SYNOPSIS: Dix ans se sont écoulés depuis que le fils d’Elena, alors âgé de 6 ans, a disparu. Dix ans depuis ce coup de téléphone où seul et perdu sur une plage des Landes, il lui disait qu’il ne trouvait plus son père. Aujourd’hui, Elena y vit et y travaille dans un restaurant de bord de mer. Dévastée depuis ce tragique épisode, sa vie suit son cours tant bien que mal. Jusqu’à ce jour où elle rencontre un adolescent qui lui rappelle furieusement son fils disparu…
Madre est le cinquième film de Rodrigo Sorogoyen. Grâce à ses deux précédents longs-métrages, le réalisateur s’est taillé une solide réputation avec comme point commun le genre du thriller. Que dios nos perdone sorti à l’été 2017 nous emmenait à la poursuite d’un serial killer sur la canicule estivale madrilène tandis qu’El Reino sorti au début de l’année 2019 mettait en scène la descente aux enfers d’un ambitieux cadre politique pris dans une affaire de corruption. Remarquablement maîtrisés, ces deux longs-métrages ont permis de définitivement assoir le talent d’Antonio de la Torre. Le réalisateur opère un changement radical avec Madre en délaissant le pur thriller pour le drame familial avec cette mère à la recherche de son enfant. Bien que le film soit vendu comme éloigné du thriller, la première scène du film nous rappelle le savoir-faire de Sorogoyen dans ce genre et constitue une lettre d’intention pour la suite. On apprend d’ailleurs grâce à l’interview post-séance du réalisateur que cette scène inaugurale constitue en fait un court-métrage (avec le même titre Madre) tourné en 2017 et que ce dernier a voulu en raconter la suite dans ce long-métrage. Cet étouffant plan séquence de plus de dix minutes met en place de manière crescendo le drame intimiste qui sera développé par la suite. En effet, on retrouve, dix ans plus tard cette mère de famille qui ne désespère pas de retrouver son enfant disparu alors qu’il n’avait que six ans. Elle est devenue serveuse dans un bar dans le sud-ouest de la France en bord de mer, lieu où son enfant s’est volatilisé. On sent très vite qu’elle n’a pas réussi à se reconstruire et à tourner la page. Ses incessants allers-retours sur la plage lors de ses pauses pour espérer apercevoir un ado ressemblant à son fils sont là pour en témoigner.
C’est lors d’une de ses nombreuses ballades qu’elle croise Jean (Jules Porier), un adolescent grande gueule, en rébellion contre sa famille qui apparait la plupart du temps agaçant. De là débute une relation ambiguë entre ces deux personnages. Alors qu’on peut penser dans un premier temps, qu’Elena (Marta Nieto) recherche à faire revivre un lien de filiation, le récit joue assez rapidement la confusion des sentiments et, on a cette vive impression que le réalisateur nous refait un thriller dont il a le secret. Jusqu’au dénouement final, le spectateur s’interrogera sur le choix que va donner Elena à cette relation : une relation charnelle ou filiale.
Sorogoyen nous maintiendra en tension durant tout le film, le personnage d’Elena devenant petit à petit de plus en plus fascinant. La douleur ne s’absente jamais du visage de cette jeune femme endeuillée et peu loquace et on sent qu’elle est capable de dégoupiller à chaque seconde. Ce sera d’ailleurs souvent le cas avec notamment cette scène déchirante où le personnage principal s’introduit dans la maison de Jean lors d’un repas familial ou encore lorsqu’elle tente de sortir d’un véhicule en pleine route. Le désespoir peut mener inexorablement à la folie chez ce personnage sur le fil du rasoir. Alors que le spectateur averti a souvent peur d’un trop plein de misérabilisme lorsqu’il est question du deuil, le metteur en scène parvient à éviter cet écueil grâce à une sobriété dans le traitement qui rappelle fortement La Chambre du Fils de Nanni Moretti et grâce à l’empathie envers le personnage d’Elena. Le sujet ne sera jamais abordé de manière frontale mais plutôt comme une chape de plomb au-dessus de cette mère inconsolable. La remarquable performance de Maria Nieto, (très forte ressemblance physique avec Rosamund Pike) toute en retenue, participe à la très grande réussite du film. Le jeune Jules Porier s’en sort également admirablement dans un rôle très casse-gueule d’adolescent outrancier et assez antipathique. On retrouve également au casting les français Anne Consigny et Frédéric Pierrot.
Le choix de n’avoir recours qu’à des plans larges est aussi un pari audacieux de la part de Sorogoyen. Alors qu’on aurait pensé à un resserrement du cadre sur les personnages pour marquer le drame intimiste, le réalisateur ouvre constamment le champ de sa caméra et donc aux personnages. Il veut laisser à Elena la possibilité de se sortir à tout moment de cette inévitable souffrance. A l’image d’un thriller, toutes nos questions auront trouvé une réponse à la fin de ce long-métrage âpre et déroutant. Après le thriller policier et politique, Sorogoyen peut donc ajouter le thriller dramatique à son palmarès et peut revendiquer le titre de joyau du cinéma espagnol.
Titre original: MADRE
Réalisé par: Rodrigo Sorogoyen
Casting: Marta Nieto, Jules Porier, Alex Brendemühl…
Genre: Drame, Thriller
Sortie le: 22 juillet 2020
Distribué par : Le Pacte
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Catégories :Critiques Cinéma