Critiques Cinéma

OSTERMAN WEEK-END (Critique)

SYNOPSIS: Le présentateur d’un journal télévisé est impliqué dans une enquête de la CIA. Ignorant jusque-là les activités illicites de trois de ses amis engagés dans le KGB, il accepte d’aider les deux agents de la CIA à démanteler le groupe. 

« Je suis entouré de souvenirs. Des souvenirs de rires et de rage, des souvenirs de désespoir et de réussite, des souvenirs d’être toujours poussé à faire un peu mieux, des souvenirs de ce que ça veut dire être un professionnel ». Voilà ce que Sam Peckinpah avait pris soin d’écrire à son agent pendant le tournage d’Osterman Week-End. Le maître avait-il déjà conscience qu’il était en train de tourner son dernier film ? Difficile à dire, mais l’amertume et la fatigue étaient quoi qu’il en soit au rendez-vous. Rien n’allait très bien pour lui en cette année 1982 : cinq années d’absence suite au bide commercial du Convoi, un infarctus (pas le premier), des projets de films qui tombaient à l’eau les uns après les autres (dont un écrit par John Milius), sans oublier un statut de directeur de seconde équipe sur la dernière réalisation d’un Don Siegel lui aussi fragile du cœur (La Flambeuse de Las Vegas). Refuser toute opportunité de réaliser un nouveau film était donc la dernière chose à faire pour un cinéaste qui n’avait toujours respiré qu’à travers ses images, qui se lançait dans un projet comme sa vie et sa santé en dépendaient. Cette adaptation d’un roman de Robert Ludlum (futur papa de Jason Bourne) devait donc être son chant du cygne, à l’image d’un malade en phase terminale qui tenterait son dernier coup de force juste avant de rendre l’âme. Visage pâle, plombé par la maladie, atteint de tremblements divers et contraint de diriger le film avec un masque à oxygène pour combattre la fatigue, Peckinpah aura pourtant eu pire à gérer, à savoir son pire ennemi : les « gars du dessus ». Ceux qu’il aura fini par cibler et torpiller au travers de ce grand film malade et métatextuel.

Osterman Week-End fut avant tout la première production de William Panzer et Peter Davis, deux opportunistes qui firent par le suite leur beurre sur la saga Highlander, mais dont le CV inclut aussi un certain nombre de productions « torpillées de l’intérieur » (on leur doit le rafistolage bidon du Cat Chaser d’Abel Ferrara). Mais au départ, avec ce projet-là, tous les voyants étaient au rouge : un grand cinéaste aux commandes, un livre à succès adapté sur grand écran par un scénariste déjà familier du thème de la manipulation et du complot (Alan Sharp, auteur de La Fugue d’Arthur Penn), un casting absolument royal (Rutger Hauer, John Hurt, Dennis Hopper, Burt Lancaster, Meg Foster) et un statut de production indépendante dans laquelle les studios ne viendraient pas mettre leur grain de sel. Pas de bol : entre un cinéaste connu pour transformer chaque tournage en chaos punk et des financiers qui se montrèrent très réticents au point de réduire le budget, les problèmes furent légion, avec, comme cerise sur le gâteau, le renvoi pur et simple de Peckinpah suite à des projections-test désastreuses. Encore un film dont le montage ne correspond pas à ce que souhaitait son auteur, donc ? Les possesseurs du DVD collector français auront pu constater, en visionnant le montage voulu par Peckinpah, que ce n’était pas vraiment le cas – seule une scène d’ouverture assez osée faisait office de grosse différence. Le film, en l’état, reste malade, inégal et inabouti. Et c’est ce qui le rend fascinant, limpide et abouti.

