SYNOPSIS: Dans une fastueuse résidence de Long Island, la délicieuse fille du chauffeur, Sabrina, est amoureuse de David, le fils de famille insouciant, qui ne la remarque même pas. La jeune femme part étudier à Paris. Deux ans plus tard, elle revient, transformée, et ne tarde pas à séduire David. Mais les parents de ce dernier ne l’entendent pas de cette oreille…
Sabrina est un conte de fées moderne. En effet, Audrey Hepburn narre en voix-off le début du film et démarre par « Once upon a time » (« il était une fois »). On se trouve ainsi face à une sorte de version du conte de Cendrillon socialement revisité avec une jeune femme qui va trouver son prince charmant, mais peut-être pas celui qu’elle croyait, et qui va peut-être s’élever dans la société, alors que ce n’est pas son but premier, celui-ci étant l’amour. Le film a peut-être un peu vieilli culturellement, notamment les rapports hommes-femmes, et plus spécifiquement la place des femmes (attendues aux fourneaux pour cuisiner pour le sexe fort bien entendu), mais la lutte des classes reste un thème toujours aussi pertinent aujourd’hui. La fille du chauffeur peut-elle en effet vivre une histoire d’amour avec le fils d’une riche famille de Long Island ? Le film explore cette thématique d’élévation sociale, qui apparaîtra de nouveau en 1960 dans La Garçonnière, Jack Lemmon portant également le chapeau melon et le parapluie qu’arbore le personnage d’Humphrey Bogart dans ce long-métrage.
La féérie vient de la France. Car oui, le cliché français est bien présent dans ce film : Paris y est décrite comme une ville romantique et un sommet d’élégance, et aussi l’endroit où l’on envoie les jeunes gens pour parfaire leur éducation, tout cela combiné ici avec les cours de cuisine (voir la séquence où l’on apprend à casser proprement un œuf avec une seule main). Le cinéaste y posera sa caméra trois ans plus tard pour Ariane et utilisera Maurice Chevalier comme marque de la culture et de l’élégance à la française. De plus, la célèbre chanson d’Edith Piaf La vie en rose, représentatif depuis les années 1950 de la culture française à travers le monde, devient le leitmotiv du film : Audrey Hepburn la chante, mais la musique instrumentale du film se la réapproprie aussi en tant que thème et propose de bien belles variations.
Un phénomène intéressant est que la différence d’âge entre Bogart et Hepburn est notée plusieurs fois et cela rend le film moins bête qu’il aurait pu l’être (combien de fois avons-nous vu au cinéma des hommes de 40-50 ans finir avec des jeunes femmes de 20 ans ? et combien de fois le verrons-nous encore ?). Le film n’est pas dupe de ce cliché de jeunesse qui émane au cinéma et il en fait un obstacle, et dans le même temps arrive à s’en affranchir car les sentiments entre les personnages sont sincères. D’un autre côté, le conte n’est pas aussi féérique qu’il n’y paraît. On parle en effet de suicide, thématique aussi présente plus tard chez le cinéaste dans La Garçonnière, du fait de mourir par amour, que ce soit les femmes ou les hommes. La noirceur affleure donc et l’on réalise que Sabrina est également un film sur la désillusion amoureuse, une sorte de roman d’apprentissage : est-ce que l’homme qu’on a aimé toute sa vie en secret est vraiment la personne pour nous ? Le fantasme peut-il correspondre à la réalité ?
La mise en scène de Wilder est toujours très rythmée, que ce soit dans son montage ou son alternance entre plans larges et gros plans. Son traitement de la lumière est également toujours parfait, les séquences de nuit de ce film sont en particulier très belles, jouant sur le clair-obscur, que ce soit dans un grand bureau ou sur un court de tennis où l’on danse. Wilder prend aussi un malin plaisir à s’auto-citer : les personnages mentionnent par deux fois qu’ils vont voir Sept ans de réflexion (avec Marylin Monroe), film du cinéaste qui ne sortira que l’année suivante ! Adapté de Sabrina Fair (1953), une pièce de théâtre de Samuel A. Taylor (co-scénariste ici), Wilder et son scénariste Ernest Lehman écrivent des dialogues toujours incroyables et étincelants. Voyez plutôt : « une femme heureuse en amour oublie le soufflé dans le four, une femme malheureuse en amour oublie d’allumer le four ».
