulp Fiction (attention clin d’œil !). Quant aux multiples idées narratives dont le film fait preuve, autant elles se révèlent surprenantes sur des aspects que l’on aurait pu croire ultra-kamikazes (comme celle d’inclure Julien Lepers et son jeu télévisé culte dans la diégèse du récit), autant elles frisent parfois le gadget mal dégrossi avec un gros point d’interrogation à l’arrivée (à quoi sert ce double caméo de Marion Cotillard ?). On se retrouve donc ainsi face au prototype du premier film généreux mais fragile, où une idée de mise en scène sur deux finit malgré tout par relever de l’effet de style superfétatoire. Mais face à une telle croyance dans le pouvoir du cadre et du découpage (soit les deux mamelles de notre art préféré), ce sont clairement le sourire et l’encouragement qui prédominent.

Titre Original: EDY

Réalisé par:  Stéphan Guérin-Tillié

Casting : François Berléand, Philippe Noiret, Yves Verhoeven …

Genre: Policier, Comédie

Sortie le: 02 Novembre 2005

Distribué par: Mars Distribution

BIEN

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