L’ouverture du film permet déjà de cibler l’intention cachée du cinéaste. Si le roman de Ludlum se voulait une mise en alerte relative aux médias et à la manipulation politique, le film de Peckinpah enfonce le clou dès le départ, lançant ainsi les festivités sur une image vidéo sale et granuleuse d’où surgit soudain la question du médium. Convaincu de l’anesthésie de tout un chacun par des médias télévisés qui pratiquent le bidonnage à l’échelle mondiale (on nous trompe avec du faux), Peckinpah retourne d’entrée son approche traditionnelle de la violence. Celle-là même qui suscita pendant longtemps chez certains une incompréhension hargneuse et absurde (combien d’énormités a-t-on pu lire à propos du climax final de La Horde sauvage ?), qui lui servit toujours à exprimer la vérité des rapports de force, qu’il traita avant tout comme « phénomène » (un ouragan qui emporte tout, les matières filmées comme la lisibilité du montage), le cinéaste lui enlève ici toute chaleur et toute teneur explosive pour lui donner au contraire un caractère froid, glacial, relatif à la technologie qui l’alimente. Sa force, c’est d’oser la mise en abyme pour en retourner l’impact et révéler l’envers du décor – est-ce un hasard si le nom de Sam Peckinpah apparaît ici au moment où l’on passe de l’image vidéo à l’image réelle ? Et si la violence doit surgir, ce n’est pas dans sa forme la plus éclatante, mais au contraire dans ce qu’elle peut avoir de faux, de bidonné, de sale, de gratuit.

En cela, ce que l’on aurait pu prendre pour des erreurs de montage ou des incohérences narratives acquiert ici une force évocatrice plus ou moins consciente. Comme acquis à ce jeu métatextuel qui peut souvent définir la portée réflexive d’une œuvre de cinéma, Peckinpah fait en sorte que chaque contrainte de production devienne pour lui l’occasion de jauger son propre film, de pervertir tout ce qu’on lui impose de faire, un peu comme un acte de résistance. Ainsi donc, cette course-poursuite en voiture qui intervient au bout d’un quart d’heure de film constitue à la fois un pic et un piège. Ayant été engagé pour « faire du Peckinpah » (à savoir des ralentis et de la violence chorégraphiée, ce à quoi son cinéma est loin de se résumer), le cinéaste bâcle lui-même une scène qui n’a aucune utilité dans le récit, comme pour illustrer de façon détournée le rapport de force qui l’oppose à ses producteurs. Côté scénario, ce qui semblait s’apparenter à un survival psychologique en huis clos (où un journaliste contacté par le gouvernement doit piéger ses meilleurs amis accusés de haute trahison) devient, sous couvert de conspiration politique, un pamphlet radical sur l’ère nouvelle de la vidéosurveillance dans une société voyeuriste qui laisse peu à peu son libre arbitre s’aliéner dans la consommation d’images trafiquées. La télé-réalité prophétisée avant l’heure, en somme. L’image plus vaste que le monde lui-même. En cela, le film se veut une pure explosion de formats, de supports et de points de vue où le spectateur, malmené et embrouillé, ne sait plus où se situer. Et si le montage final honore cette intention, c’est parce qu’il est lui-même forcé et fragilisé, parce que ses nombreuses cicatrices sont la preuve d’un bidonnage plus ou moins voulu. Ambigu jusqu’au bout.

Chaque plan sert ici de clin d’œil symbolique à un Peckinpah déterminé à imposer sa vision subversive et son regard désenchanté sur la nature humaine. Un plan rapproché sur un Rutger Hauer anxieux dans un ascenseur aux allures de prison, le tout dans un entrepôt qui semble réactiver le « monde du secret » si cher aux cinémas respectifs de Sydney Pollack et d’Alan J. Pakula, et c’est tout le spectre d’un « complot généralisé » qui nous frappe le cortex par un simple jeu de montage. Un yoyo méticuleux entre des images vidéo et des images réelles avant la révélation brutale de leur espacement temporel (et donc du bidonnage qui les sous-tend), et c’est tout une mise en alerte sur l’origine et la nature des images que le cinéaste nous inflige. Un plan final a priori anodin sur une chaise vide au beau milieu d’un studio de télévision désert, et c’est en réalité l’adieu déguisé de Sam Peckinpah à ce nouveau monde qui l’effraie et à ce cinéma hollywoodien naissant – celui de l’illusion pure – dans lequel il considère qu’il n’a plus sa place. Un an après la sortie du film, son cœur lâchait. Pour de bon, cette fois-ci. Le cinéma américain venait alors de perdre son plus précieux franc-tireur. Inimitable, indomptable, implacable : ainsi était l’oncle Sam.

Titre Original: THE OSTERMAN WEEKEND

Réalisé par: Sam Peckinpah

Casting : Rutger Hauer, John Hurt, Craig T. Nelson…

Genre: Action, Thriller, Drame, Espionnage

Sortie le: 18 avril 1984

Distribué par: Gaumont

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