Les acteurs sont fabuleux. Audrey Hepburn sortait tout juste du succès de Vacances romaines de William Wyler (1952), son premier grand rôle qui lui valut son Oscar de la Meilleure Actrice, à tout juste 24 ans. Elle interprète le rôle-titre, celui d’une jeune femme (britannique) qui essaye de trouver sa place dans le monde et la société de la côté-est américaine et qui est en décalage avec son milieu d’origine, comme l’explique si bien le personnage de son père chauffeur « elle n’est pas à sa place, ni dans un château, ni dans un garage. » L’actrice y est merveilleuse de grâce, d’élégance, et de sincérité dans son jeu. Et quel bonheur de l’entendre parler français (avec un très bon accent, puisqu’elle parlait couramment la langue de Molière, parmi d’autres) et fredonner La vie en rose ! Elle retravaillera par la suite avec le réalisateur pour le magnifique film Ariane (1957) qui se passe à Paris, comme mentionné ci-dessus. Après Boulevard du crépuscule (1950) et Stalag 17 (1953, qui lui vaut son Oscar du Meilleur Acteur), Wilder retrouve pour la troisième fois l’incroyable William Holden : il campe David Larrabee, un coureur de jupons qu’on ne peut détester car le personnage est moins égoïste et stupide que le spectateur pourrait penser au premier abord. Audrey Hepburn retrouvera son partenaire William Holden dans un autre merveilleux film que l’on vous recommande fortement, Deux têtes folles (1964) de Richard Quine, remake du film français La fête à Henriette de Julien Duvivier (1952), sur deux scénaristes qui imaginent et écrivent une histoire en partant dans des directions différentes. Quant à Humphrey Bogart, il a l’air de s’embêter un peu parfois (mais le tournage a été difficile pour lui car il trouvait qu’il avait été mal choisi pour le rôle de Linus, au départ prévu pour Cary Grant), cependant il apporte beaucoup d’amertume et d’émotion à son personnage de Linus Larrabee, célibataire endurci et excellent hommes d’affaires. Il est d’ailleurs intéressant de noter que Linus est en quelque sorte une version plus jeune du personnage de C.R. « Mac » MacNamarra (James Cagney) dans un autre film de Wilder, Un, deux, trois (1961), un redoutable chef d’entreprise, car les deux hommes donnent toujours leurs consignes (souvent au téléphone ou par le biais d’un interphone) en commençant par « next ! ». On se prend à rêver que McNamarra est resté coincé dans son cynisme et son ambition alors que Linus Larrabee se laisse submerger par une émotion qu’il a voulu enterrer.
Le long-métrage eut un grand succès avec notamment six nominations aux Oscars dont une récompense pour la grande Edith Head pour ses fabuleux costumes (ce film marque aussi le début de la fructueuse collaboration entre Hepburn et le créateur Hubert de Givenchy qui aurait conçu la fameuse robe que porte l’actrice au moment du cocktail dans le film). De plus, en 2002, Sabrina a été inscrit au registre national des films de la Bibliothèque nationale du Congrès américain pour être conservé, ce qui est une marque d’importance culturelle majeure. Un remake du même titre fut d’ailleurs réalisé par Sidney Pollack en 1995 avec Julia Ormond, Harrison Ford et Greg Kinnear. On peut aussi penser que ce film a forcément inspiré la même année un très joli long-métrage, L’amour à tout prix (While ou were sleeping) (1995) avec Sandra Bullock, Bill Pullman et Peter Gallagher, l’histoire d’une femme follement amoureuse d’un homme jusqu’à ce qu’il tombe dans le coma et qu’elle rencontre le frère de celui-ci. On vous recommande donc ce film charmant, très drôle, social, romantique et touchant et on se permet de vous laisser sur cette phrase qui résume très bien cette jolie histoire : « La démocratie peut être très injuste, Sabrina. Personne ne dit d’un pauvre qu’il est démocrate s’il épouse un riche. »
Titre Original: SABRINA
Réalisé par: Billy Wilder
Casting : Audrey Hepburn, Humphrey Bogart, William Holden …
Genre: Comédie, Romance
Sortie le: 04 février 1955
Distribué par: Paramount
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma