SYNOPSIS: Borat, le journaliste kazakh, exubérant, nigaud et arriéré fan des États-Unis, entreprend de tourner un documentaire sur ce pays. Borat se lance à la poursuite des personnalités politiques américaines afin de dresser avec eux le bilan de la présidence de Trump ainsi que sa gestion de la crise du coronavirus dans le pays.
Il y a 15 ans, avec Borat, derrière la farce et les outrances presque sans limites de son personnage, le fantasque Sacha Baron Cohen avait réussi un petit tour de force et rappelé à quel point la satire est un art précieux qui a toujours su, à travers les siècles, poser un regard aussi féroce que juste sur les travers de nos sociétés. A travers les yeux et le parcours rocambolesque d’un journaliste Kazakh envoyé en reportage par sa chaine de télévision, plus concerné par sa quête de l’amour de Pamela « CJ » Anderson, que par celle de la compréhension profonde de ce pays qu’il traverse d’Est en Ouest, Borat nous en disait déjà beaucoup sur les mœurs de ce pays dans lequel on trouvait en germe tous les maux qui allaient mener, 10 ans plus tard, à l’élection de Donald Trump. Transparaissait déjà la fracture entre les élites bien pensantes de la côte Est, choquées par le discours misogyne, homophobe, antisémite de Borat et toute une partie de l’Amérique figée dans le temps, nostalgique de son passé, sourde aux revendications des minorités perçues comme autant de coups de canifs au sacro-saint patriotisme. L’absence de réaction aux propos de Borat et parfois même, chez ceux qui se sentaient alors en confiance avec quelqu’un pensant comme eux, l’expression d’une idéologie ouvertement raciste et homophobe valait plus que tous les mots. Elle en disait déjà plus que les grands discours, mise en garde ou essais sur ce qui était en train de monter en Amérique et que l’élection de Barack Obama, 2 ans plus tard, puis son échec à parler à cette « Amérique du milieu » n’allait faire que renforcer. De Trump, il n’en était pas encore explicitement question, sauf au détour d’une très courte scène dans laquelle on apercevait Borat faire la grosse commission sur le parvis de la célèbre tour de celui qui n’était qu’alors qu’un milliardaire has been voulant désespérément exister par le biais de son émission de télé réalité. Si le propos politique du 1er voyage de Borat aux USA apparaissait sous les habits de la farce orchestrée et jouée par celui qui se cachait auparavant derrière le personnage de Ali G, ce second voyage prend d’avantage des aspects de manifeste politique, très habile, orchestré dans un récit plus scénarisé qui jusque dans chacune de ses outrances renvoie à l’état actuel de la société américaine et aux valeurs morales de ceux qui se sont fait élire pour redonner sa grandeur à l’Amérique.
Sacha Baron Cohen n’a rien perdu de son mordant et vise encore plus juste dans ce récit absurde d’un journaliste kazakh envoyé en mission par son gouvernement pour offrir un cadeau au vice président, Mike Pence. Avec le point de départ totalement fantaisiste, ancré dans la farce d’offrir le singe le plus célèbre du Kazakhstan, par ailleurs ministre de la culture et star du porno, le second voyage de Borat part pourtant d’un postulat juste et terrifiant. Quand le pouvoir est laissé entre les mains de personnes mues par un tel cynisme, guidées par leur seul intérêt politique à court terme, affichant autant de complaisance voire de sympathie pour des régimes autoritaires et des populistes flattant les plus bas instincts de leur peuple, il va de soi que n’importe quel régime doit pouvoir trouver un moyen d’obtenir son soutien. Sacha Baron Cohen vise juste et chacun de ses coups nous fait réfléchir sur la nature de ce pouvoir et la terrifiante absence de réaction de son électorat. Le premier voyage offrait plus de moments « gratuits », de délires de plus ou moins bon goût, notamment du fait de la dynamique de la relation entre Borat et son producteur, lequel n’était narrativement qu’un sidekick dans la pure tradition de la comédie burlesque. Ce second voyage est celui d’un acteur/auteur qui n’a rien perdu de sa fantaisie mais qui se cache moins derrière son personnage, nécessairement conscient du rôle qu’il peut jouer dans ce que l’histoire jugera peut être comme une période absolument décisive dans l’histoire des USA, particulièrement avec une réélection de Donald Trump qui pourrait être un point de non retour.
