Critiques Cinéma

DEAD ZONE (Critique)

SYNOPSIS: Johnny Smith, jeune professeur dans une petite ville de province, est victime d’un accident de la route, peu de temps après avoir raccompagné sa fiancée, Sarah. Il ne revient à lui qu’au bout de cinq années de coma. Sarah est à présent mariée. Il s’aperçoit que passé, présent et futur se confondent dans son esprit. C’est ainsi qu’il réussit à sauver d’un incendie l’enfant de son infirmière et qu’il révèle à son médecin que sa mère, qu’il croyait morte en déportation, est en fait toujours vivante. 

Aux débuts des 80’s, la carrière de David Cronenberg est franchement bien lancée. Rapidement cultifié par une majeure partie des critiques grâce à des premières œuvres canadiennes à la fois effroyables et uniques – Frissons, Rage, Chromosome 3 – le réalisateur connaît coup sur coup deux triomphes avec Scanners et Vidéodrome, variations intelligentes, incarnées et avant-gardistes de ses thèmes de prédilection (le corps comme terrain d’expérimentation, les nouvelles technologies envisagées comme prolongements de l’être humain). Fort de cette reconnaissance critique, voire même publique pour Scanners, il s’attelle en 1983 à la confection de son neuvième film, Dead Zone, adaptation du roman éponyme de Stephen King. A l’origine, c’est la société Lorimar et la productrice Carol Baum qui achètent les droits d’adaptation du roman Dead Zone. Jeffrey Boam, scénariste en 1978 du Récidiviste avec Dustin Hoffman, est engagé pour écrire le script, et Stanley Donen pour le convertir en images. Le projet tombant rapidement en fioritures après plusieurs échecs de Lorimar au box-office et le départ de Donen du siège de réalisateur, c’est le puissant Dino De Laurentiis qui en récupère les rênes, et demande alors à King en personne d’écrire l’adaptation de son roman, jugeant le scénario de Boam médiocre. Le célèbre producteur italien en profite aussi pour recruter Debra Hill, fidèle collaboratrice de John Carpenter, afin de superviser le travail d’équipe. C’est elle qui suggère le nom de Cronenberg pour diriger le long-métrage, après que Michael Cimino ait été considéré et que John Badham, approché lui aussi, ait décliné l’offre, trouvant le film complaisant à l’égard des assassinats politiques. Le développement aurait pu s’arrêter là, mais c’était sans compter sur la désapprobation du script de Stephen King par Cronenberg, qui le considère inutilement brutal et violent. De Laurentiis engage alors Andreï Kontchalovski (Runaway Train, Tango & Cash) pour écrire une troisième version, qui sera elle aussi rejetée. C’est finalement Cronenberg, épaulée par Debra Hill, qui se charge de peaufiner la version définitive du scénario de Dead Zone, d’après l’histoire initialement écrite par Jeffrey Boam.



L’histoire de Dead Zone est simple : Johnny Smith, un professeur exerçant à Castle Rock et en couple avec Sarah, l’une de ses élèves, se réveille après un accident de voiture et un coma de 5 ans avec le pouvoir de visualiser le passé ou le futur des personnes avec lesquelles il entre physiquement en contact. Un don qui peut certes sauver des vies, mais aussi s’avérer une malédiction tant cela semble le consumer et l’isoler du reste de ses pairs. D’autant plus que Sarah, sentimentalement reconstruite après la tragédie, a fondé une famille depuis, et que l’environnement de Smith s’agite autour d’événements particulièrement inquiétants. Côté casting, David Cronenberg envisage d’abord Nicholas Campbell pour tenir le rôle principal, mais De Laurentiis refuse, imaginant un comédien plus notoire dans la peau de l’enseignant prophétique. C’est finalement Christopher Walken, choix privilégié de De Laurentiis et acclamé par Cronenberg, qui est retenu pour interpréter le personnage de Johnny Smith. Campbell hérite quant à lui du rôle de Frank Todd tandis que Brooke Adams (Les Moissons du Ciel, L’Invasion des Profanateurs) est sélectionnée pour incarner Sarah, Tom Skerritt pour prêter ses traits au shérif Bannerman après que Hal Holbrook ait été désapprouvé par De Laurentiis, et enfin Martin Sheen pour jouer le politicien mensonger et va-t’en-guerre Greg Stillson. Avec un budget confortable de 10 millions de dollars, Cronenberg choisit sa Toronto natale (et glaciale!) comme lieu de tournage pour recréer à l’écran la ville fictive de Castle Rock – redondante dans l’univers de Stephen King. Les prises de vue réelles prennent fin au mois d’avril 1983 pour une sortie en salles calée aux États-Unis le 21 octobre de la même année. Que vaut le film du coup ?



D’un postulat tragico-fantastique au pouvoir d’évocation instantané, Cronenberg tire une adaptation efficace dans l’ensemble, mais qui manque peut-être un peu de sa personnalité à l’écran. Si le cinéaste parvient à retranscrire avec brio la substantifique moelle du roman de King, on s’étonne en effet de le voir autant s’effacer derrière la caméra. Sa patte demeure incontestablement présente thématiquement (la chasteté du personnage comme déclencheur de son accident lui-même source de l’acquisition de ses pouvoirs, l’étude de la mutation du corps et de l’esprit, et surtout l’idée brillante d’accentuer le parcours doloriste et la déchéance physique de Smith au fur et à mesure que ses visions grandissent), mais on peine un peu à retrouver esthétiquement ce qui fait (et fera par la suite) le sel de son cinéma. Deux hypothèses face à ce constat : le désir probable de Cronenberg de « respecter » la matière originelle de King et/ou peut-être l’envie de (se) construire une image d’artiste estimable auprès de ses pairs étatsuniens, Dead Zone constituant en effet sa première « commande » hollywoodienne. Mais ne boudons pas complètement le plaisir : Dead Zone reste en effet parcouru de quelques photogrammes indélébiles et clairement en avance sur leur temps. Cronenberg a toujours eu ce petit côté Nostradamus. Ici, l’aspect prémonitoire de l’œuvre – qui lui offre d’ailleurs des contours métatextuels – se décèle à travers la figure de politicien véreux et belliqueux Greg Stillson, sorte d’avatar ciné du président Trump avec 35 ans d’avance. Lorsque Johnny devient médium et que son médecin attribue ses visions à une « zone morte » (la fameuse « Dead Zone du titre) précédemment inutilisée de son cerveau qui essaierait de compenser les dommages cérébraux survenus lors de son accident, il se retrouve en effet confronté, malgré sa volonté d’agir pour le bien, à différents obstacles, particulièrement après sa rencontre avec le populiste Stillson, futur candidat à la Maison-Blanche. En serrant la main de Stillson à l’occasion d’un meeting, Johnny a en effet une vision apocalyptique de l’avenir lorsque ce dernier sera devenu chef D’État. Il se débat alors avec le dilemme moral suivant : en toute connaissance de cause, peut-il empêcher cela d’arriver ? Peut-il changer le cours du destin ? Le cas échéant, au prix de quel sacrifice ? C’est tout l’enjeu dramatique du film qui se trouve incarné dans cette sous-intrigue surnaturelle, permettant alors à Cronenberg d’ancrer Dead Zone dans une filmographie cohérente de A à Z, Johnny Smith rejoignant Max Renn (Videodrome), Seth Brundle (La Mouche) ou encore Beverly (Faux-Semblants) sur le banc des personnages cronenbergiens esseulés au funeste destin. En plaçant Sarah comme militante du parti incriminé et dirigé par le malhonnête Stillson, David Cronenberg pousse même le récit jusqu’à la subversion, posant aux spectateurs une question à la fois fondamentale et effrayante : en ayant refusé de franchir le pas de la porte de Sarah au départ, Johnny Smith n’a-t-il pas en réalité sa propre (micro) part de responsabilité dans l’ascension de Stillson au pouvoir et la destruction d’une nation au nucléaire ? Est-ce là une façon pour Cronenberg de critiquer la manipulation des masses par les puissants de notre monde ou de nous manipuler nous spectateurs ?



