Critiques Cinéma

US (Critique)

4,5 STARS TOP NIVEAU

us affiche cliff and co

SYNOPSIS: Des parents emmènent leurs enfants dans leur maison secondaire près d’une plage afin de se détendre et de se déconnecter. Des amis les rejoignent. Au fur et à mesure que la nuit arrive, la sérénité se transforme en tension. Lorsque des invités – qui n’étaient pas prévus – se joignent au groupe, l’agitation palpable dégénère en chaos

Quand tant de metteurs en scène passent régulièrement à côté de ce qui fait la quintessence du film d’horreur ou fantastique, Jordan Peele avait fait preuve, dès son premier film, d’une maîtrise narrative et formelle et d’une compréhension de ces genres, qui nous avaient fait vivre l’une des séances les plus jouissives et stimulantes de ces dernières années. Cela tenait, à nos yeux, en partie à son expérience au sein du duo comique Key & Peele quand il lui faut capturer sur un format très court de moins de 5 minutes l’essence et les mécanismes des genres qu’il parodie. Cela tenait aussi, principalement, au fait qu’il a totalement intégré les influences qui l’ont nourrit (de Polanski à Ira Levin en passant par The Twilight Zone), compris ce sur quoi travaillent les récits qui l’inspirent et qu’il cherche ainsi à en reproduire les effets, à sortir le spectateur de sa zone de confort, plutôt que reproduire servilement une formule. S’il s’est révélé et « construit » sur des formats très courts, Get Out avait révélé Jordan Peele comme un cinéaste du temps long qui sait à la fois travailler sur des scènes dont l’effet est immédiat et sur d’autres, sont conçues pour semer des indices et prendre tout leur sens quand le récit dévoile sa véritable nature. C’est à nouveau ce qui fait la très grande force de son deuxième film, dans lequel le thriller, en particulier le sous genre du « home invasion », mais aussi une horreur plus gore et viscérale que dans Get Out, s’invitent dans le conte fantastique, lequel trouve son origine dans l’événement inexplicable et traumatisant vécu dans son enfance par Adelaïde Wilson (Lupita Nyong’o)

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Si l’influence de la série The Twilight Zone était déjà perceptible dans Get Out et que Jordan Peele n’a depuis jamais cessé de dire à quel point elle avait été fondamentale dans la construction de son imaginaire de cinéaste (au point d’en produire et mettre en scène un reboot/remake), Us peut clairement être vu comme une extrapolation d’un de ses épisodes cultes, diffusé durant la saison 1 (The Mirror Image) dans lequel une jeune femme attendant son car s’aperçoit que son double est également présent et se joue d’elle. Peele développe cette idée de la rencontre avec son double et l’emmène très loin, de sorte qu’il renouvelle régulièrement l’intérêt pour un récit qui repose sur un concept contre lequel il aurait tôt fait de se briser sur les 2 heures que dure le film. C’était ce qui faisait tout le sel de Get Out et c’est à nouveau la très grande force de son deuxième long métrage dans lequel il pousse encore plus à fond tous les curseurs, joue brillamment, sans les parodier, des conventions des genres qu’il explore avec un enthousiasme communicatif, même si US est toutefois un film bien plus sombre, plus dense, complexe et peut-être aussi plus fragile narrativement qui nécessitera, sans doute, plusieurs visions pour se faire un avis définitif.