Borat est ici accompagné, d’abord contre son gré, par Tutar (Maria Bakalova), sa jeune fille de 15 ans, née donc après son premier voyage, qui lui était alors pour ainsi dire étrangère, pas simplement parce qu’il était emprisonné durant toutes ces années mais parce qu’il a ancré en lui l’idée que la femme n’a d’autre rôle à jouer dans la société que celle d’épouse dévouée et asservie. C’est d’ailleurs quand il pensera qu’elle pourra lui être utile pour mener à bien sa mission qu’il acceptera finalement sa présence. Sans dévoiler la scène, l’élément déclencheur de cette prise de conscience, la façon dont il est par ailleurs mis en scène (timing imparable entre le moment où Borat s’interroge sur ce qu’aiment les hommes de pouvoir et la révélation de la réponse) est d’une pertinence et d’une cruauté qui font à la fois sourire et frémir sur la nature de Donald Trump et de ses sbires.. Maria Bakalova est épatante dans ce rôle de Cosette qui n’a d’autre idéal que de vivre dans une cage dorée comme Melania Trump. Son personnage ne cesse de prendre de l’ampleur, à mesure que Tutar ouvre les yeux sur les mensonges sur lesquels s’est construit son éducation et le prisme totalement baisé à travers lequel elle envisageait donc son avenir et sa place dans la société. Tutar est bien sûr un formidable outil politique et scénaristique pour porter le propos du film sur la société américaine, pour aider Sacha Baron Cohen dans sa démonstration avec son art consommé pour créer un malaise d’où nait la réflexion. C’est aussi un très beau personnage, touchant, qui évolue de façon totalement crédible et qui ouvre sur d’autres thématiques véhiculées par ses propres enjeux (les limites que l’on se fixe soi-même quand on est élevée dans une société patriarcale, le choix que l’on doit faire entre le respect de la culture que l’on a reçu et ses propres aspirations, l’illusion de la liberté et du pouvoir qu’ont des jeunes filles qui ne jouant que de leur séduction et de leur féminité ne font que faire perdurer le modèle qui les asservit…).
On est à nouveau, comme dans le premier volet des aventures de Borat, saisi, sidéré, consterné, effrayé au final souvent par les silences, l’absence de réaction de plusieurs des américains tombés dans le piège des provocations des différents avatars de Sacha Baron Cohen. Demander à un livreur d’aider à enfermer sa fille dans une caisse, commander un gâteau sur lequel on fait inscrire des propos antisémites, acheter une cage pour enfermer sa fille tout en plaisantant sur le nombre d’enfants de migrants que Trump pourrait y enfermer… Sacha Baron Cohen ne se contente pas de brocarder et dénoncer le pouvoir, il montre aussi clairement que les Pence, Trump, Giuliani sont des symptômes d’une maladie qui ronge la société américaine depuis des siècles et qui reprend de la vigueur du fait d’une responsabilité qui est pour le coup collective. Son habileté est indéniable comme elle pourra lui être reprochée quand il sait parfaitement bien choisir ses cibles et qu’il a en partie construit le buzz autour de son film sur le piège qu’il a refermé sur Giuliani, qu’il présente et utilise d’une façon à nos yeux un peu malhonnête. Pour autant, Borat 2 est un film de son époque qui sait user des armes de ses ennemis pour mieux les combattre, un film militant, bien plus que le premier, comme la dernière tentative pour éviter que l’Amérique ne cède pour de bon à ses plus bas instincts.
Titre Original: BORAT SUBSEQUENT MOVIE FILM Delivery of Prodigious Bribe to American Regime for Make Benefit Once Glorious Nation of Kazakhstan
Réalisé par: Jason Woliner
Casting : Sacha Baron Cohen, Maria Bakalova, Irina Nowak
Genre: Documentaire, Comédie
Date de sortie : 23 octobre 2020
Distribué par: Amazon Prime Video
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma
(evilashymetrie) Pas encore vu ce film mais j’ai hâte, au lu de ta belle chronique !