Face caméra, on est facilement emportés par la prestation vraiment convaincante et toute en sobriété de Christopher Walken qui s’avère donc un excellent choix – meilleur sans doute que ne l’aurait été Bill Murray, comédien initialement rêvé par Stephen King pour donner vie au nobody Johnny Smith. Le méchant de Sleepy Hollow – La Légende du Cavalier sans Tête est d’ailleurs un livre conseillé par le professeur Johnny Smith à ses élèves, rigolo – se révèle donc pétri de fragilité et de vulnérabilité, notamment lorsqu’il doute du bienfait de ses extraordinaires capacités, et trouve ici l’un des meilleurs rôles de sa prolifique carrière. A ses côtés, un riche casting complète la distribution : Tom Skerritt campe avec métier le shérif Bannerman, Herbert Lom est touchant en médecin juif retrouvant sa mère après des années d’éloignement dues aux affres de la Seconde Guerre Mondiale, Martin Sheen s’avère jubilatoire en politicien odieux et mytho, et Brooke Adams, bien qu’héritant d’un rôle de love-interest finalement un peu ingrat, s’en tire avec les honneurs. Rien à redire également sur le plan technique, puisque Cronenberg fait indéniablement preuve d’un savoir-faire formel, parvenant à traverser avec aisance différents genres (les visions de Smith lui permettent de visiter aussi bien le film de guerre que les codes du thriller mettant en scène un tueur en série) et à intégrer très facilement les éléments irréels dans le quotidien de ce monsieur-tout-le-monde (l’emploi du nom archi commun Johnny Smith n’est d’ailleurs sans doute pas anodin, pouvant renvoyer aussi bien au symbole d’un homme du peuple qu’au chef d’œuvre de Frank Capra, Monsieur Smith au Sénat), et la composition de Michael Kamen sied à merveille à l’univers du canadien, la musique de Dead Zone ressemblant toutefois à s’y méprendre au travail de Howard Shore, allié habituel du réalisateur et auteur des partitions de la quasi intégralité de ses films.



Lors de sa sortie en salles, Dead Zone récolte des critiques presse essentiellement élogieuses (dont une, très positive, rédigée par le célèbre Roger Ebert) et rapporte 20 millions de dollars sur le sol US. Modeste succès public donc, qui n’empêchera pas Cronenberg de connaître trois ans plus tard une gloire internationale avec le formidable La Mouche, son œuvre la plus sentimentale et dont la fin, cathartique et tout simplement bouleversante, se figure aujourd’hui comme un écho assumé à celle de Dead Zone. De son côté, le roman Dead Zone engendrera une série TV homonyme (diffusée entre 2002 et 2007, notamment dans La Trilogie du Samedi de M6) tandis que le film de Cronenberg inspirera bon nombre d’artistes au fil du temps, de M. Night Shyamalan (David Dunn, le protagoniste de Incassable qui assumera peu à peu son rôle de super-héros pour le mettre à profit de causes publiques apparaît clairement comme un digne héritier de Johnny Smith) à la team derrière X-files (le second film X-files, Régénération, signé Chris Carter reprenant carrément l’entièreté de la sous-intrigue policière de Dead Zone, tandis que James Wong et Glen Morgan ont probablement revu le Cronenberg avant de conceptualiser le postulat de la saga Destination Finale) en passant par le scénariste-réalisateur David Koepp (Hypnose se profile aussi un cousin éloigné du métrage de Cronenberg) ou encore la série superhéroïque Heroes. De quoi résister encore un peu à l’épreuve du temps !

Titre Original: THE DEAD ZONE

Réalisé par: David Cronenberg

Casting : Christopher Walken, Martin Sheen, Tom Skeritt…

Genre: Thriller, Fantastique, Epouvante-horreur

Sortie le: 07 mars 1984

Distribué par: AMLF

TRÈS BIEN

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