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L’une des clés de la réussite d’un film fantastique ou d’horreur est de permettre au spectateur de trouver un point d’ancrage émotionnel dans le récit, de sorte qu’il y ait, à défaut d’identification, une implication suffisante pour lâcher prise face à des situations, des scènes qui prises isolément pourraient prêter à sourire ou paraître totalement vaines. De ce point de vue, le personnage d’Adelaïde est assez formidable, comme l’est la façon dont Peele, dans son prologue, va faire de son traumatisme la clé de son récit (sans toutefois le circonscrire à ce seul enjeu). Le visage de Lupita Nyong’o face à l’horreur qui s’invite dans la belle maison de vacances dans laquelle elle vient d’arriver avec son mari et ses deux enfants, est un livre ouvert dans lequel on peut lire tout ce qui la traverse et donc s’y connecter. Peele filme Lupita Nyong’o (absolument sensationnelle) comme il filmait déjà Daniel Kaluuya dans Get Out, multipliant les gros plans sur son visage, étirant la durée de ces plans pour capter les émotions, la montée de la peur, l’angoisse qui commence à poindre. De ce point de vue, la scène de l’arrivée de la petite famille au bord de mer est un modèle du genre en terme de mise en scène, dans la façon dont celle-ci va isoler Adelaïde et son angoisse dans un cadre qui devrait être idyllique. Il n’y a pas de requin sur cette plage où Adelaïde rechigne tant à aller mais on y ressent la même tension que sur celle de Martha’s Vineyard. L’hommage/clin d’oeil à Jaws est explicite et n’avait d’ailleurs pas besoin de s’afficher sur le tee shirt de Jason (Evan Alex).

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Jordan Peele est maître dans l’art de distiller le malaise et la peur dans un cadre ou des circonstances qui ne s’y prêtent pas. Dans Get Out, la très bourgeoise maison des « beaux-parents » de Chris se révélait être un lieu guère plus fréquentable que le château du Comte Zaroff et ici, Peele va venir « pervertir » de la même façon le cadre dans lequel évolue la famille Wilson, transformant cette paisible station balnéaire, son peer et ses belles demeures en un pavillon témoin de la fin du monde.  Il joue en plus sur un registre plus intime, plus sombre, en ce qu’il est question aussi, à travers ce récit de doppelgangers mal intentionnés, de démons intérieurs, de la part de nous-mêmes que l’on garde enfouie sous le vernis social. Il est clair que c’est une question qui le travaille beaucoup et que l’on retrouve donc à nouveau. Le mal et l’horreur trouvent leur racines dans la part la plus sombre de ses personnages, notamment dans leur souhait d’acquérir ou conserver une position sociale. De ce point de vue, la famille Tyler (qui offre un rôle réjouissant à la versatile Elisabeth Moss) apparaît cristalliser les critiques de Peele, quand la famille Wilson, première victime de cette révélation du mal jusque là enfoui,  n’a rien d’antipathique et a même des airs de famille de sitcom avec ce père blagueur et un peu immature, cette adolescente accro à son portable et son frère malin et sensible.

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Peele est un cinéaste à l’enthousiasme juvénile, une brillante plume comique (les quelques gags du film, principalement introduits par le personnage du mari d’Adelaïde sont à nouveau très drôles), il a un œil et une sensibilité incroyable pour capter ce qu’il y a de plus opérant dans les genres qu’il explore mais il a donc, fondamentalement, quelque chose à raconter sur son époque, ce dont quelques uns de nos confrères doutaient encore après Get Out, qu’il était, il est vrai, possible de ne prendre qu’au premier degré, comme une excellente petite comédie horrifique. Us est un film plus mâture, plus personnel sans doute, irrigué par les obsessions de son metteur en scène notamment sur l’identité, les démons intérieur et l’hypocrisie sociale. Us est également un accomplissement en terme de mise en scène, parcouru par de purs moments de cinéma, en particulier dans son dernier acte où Peele repousse les limites de son récit, en révèle toute la complexité et, comme dans Get Out, apporte un éclairage nouveau sur ce que l’on pensait avoir vu et compris jusqu’alors. La singularité et l’identité de Us, comme celles de Peele sont si fortes qu’il nous parait vain de jouer au jeu des comparaisons et d’en faire le digne héritier de tel ou tel. Nous avons juste envie de nous réjouir de voir émerger un tel cinéaste dans ce genre que nous aimons tant et hâte de le revoir, sûrement plusieurs fois, en salle.

 

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Titre Original: US

Réalisé par: Jordan Peele

Casting : Lupita Nyong’o, Elisabeth Moss, Winston Duke,

Evan Alex, Shahadi Wright Joseph…

Genre: Thriller, Epouvante-horreur

Date de sortie : 20 mars 2019

Distribué par: Universal Pictures International France

4,5 STARS TOP NIVEAU

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